CHAPITRE 33

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REYNA





La trahison possède un goût acide, proche de la remontée gastrique. Une pourriture âcre qui envahit votre bouche. Un déchet qui obstrue votre gorge.

C'est un dégueulis de souvenirs mensongers qui salit votre identité et putréfie votre existence. Elle gangrène vos organes, contamine vos tissus pour ne laisser qu'un liquide rance dans une enveloppe charnelle avariée.

Rien qu'un cadavre évidé comme met de choix pour les charognards.

Je n'avais plus lâché une larme depuis Newton Park. Il a suffi de quelques phrases. Quelques mots bien choisis comme d'habitude, pour m'anéantir.

En me réveillant seule dans le complexe, la tête bourdonnante et la vision floue, j'ai compris que l'on m'avait droguée. Je ne conserve d'ailleurs que très peu d'images distordues de cette période. Seuls me reviennent la haine, l'aveuglement de ma colère tandis que je menaçais Shade avec mon arme.

En réalité, je suivais docilement les ordres de ma mère. Les révélations de Shade ont agi comme un électrochoc. J'aurais dû douter de lui. Le sérum aurait dû m'empêcher de le croire. Mais quand il a mentionné Newton Park, une vague de douleur a explosé sous mon crâne.

Je ne comprends encore pas bien ce qu'il s'est produit à ce moment-là. J'avais l'impression d'avoir deux cerveaux, deux voix combattant pour des camps opposés. Sans savoir laquelle je devais croire. Je suppose que la confusion a remporté la victoire.

Les Sénatrices sont responsables de la catastrophe de Newton Park.

Je ne sais pas comment il a fait, je n'avais pas pris la Résistante au sérieux une seule seconde lorsqu'elle avait évoqué ces rumeurs lors des commémorations le 15 mars dernier. Mais il n'avait pas menti pour la Solution Finale, et désormais, un instinct douloureux, inscrit jusque dans ma chair innervée, tout contre mes axones brûlés me convainc que c'est la vérité.

La triste, l'abominable, la cruelle vérité.

Depuis la découverte du laboratoire, et ce qu'il s'est passé après —la captivité, la torture, la drogue — je peux les imaginer capables de tout. Mais il me faut des explications. J'ai besoin d'entendre Zelda avouer ses crimes.

Mes doigts tapotent les accoudoirs du fauteuil capitonné de ma mère en rythme. À peine un bruit sourd, absorbé par le faux cuir. Dans l'obscurité de son bureau, les animations de sa plateforme de travail semi-circulaire m'éblouissent.

Je fixe la porte, attendant patiemment depuis quatre heures que sa silhouette svelte la franchisse. Son bureau m'a toujours été interdit. Aujourd'hui, il m'appartient. En détournant le protocole de Mika, il m'a suffi d'exploiter les failles de la sécurité pour forcer l'entrée.

Désormais, assise à sa place pour la première fois, je ne me sens pas différente. Je me glisse dans la peau de Zelda, m'imprègne de son pouvoir autoritaire. Mais la rancœur me consume. Je réalise un peu tard que je ne peux pas lui ressembler. Je n'ai jamais pu.

Je reste moi, quoi qu'elle fasse.

La voix de Mika me parvient de façon étouffée. Zelda Call pénètre dans la maison, ses talons claquant d'assurance. Je l'entends remonter le couloir et s'immobiliser devant la porte déverrouillée.

J'imagine la surprise sur son visage lisse. Ou ce qui se rapproche le plus de la surprise dans son indifférence calculée. Un sourcil haussé peut-être ?

Le battant se rétracte enfin. Ma mère apparaît, absolument majestueuse dans sa combinaison d'ivoire. Son serre-tête athénien maintient ses cheveux roux en place. Toujours parfaitement dosée. Parfaite. Comme d'habitude, sa prestance m'écrase, mais pour une fois, je ne me laisse pas impressionner.

Manipulation [EN RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant