A la recherche de Proust - [2]

Chapitre 23

♪ Wrecked - Imagine Dragons

Cela faisait déjà plus d'un quart d'heure qu'il patientait là, dans sa voiture, en bas de cet immeuble qu'il découvrait pour la première fois. Malgré sa volonté d'en finir enfin avec tout ça, il n'arrivait pas à faire le premier pas, à sortir de l'habitacle chaud et réconfortant de sa Ford pour s'avancer vers l'entrée de ce bâtiment qu'il trouvait à présent bien trop grand, bien trop lugubre, lui se sentant à l'instant si frêle et petit. Il allait rebrousser chemin lorsqu'il reçut un énième message d'Eren.

J'espère que tu auras bientôt terminé de mettre tes affaires en ordre. Je t'attends. Tu me manques.

Oui, Eren l'attendait. Il ne pouvait pas le faire patienter indéfiniment, lui non plus n'y tenait d'ailleurs plus. Il avait promis au brun de se dépêcher, de faire le nécessaire au plus vite afin de pouvoir enfin le rejoindre. Il se languissait de lui. Le manque était parfois cruel. Pour eux, il semblait insurmontable. Il inspira fortement, gorgeant ses poumons d'air et pourquoi pas, d'un brin de courage si quelques particules pouvaient flotter ici, derrière son pare-brise embué, avant de s'élancer rapidement à l'extérieur de sa voiture, craignant de ne pas avoir suffisamment les couilles de le faire s'il s'attardait une seconde de plus. Il vint s'allumer une cigarette, espérant ainsi calmer son palpitant et les tremblements de ses mains, en vain. Être fort, ne pas craquer. Pour lui, pour Eren, pour tous les autres. Il devait le faire, il aurait dû depuis longtemps d'ailleurs. Six enjambées rapides, trois pas hésitants et cinq marches plus tard, il se trouvait déjà devant la grande porte d'entrée. Un coup d'œil rapide aux interphones et tout de suite son regard fut attiré par le nom qu'il cherchait. Farlan ne s'était pas trompé, c'était bien ici qu'il avait décidé de poser ses valises. Une jeune femme s'apprêtait à sortir de l'immeuble, Levi en profitant pour lui tenir la porte et entrer à sa suite, écrasant rapidement la cigarette qu'il avait à peine entamée sous la semelle impeccable de ses souliers. Tant pis pour sa dose de nicotine, cela ne l'aurait sûrement pas aidé à se calmer de toute manière. Il préféra attendre l'ascenseur plutôt que prendre les escaliers, essayant de gagner du temps avant le moment fatidique, celui où il ne pourrait plus faire machine arrière. Il préférait garder une marge de sécurité au cas où la panique viendrait à lui faire rebrousser chemin, ne souhaitant nullement perdre la face. Lorsque l'ascenseur s'ouvrit enfin devant lui, il fut surpris dans ses pensées par un adolescent qui en sortait, le pas traînant des jeunes d'aujourd'hui, ceux qui se retrouvent forcés de grandir dans un monde que les adultes rendent trop sombre, trop difficile à supporter. Le gamin devait avoir 12 ou 13 ans, pas beaucoup plus, et semblait absorbé dans la contemplation de son smartphone. Un frisson d'effroi glissa le long de sa colonne vertébrale lorsqu'il réalisa qu'il vivait ici, à quelques mètres à peine de ce jeune garçon. Il se précipita dans la cabine, appuyant d'un doigt tremblant sur le bouton amenant au cinquième étage. Il ne devait pas y penser, il ne devait pas se faire de films. S'il laissait libre cours à son imagination, il risquait de perdre le peu de sang-froid qu'il avait réussi à emmagasiner en lui depuis ces quelques jours en ville. Mais ce garçon, cet adolescent... Pendant une seconde, juste une seule, il avait cru voir Falco. Ça aurait pu être Falco... Non. Ça avait été Falco. Ça va été Abel, Léo, Caspar, Dirk... Ça avait été Eren. Ça avait été lui. La rage monta peu à peu en lui, s'insinuant par tous les pores de sa peau, prenant progressivement la place de la peur. Il n'y avait plus trace de doute, de crainte, seulement du mépris, de la colère et la culpabilité de ne pas avoir été plus courageux avant. Lorsque le ding annonçant l'arrivée à l'étage souhaité retentit, c'est en nouvel homme qu'il sortit de la cabine, sûr de lui et de ses choix. Il n'était plus ce petit garçon épris et naïf, ce jeune homme terrorisé et amoureux. Il était ce Levi-là, celui qu'Eren avait fait de lui, un homme bon, honnête, fier et protecteur. Un homme doux, un homme qui savait faire preuve d'humilité. Un homme amoureux d'un autre homme, d'un homme merveilleux qui ne méritait pas qu'il le fasse plus attendre encore. Hors de question de s'enfuir, il ne rebrousserait plus chemin.