Chapitre 28 : N'était-ce pas un peu coupe-gorge ?

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- Bah, j'ai toqué, tu ne m'as pas entendu ? entendit-elle.

Elle sortit immédiatement de ses pensées et cligna des yeux plusieurs fois avant de voir la tête rousse de sa jolie sorcière passer par l'entrebâillement de la porte. Le tutoiement, qui semblait à présent de rigueur, lui retourna l'estomac plus qu'elle ne l'aurait pensé. Cette familiarité nouvelle lui plaisait et avait sur elle bien plus d'effet que prévu. Ça faisait partie de ce genre de barrières qu'elle aimait à franchir avec Magda.

- Excuse-moi, je réfléchissais, entre, invita-t-elle.

A ces mots, Magda plissa les yeux et entra avant de refermer la porte derrière elle. Elle avança de quelques pas et se posta face au bureau comme si elle repassait son entretien d'embauche. La brune fut d'ailleurs tout à fait surprise de constater qu'elle ne s'asseyait pas à sa place habituelle.

- Ok, si vraiment c'est trop lourd pour toi, enfin...elle grimaça, si ça te parait trop compliqué pour le moment, on peut ralentir, dit-elle en se tortillant les doigts dans un geste nerveux.

Giulia fronça les sourcils. A quel moment avait-elle dit une chose pareille ?

- Je ne crois pas que...essaya-t-elle.

- Tu n'as aucune justification à me donner, la coupa la jeune russe. Et moi non plus d'ailleurs, hein. Je n'ai pas d'explication, ça s'est fait comme ça. J'imagine qu'on ne choisit pas vraiment ces choses-là.

- Magda, je...

- Non, non, je sais. Tu as été claire, tu as ton quotidien, tes responsabilités, ta fille. Je n'aurai pas dû profiter de toi comme je l'ai fait.

Les sourcils de Del Vecchio s'arquèrent plus encore. Mais enfin, pourquoi débitait-elle de pareilles inepties ? Pourquoi semblait-elle si nerveuse face à elle alors qu'elle avait l'air tout à fait serein en quittant l'appartement quelques heures plus tôt ?

- Ça n'a rien à voir avec...tenta-t-elle vainement avant d'être arrêté une nouvelle fois par l'accent russe.

- Oui, j'ai compris. Émilie, ton divorce, tout ça...

- Miss Volkov ! s'écria alors Giulia, en se retenant de taper du poing sur le bureau.

- Ah, carrément ? Miss Volkov ? grimaça Magda alors que ses épaules s'affaissaient et qu'elle se mettait à gratter nerveusement la cicatrice de son front, geste récent mais à présent habituel quand elle était mal à l'aise.

La belle femme d'affaire roula des yeux et se leva. Lentement, elle contourna le bureau, et vint s'y appuyer en croisant les bras tout en fusillant la plus jeune des yeux. Magda ne bougeait plus et attendait seulement la suite, le moment où l'autre lui dirait que ce baiser était une erreur qui ne devait plus jamais se reproduire. La belle russe se sentit alors si abattue qu'elle en baissa les yeux qui se retrouvèrent si ancrés dans le sol que ses cheveux retombèrent sur son visage.

Giulia plissa les yeux en se laissant le temps d'un silence, puis attrapa la main blanche qui maltraitait la balafre.

- Le seul point sur lequel j'ai été claire, est que je ne supporte pas qu'on me coupe la parole, détail que tu sembles toujours oublier, dit-elle enfin d'une voix chaude malgré ses remontrances. Et lorsque tu m'agaces, "Miss Volkov" m'est plus naturel, c'est vrai.

Magda releva enfin les yeux vers elle. Des yeux dans lesquels elle lisait une certaine crainte et cette vision la peina plus que ce qu'elle ne saurait dire. Il lui semblait que la jeune russe avait toujours été plus ou moins limpide vis-à-vis de ce qu'elle attendait d'elle. Ses intentions avaient toujours été transparentes. Elle la voulait, ni plus, ni moins. Et par le jeu, ces mêmes intentions n'avaient fait que se confirmer de jour en jour. Giulia aurait donc pu se retrouver tout à fait démunie face à pareille réaction en la voyant ainsi paniquer dans son bureau. Et pourtant, elle se souvint immédiatement des cicatrices que la jeune sorcière avait caché dans ses bagages en partant de Russie. A travers ses yeux apeurés, elle sut deviner le souvenir d'une mère qui l'avait abandonnée du jour au lendemain et la crainte d'un père qui ne l'avait jamais aimé ou qui n'avait jamais su comment. Elle comprit alors que là où elle était pour elle une tentation comme elle le lui avait si souvent prouvé, elle rimait aussi avec menace à fuir, un repère qui pourrait, lui aussi, un jour la broyer.

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