CHAPITRE 4

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SHADE


L'attente nous tuera tous.

D'ordinaire patient, il devient pourtant de plus en plus difficile de supporter la lente course du temps au milieu de mes camarades agités. Soixante-douze minutes et quatorze secondes. Mon crâne va exploser, mais je continue de décompter inlassablement. C'est une habitude désormais.

Au fond de cette petite pièce exiguë, j'observe seize autres pensionnaires aux prises avec une patience qui leur fait de toute évidence défaut. Personne ne parle. Tous se jaugent à coups d'œillades assassines et de rictus menaçants. Les néons rouges jettent des ombres dangereuses sur leurs faces d'attardés primitifs. Une foutue cage pour les animaux qu'ils sont.

Et moi, le cul par terre, les muscles engourdis, les yeux mi-clos, je me délecte du spectacle comme si j'en étais le metteur en scène. J'aime à croire que c'est toujours le cas.

Un tressautement rauque gronde finalement dans ma cage thoracique. Il secoue ma poitrine puis grimpe crescendo le long de ma trachée. Il prend de l'ampleur sur ma langue, un goût de folie, avant d'exploser de façon anarchique hors de ma bouche, troublant l'atmosphère lourde de cette boîte de conserve. Seize visages crispés se tournent dans ma direction.

—    Qu'est-ce qui te fait rire, Harper ?

Smith démarre au quart de tour, comme toujours. Je relève lentement la tête, soupire.

—    Rien de spécial, si ce n'est la perspective de te voir te faire latter ta sale gueule par une fille plus petite que toi, le provoqué-je soudain sérieux.

—    Va te faire voir. Cette nana sera à genoux à me sucer en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

Les autres ricanent. Smith se sent plus pisser. Il bombe le torse sous l'impulsion d'une fierté répugnante et déplacée.

—    Je parierai pas sur celui de vous deux qui finira à genoux devant l'autre à la fin de la journée.

Ma remarque le ramène sur terre immédiatement.

—    Putain, tu mériterais vraiment qu'on te refasse le portrait un de ces quatre, le psychopathe, siffle-t-il entre ses dents.

—    C'est bon, lâche-le, Ramsey.

Mes lèvres craquent à nouveau un sourire carnassier à l'intervention d'Alix. Mes expressions vont et viennent sur mon visage, modèlent mes traits une seconde, puis disparaissent la suivante. Elles se meuvent au gré de mes machinations pour assouvir mes désirs pervers de manipulation. Je suis une foutue représentation à moi tout seul.

Ramsey reporte son attention vers le blond.

—    Depuis quand tu défends ce taré ?

—    Depuis qu'il vaut certainement mieux qu'un p'tit merdeux comme toi.

Je vaux mieux que vous tous, en fait.

De grandes exclamations accueillent la réplique de Scharp. Les bras posés sur mes genoux repliés, je fais craquer mes phalanges une à une. Je savoure la scène que j'ai moi-même écrite il y a des mois pour troubler mon ennui. Le lever de rideau se déroule exactement comme je l'avais prévu, à l'instant même où j'ai décidé qu'il aurait lieu.

Je me redresse, les yeux grands ouverts à présent. Je ne tiens pas à manquer une seconde de cette fabuleuse pièce que j'ai mis tant de temps à mettre au point.

Smith fait un pas vers Alix, les poings serrés, la mâchoire contractée. Il semble prêt à lui sauter à la gorge. Comme un chien enragé.

Un abruti de chien, oui...

Manipulation [EN RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant