CHAPITRE 34 | PARTIE 1

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SHADE





Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. L'incertitude agit bizarrement, elle compile les peurs et les propulse contre mon crâne à intervalles réguliers. Toujours dans le même ordre. Sans discontinuer.

Le même schéma s'est répété des heures durant. Les mêmes images, les mêmes paroles qui me poursuivent encore aux pâles lueurs de l'aube.

«Regarde-moi mon cœur.»

«Tu l'auras elle.»

L'absence de Berlioz n'a rien arrangé.

Ça me fait chier. Je ne suis pas un type qui m'inquiète ni qui flippe pour un rien. Reyna bouscule mes paramètres, toutes mes habitudes rodées qui ont fait leurs preuves. Elle est en train d'intervenir dans mon scénario. La crise d'hier en a été le coup d'état et depuis, je subis sa dictature dramatique sans enclencher de révolte.

En as-tu envie?

Les Harpies ne m'ont pas encore arrêté, un sursis empoisonné qui me force à gérer les images de la veille encore un peu. Les souvenirs me sautent à la gorge quand je pénètre dans l'appartement. Je revois encore —merde, je ressens encore, son corps entre mes bras. Ses larmes et ses yeux vides. Son silence bruyant de douleur.

Et j'essaye en vain de ne pas me demander ce qu'elle a bien pu faire après mon départ. Si elle a subi les conséquences de mon aveu. Si elle me déteste. Bien sûr qu'elle te déteste. Si elle sera là aujourd'hui.

Si elle a trouvé le bracelet.

Je tourne en rond en attendant de la voir franchir les portes. Mais l'étudiante se fait désirer. Après deux heures d'attente, je me résigne. Elle ne viendra pas. Je glisse les mains dans mes poches et joue avec mon écrou fétiche. L'incertitude de son état me trouble plus que je ne l'aurais pensé.

— Fait chier.

Je passe une main dans mes cheveux et soupire lourdement. J'ai franchi une limite hier. Je ne sais pas encore si je le regrette. C'était peut-être la dernière fois que je la voyais.

Je bouge avant que cette pensée ne s'approprie mon crâne. Je me dirige vers le petit couloir entre le salon et la chambre et me poste devant la commande de la pièce-ascenseur. Autant profiter de mes dernières heures de liberté.

Je bloque de longues secondes sur la console quand je comprends qu'elle a déjà été configurée ce matin. Je ne suis pas au rez-de-chaussée comme d'habitude.

Le cœur battant inutilement plus fort, je parcours rapidement le verreBrun avant d'arriver dans une salle tamisée familière. Le bar.

Les lumières assombrissent la moquette rougeâtre et les banquettes de cuir vert. Je me souviens de notre dernière fois dans cette pièce. De sa colère et de ma provocation. L'ambiance est bien différente aujourd'hui. Je détaille l'espace jusqu'à ce que mes yeux découvrent Reyna avachie sur le bar en bois.

Te voilà.

Une bouteille de scotch gît à côté de son verre à moitié vide. Je m'approche lentement, guidé par sa souffrance, comme toujours. Je m'accoude sur le bar à côté d'elle, pour lui faire face. Reyna ne me remarque même pas.

Ses doigts se referment autour du cristal sculpté du verre avant d'absorber ce qu'il reste de boisson.

Ses yeux bleus, d'ordinaire si vifs, sont vitreux. Éteints. Quelques mèches pourpres collent à son front. Pour la première fois, le désordre règne dans sa chevelure. Elle porte un tee-shirt noir, un treillis militaire et sa plaque autour du cou. En passant à côté d'elle, j'ai eu le temps de remarquer que ses lacets étaient défaits.

Manipulation [EN RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant