Papidy

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Au début, j'ai cru que c'était une blague. C'est quand ils ont envoyé plein de photos de toi sur le groupe familial que je me suis doutée de quelque chose. Et après, papa est venu me chercher, comme tous les samedis matins que je passe chez maman et c'est là qu'il m'a annoncé la nouvelle. Tu étais parti, vers les six heures du matin. C'est triste, il voulait justement te rendre visite ce jour là. Mais tu as toujours été un lève-tôt. Moi je me suis effondrée. Evidemment, je ne peux pas dire que je m'y attendais pas. Ca faisait des mois que tu avais de plus en plus de mal à respirer, à bouger, à vivre. Tes 80 ans et ton obstination à ne pas manger n'ont évidemment pas arrangé les choses

Après on est allés chez toi. Fin, ce qui avait été chez toi, avec tout le monde. Il y avait bien sûr ton épouse qu'on surnomme tous Babou comme tu le sais, tes deux enfants, tes petites filles dont moi et même maman alors qu'elle et papa ont divorcé depuis un moment. Mais c'est vrai qu'elle a toujours fait partie de la famille. J'ai détesté cette ambiance de fausse bonne humeur. J'ai passé la journée à me retenir de pleurer, à fondre en larmes et à recommencer. Babou et Tata Sophie ont fait à manger et on s'est tous attablés en faisant semblant que tout allait bien. J'avais envie de vomir. Tu n'imagines pas à quel point c'était bizarre de voir papa à ma gauche alors que d'habitude c'est toi à cette place. J'avais envie de rentrer à la maison et de gérer mes émotions comme je l'entendais plutôt que d'être là à les écouter parler de tes funérailles, comme si j'avais voix au chapitre

Et le lendemain, Mathilde m'a demandé ce que je pensais du message pour le bouquet des petites filles. "Un truc de toi, moi et Agathe" m'a-t-elle expliqué. On s'est fixées sur "Nous t'aimons comme un secret". Parce que tu nous disais toujours "je t'aime" en nous chuchotant dans l'oreille. Comme tu t'en doutes, nouvelle crise de larmes. Après il a fallu aller te voir au Funérarium. Pour te "dire au revoir". Tu parles. Et tout le monde a insisté pour que je me penche sur toi, allongé dans ton cercueil. J'ai catégoriquement refusé. Ce n'était absolument le souvenir que je voulais conserver de mon grand père. Je pense que tu aurais aussi préféré que je me souvienne de toi en train de m'apprendre comment faire des roses en pâte à sucre, de me raconter des histoires dans ton canapé, de me regarder souffler mes bougies. "C'est comme s'il dormait, Myriam", m'a assuré Babou. "Il est très bien, très beau". Je m'en fichais. Je ne voulais pas que la dernière image de toi soit celle de ton corps dans une caisse en bois, c'est tout. Mais la dernière image que j'ai de toi, c'est allongé dans un lit d'hôpital. C'est pas tellement mieux.

Et ensuite, l'enterrement. Ni maman, ni moi avions déjà assisté à une cérémonie catholique, et ça nous a laissées un peu perplexes. Tu m'excuseras, je le sais parce que tu adorais ma franchise à toute épreuve, mais la messe était nulle. Babou avait mis SA musique préférée, alors que ton morceau préféré, c'était Les Quatre Saisons de Vivaldi. C'est un de mes favoris aussi, tu sais ? Non, tu ne sais pas. Je n'ai jamais songé à te le dire. C'est bête. Franchement, le prêtre avait sélectionné une version avec des applaudissements au début. Des applaudissements. Des applaudissements. Et le prêtre, mes dieux... qu'est ce qu'il était naze ! Il disait n'importe quoi, bafouillait, se trompait, revenait sur des trucs qu'il avait dit. Affreux. Oh et apparemment tu étais croyant. Il est bien le seul à le croire, toute la famille sait que tu était aussi agnostique que moi. Heureusement, Mathilde et Agathe ont chacune fait leur propre discours. Mathilde a pas réussi à finir le sien... mais celui d'Agathe, waouh... il était incroyable. Tu aurais été fière d'elle. Moi, si j'ait fait un discours ? Penses-tu, je n'ai pas eu le courage. C'est déjà une épreuve de faire un oral devant ma classe alors un discours pour ton enterrement... J'ai juste allumé les cierges autour de ton cercueil. Il paraît que c'est le plus important, que ça symbolise le renouveau ou je ne sais quoi. Personnellement, quand je l'ai fait, la seule chose à quoi j'ai pensé c'était Je suis désolée Papidy, si je crame ton cercueil et l'église avec mais j'ai jamais été douée avec les bougies. Fort heureusement, je n'ai cramé ni ton cercueil, ni l'église ni les gens qu'il y avait dedans. Mais j'ai bien failli me bruler le bout des doigts. J'aurais eu l'air maligne, tiens. Je ne te parle pas du froid qu'il faisait, mon ordinateur risque de geler. On a mis ton cercueil dans la tombe et ce coup-ci, tout le monde a pleuré. Et au moins trois personnes m'ont demandé si ça allait. Passablement agaçant

Il y avait ton frère à l'enterrement. Vous étiez fâchés depuis des années. Il n'a même pas pu te dire au revoir. Je l'ai plutôt bien apprécié, quand on est allés au restaurant après. Il me semble bien que c'était l'un de tes préférés d'ailleurs. Encore cette atmosphère de fausse bonne humeur, on m'a posé des questions sur mes études, donc sur un des sujets que j'aime le moins. Toi tu me demandais si ça se passait bien en cours, je te parlais de ce dont je voulais parler et c'était tout. Tu n'insistais pas pour vérifier si j'avais prévu mon avenir dans les moindres détails. A croire que tu étais le seul à remarquer mon air décomposé quand on parlait de ça. Bref, tout le monde discutait et riait et moi je mangeais du bout des lèvres

Oh, et à chaque réunion de famille, ça ne loupe pas. Tout le monde disserte sur tes qualités et tes défauts, comme si ça pouvait changer quoi que ce soit. Il était ci, il était ça. Là où tu es, tu n'en n'as plus grand chose à faire. On te décrit comme si on voulait te démystifier. Je ne suis pas idiote, tu étais comme tout le monde avec tes bons et tes mauvais côté. Pourquoi revenir dessus ? C'est à toi qu'il aurait fallu dire ça. Même si ça n'aurait pas changé grand chose de plus, tu étais incroyablement borné. Mais on m'a donné la permission de récupérer Jules, ta maquette de squelette humain. Va savoir pourquoi, mais comme tu l'as remarqué, c'était mon objet préféré chez toi.

Tu me manques. Je t'aime

PS : Je cherche toujours ta recette de gâteau au chocolat

PPS : J'ai pleuré au moins six fois en écrivant ce truc. Et je ne sais pas pourquoi je l'ai posté. Je suis bizarre, tu le sais, je le sais, nous le savons

Mon bordel de serial lecteurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant