CHAPITRE 6

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SHADE


Dans un reniflement poisseux, je balance le dernier coton rougeâtre en direction de la poubelle à côté de la porte. Je ne vérifie pas la cible, peu m'importe que mon tir ait abouti ou non. J'allume le robinet et m'applique à me rincer férocement le visage à l'eau glacée. Je grimace. Le lavabo crade de nos sanitaires collectifs récupère des croûtes molles et une partie de mon sang.

Bordel de merde. Ma langue a fini par s'habituer à ce perpétuel goût métallique saupoudré de victoire. Mon cerveau malade en devient accro, en veut plus. Je me rince la bouche puis appuie mes deux mains contre la faïence pourrie du lavabo. Le simulacre de miroir encore à moitié fixé au mur me renvoie un reflet rougeoyant.

J'inspecte mon arcade sourcilière enlaçant désormais une couture grossière, mais efficace. Une habitude ces temps-ci. Mon œil gauche boursouflé se meut au travers de toutes les teintes violacées possibles alors que mon bras droit me lance encore. Le moindre mouvement me donne l'impression de me déboîter le coude.

Putain de bordel de merde. Mon cou retrace le passage de Smith puis l'impact de Reyna en un patchwork de bleus déjà sombres. La douleur ? Anecdotique. Ma doublure abîmée craque une risette sournoise qui grandit, s'élargit, creuse un ravin au milieu de ce visage délabré alors que ma gorge délivre un gargouillement nerveux. Les tressautements discrets se meuvent en ricanement psychotique alors que ma cage thoracique se secoue douloureusement.

Je tape mon meilleur fou rire de dégénéré, seul en compagnie des chiottes infectes remplies de germes et de cafards de la Pension NA21, district 64B. Je baisse la tête et ris à m'en péter les côtes déjà fragiles. Toutes mes plaies séchées craquent alors que mon souffle peine à suivre. Ma trachée se bloque, une quinte de toux surprend mon rire et le chasse, l'écrase.

Je tousse à m'en décaper les muqueuses, le bras gauche autour du ventre alors que l'autre me raccroche désespérément au lavabo. Des bruits agonisants s'échappent d'entre mes lèvres, je m'étouffe. Je crains un instant de cracher un bout de poumons quand finalement, un caillot de sang salit le fond du lavabo.

J'inspire, la poitrine en feu. Je reprends mon souffle, les larmes aux yeux, le front ruisselant alors que je sens le sang recommencer à s'écouler contre mon visage. Fait chier. Je m'essuie la bouche d'un revers de main et recroise mon reflet cabossé, mon sourire de fou toujours en place. Le sang a toujours pris un goût de victoire dans ma bouche quant au son du succès, ce n'est qu'une symphonie d'os brisés, de cris d'agonie et de déchirement organique.

— Reyna Call... murmuré-je les pupilles folles, dilatées à l'extrême et la langue sur ma lèvre fendue. Putain de Reyna Call.

Je ricane encore, en faisant attention cette fois. Je lave les dernières traces de sang séché sur mes doigts, ponctionne les plaies rouvertes et me rhabille, immensément satisfait.

C'est ce qu'on appelle ici-bas une putain de bonne journée.

Mes cheveux mouillés gouttent sur ma combinaison tachée de mon sang de la journée alors que je remonte la fermeture Éclair avant de rejoindre Berlioz au gymnase. Sur le chemin, mon écrou se balance entre mes doigts alors que mon sourire ne veut pas quitter ma face de timbré.

Je repère immédiatement le Mexicain en plein troc lorsque je franchis les portes, Isaz et Lagos chargés de surveillance. La foule se compose toujours des mêmes personnes, des mêmes abrutis. J'avise Smith toujours au même endroit et fusille du regard un gamin qui me dévisage un peu trop longuement.

— Un problème petit ?

Le jeune détale, mes phalanges craquent et se délient lentement. Mes démons dansent dans leurs caves sombres et perverses. Mon égo remplit l'espace, se sent intouchable. Je marche vers mon ami comme si les lieux m'appartenaient. Bon sang, ça pourrait bien être le cas. J'attends la fin de sa transaction puis m'assois à côté de lui les mains dans les poches.

Manipulation [EN RÉÉCRITURE]Where stories live. Discover now