23. Un ami odorant

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— Avance, lézard, ou tu tâteras de mon gourdin ! hurla Ankrolm qui menait la troupe.

Le petit groupe, composé de Krrkippaal et des cinq barbares, cheminait sur un sentier de cailloux et de gravats. Krrkippaal avait déjà pratiqué ce genre de randonnée et ce n'était définitivement pas à son goût. Il avait du mal à respirer et soupirait à tout rompre, pas après pas.

Un gentil guerrier, prénommé Flatul, fermait la marche derrière le reptile. Il était le seul – hormis Ankrolm – à parler la langue commune. Il encourageait Krrkippaal durant la dure ascension avec des bons mots, promettant à Krrkippaal qu'il y arriverait. Mais ce qui motivait le lézard à avancer – outre les menaces bien senties d'Ankrolm – était totalement involontaire ; Flatul avait de sérieux problèmes de météorisme et possédait une fâcheuse tendance à expédier toutes les cinq toises un vent qui charriait un doux mélange d'épices chaudes et d'humus savamment fermenté. Déterminé à ne pas rester le nez dans la brise, Krrkippaal s'activait les pattes, courant après sa respiration.

— Courage, Maître lézard, nous atteindrons bientôt le col. Ankrolm décidera alors d'une pause.

Krrkippaal leva les yeux, mais n'aperçut rien hormis l'interminable chemin de pierre qui serpentait au milieu des rochers.

— Comment se fait-il que ça soit Ankrolm qui dirige le groupe ? questionna le reptile. N'est-il pas en disgrâce auprès de Trokmar pour avoir abandonné Mirette ?

— Dame Fal Ka, corrigea Flatul avec bienveillance. Ankrolm doit réparer sa faute. C'est sa mission, sa quête.

— Mais pourquoi ? Quelle importance a donc cette gamine – enfin, la Dame – pour vous autres ?

— Dame Fal Ka, Maître conteur, est l'héritière de l'héritage des Dieux, l'épée Frisneen. Celui ou celle qui brandit la lame devient alors Roi, ou Reine, des Baronnies de l'Ouest, régnant sans partage sur ses terres.

Encore une légende, pensa Krrkippaal. Ces humains sont décidément d'irréductibles superstitieux.

— Si je comprends bien, Dame Fal Ka est la Reine de vos Baronnies. Qui aurait donc intérêt à la faire disparaître ?

— La liste est longue, Maître Rampant. Elle commence avec les Barons qui ne veulent se soumettre à une Reine jusqu'aux Seigneurs des Cinq Royaumes qui craignent une alliance des peuples de l'Ouest. Si les barbares s'unissent sous une unique bannière, nous devenons une menace, ou au mieux une puissance avec laquelle il faudra compter. Mais, elle n'est pas encore Reine, car elle ne détient pas l'épée. Tous les signes indiquent cependant qu'elle a été désignée par les Dieux. Notre horde vient du même clan que la future Reine et nous sommes actuellement les seuls à la soutenir. Ankrolm l'a cachée durant de nombreuses années dans la ferme où tu as fait sa connaissance, la soustrayant ainsi aux potentiels dangers. Voilà l'origine de la haine qu'il te porte. Il pense que tu l'as poussée à quitter son havre de paix dans l'unique but d'attenter à sa vie.

Krrkippaal jeta un œil sur le chef de la troupe. L'aversion d'Ankrolm envers son illustre personne n'avait aucun sens. Il ne connaissait rien à ces histoires, et s'en fichait toujours royalement, s'il osait penser en ces termes.

— C'est aberrant, proclama le reptile. Où serait mon intérêt, je n'ai que faire de vos querelles entre barbares, je ne souhaite qu'écrire une épopée.

— Ankrolm a la tête dure, Maître lézard. Il voit en vous soit un espion à la solde d'une baronnie ennemie, soit un opportuniste cherchant sa muse à tout prix, soit les deux...

Ma muse, cette gamine ? Je poursuis l'héroïsme, des dragons et des elfes, pas une paysanne qui se prend pour une princesse ! Je trouverai bien moyen de leur fausser compagnie. Patience bien ordonnée finit toujours par récompenser, comme on dit chez nous !

— Et toi, qui es plus sensé que cette enclume d'Ankrolm, où imagines-tu donc qu'a bien pu passer la Dame ? Qui as bien pu l'enlever ?

Flatul fronça les sourcils, les lèvres crispées. Il doit se demander s'il peut se fier à moi, songea Krrkippaal. Soudain, un sourire satisfait illumina les grossiers traits du barbare. Les fragiles narines du reptile contredirent sa pensée première : l'air troublé de guerrier n'était en aucun cas dû à une histoire de confiance.

Reculant d'un pas discret pour soulager son nez qui souffrait autant que ses globes piquaient, Krrkippaal reprit :

— Ça me semblerait surprenant que les Arckawiens soient derrière ce complot, car ils paraissaient rechercher la petite avec beaucoup d'insistance. Un des Barons doit être responsable, à coup sûr.

Krrkippaal, fier de sa déduction, regarda d'un œil expert son camarade ; quand il s'agissait de flair et de raisonnement, il faisait toujours mouche.

— Permets-moi d'en douter, Maître Limier, car...

Flatul se tut soudain, les yeux fixés devant lui. Krrkippaal, qui suspectait une nouvelle crise de ballonnements, fit un bond en arrière.

— Nous reprendrons cette conversation plus tard, lézard. Ankrolm sonne la pause.

En effet, les deux traînards rejoignirent en quelques instants le reste du groupe. Ils étaient parvenus au sommet du col et la vue s'ouvrait sur une vaste vallée. Aucune trace humaine, seuls des arbres millénaires habitaient cette contrée. Deux guerriers s'occupèrent d'allumer un feu pour le repas tandis que Flatul s'affairait à dépecer les lapins capturés durant le trajet. Ankrolm conversait avec le dernier soldat de la troupe qui revenait de sa mission de reconnaissance.

Krrkippaal aurait bien pu tendre toutes les oreilles du monde, il n'aurait su glaner aucune information. Ces mécréants prenaient bien soin d'échanger en langue barbare.

— Zlongfals ! gueula soudain l'éclaireur et pointant la main vers le chemin d'où venait le groupe.

Les guerriers se retournèrent comme un seul homme. Ankrolm, le poing sur son gourdin, lança alors un œil mauvais à Krrkippaal.

Zlongfals... zlongfals... ce terme me dit vaguement quelque chose, pensa le reptile.

— Nous repartons ! ordonna Ankrolm.

Les barbares ne discutèrent guère. Ils couvrirent les flammes naissances avec de la terre, nettoyèrent sommairement la place et reprirent la route. Krrkippaal jeta un regard en arrière, soucieux de comprendre la raison de ce départ soudain. Il lui sembla distinguer un reflet vert et or au loin et il crut entendre un aboiement... 

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