— Tu pourrais. Me draguer, je veux dire, précisa Cam. Je ne parle pas de Py évidemment.

Les mots de Lizzie, que Chris avaient commencé à lire, s'éparpillèrent dans son esprit comme un vol d'étourneaux affolées.

— Pardon ? Mais...mais t'es mon meilleur ami. On drague pas son meilleur ami ! Pas sérieusement ! Oh... attends... tu te moques, là, pas vrai ? Parce que toi, tu me draguerais jamais, n'est-ce pas ?

Le ton mal assuré, la gorge nouée, Chris essayait de ne pas montrer son espoir qu'un jour, Cam aurait réellement envie de flirter avec lui.

[Un geste me semble de circonstance, ici : le fameux facepalm. Cette action où l'ont se tape le front du plat de la main, par désespoir, par dépit ou par un savant mélange des deux. Pour moi, c'est le savant mélange des deux.]

— Même si je le faisais, je crois que tu n'entraverais que dalle, pas vrai ?

Chris ouvrit la bouche. La referma. L'ouvrit encore avant de la fermer à nouveau sans savoir quoi répondre. Il réfléchissait à toutes les possibilités, toutes les implications de la phrase de Cam.

Son ami sous-entendait-il qu'il avait déjà tenté de le draguer ? Cela lui semblait improbable. Il l'aurait forcément vu, non ? Après tout, lorsque Côle avait commencé à lui parler, ses intentions lui étaient apparues claires dès le départ, pas de raisons que ce fut différent pour Cam.

[Nous ne reviendrons pas sur les failles de ce raisonnement. D'ailleurs, à ce stade, je pense que ça s'appelle un Canyon et pas une faille.]

Donc, Cam sous-entendait peut-être que dans une avenir proche ou lointain, il se laisserait aller à pousser plus loin cette idée de fake boy-friend. Deux questions se posaient alors. Leur fausse situation donnait-elle des idées à Cam (ce que Chris espérait) ou bien au contraire, elle lui donnait envie de conquérir son crush au plus vite ?

[Si je pouvais revenir dans le passé, je pense que je viendrais m'incruster au beau milieu de cette scène et (tant pis pour les paradoxes temporels, numéro 5 ne m'en voudra pas) je me secouerais assez longtemps pour que les fils se connectent autant que ces deux idées.]

Ou alors, et c'était encore le plus probable, Cam s'amusait encore aux dépens de Chris. Un jour, Ely lui avait avoué à quel point c'était tentant de le taquiner avec des blagues pince-sans-rire. De le voir essayer de déterminer si la personne en face est sérieuse ou non. Même si c'était un peu agaçant, lorsque Chris appréciait le blagueur, ça ne le dérangeait pas outre mesure.

— Soit t'entraves que dalle, soit tu bugges, en fait, s'esclaffa Cam en le rejoignant avec deux tasses de café au lait. Sans sucre pour toi, comme tu aimes. Et je vois que Lizzie n'a pas eu la chance d'avoir ton attention.

— Bourbe !

— L'avantage, c'est que tu as le temps de tout lire maintenant, elle s'est déconnectée.

— Comment tu sais ça...

— Sans lunettes, je ne vois rien. Avec, je déchiffre tous les petits caractères.

Immédiatement, Chris repensa à la soirée qu'il avait passée à côté de Cam, à discuter sur son téléphone avec Ely. Il reposa sa tasse, persuadé que son estomac remonterait dans sa gorge s'il essayait d'avaler la moindre gorgée.

— Tu, commença-t-il avant de s'humecter les lèvres. Tu lis souvent par dessus l'épaule des gens ?

— Je sais que tu ne t'en rends pas compte, mais je ne suis pas aussi proche des autres que de toi.

— Évidemment que je m'en rends compte, râla Chris. Tu ne peux pas zoner chez moi aussi souvent et le faire chez d'autres.

— C'est d'une logique imparable. Et qu'en conclus-tu ?

— J'ai l'impression d'avoir déjà vécu cette conversation. Cam...si tu as quelque chose à me dire, dis-le moi, tourne pas autour du pot parce que je vais pas deviner !

— Mon crush, c'est toi.

— Non, mais... je suis sérieux, là ! cria Chris, le cœur battant la chamade.

— Moi aussi, Chris.

ll en eut le souffle coupé et une fois de plus, le sens des mots qu'il s'échinait à lire en sus de leur conversation lui échappa. Il analysa la posture de Cam...

[Enfin, « analyser », c'est vite dit. Je l'ai fixé avec des yeux exorbités en essayant de faire fonctionner mon cerveau qui refusait catégoriquement l'idée.]

Cam ne lui ferait jamais une blague avec cet air sérieux. Si ? Non. Sinon, ça ferait de lui un connard au même titre que Côle, et ça, Chris s'y refusait.

Pour autant, ça ne voulait pas dire que Cam pensait vraiment ce qu'il disait. Quelles étaient les probabilités pour que leur rapprochement de la veille ait court-circuité les neurones de Cam ? Chris l'avait suffisamment espéré pour être conscient de la possibilité.

Sauf que l'espérer et le vivre était deux choses différentes. Si Cam reprenait ses esprits dans la journée, Chris n'aurait plus que son chagrin et son cœur brisé pour l'accompagner.

— Non, refusa-t-il.

— Pardon ?

— Non, répéta-t-il plus fort. Je suis pas ton crush, Cam. Tu as juste la cervelle perturbée par hier et ce matin, et cette histoire de faux petit-ami. Tu commences à croire à nos mensonges, c'est tout.

— Non, mais...

— Pas toi, Cam ! Me fais pas ça ! Je supporterai pas que toi, tu te payes ma tête !

— Parfois, j'ai envie de te prendre par les épaules et de te secouer jusqu'à ce que tes neurones se connectent. Vraiment. Je ne sais même pas où je trouve la patience avec toi, mais crois-moi, un jour où l'autre, elle va s'épuiser !

— Je ne comprends pas...

— Je te laisse y réfléchir, soupira Cam en achevant de s'habiller. Je dois bosser dans une heure de toute façon. Et avant que ta caboche ne s'imagine des choses : je ne te fuis pas, je ne t'en veux pas, je dois vraiment aller bosser pour rattraper mes heures de lundi soir !

D'un pas léger, il revint vers le lit pour déposer un baiser sur la joue de Chris avant de s'éclipser.

Les yeux rivés à la porte close, Chris osait à peine respirer, retourné par les paroles de Cam.

[Oui, oui ! Ce fut la première fissure de mon second déni ! La première fois que j'ai vraiment envisagé, sérieusement et avec tout ce que ça implique, que j'étais le crush de Cam. Pour de vrai.]

Tout se compilait dans sa tête. La proximité de Cam, sa douceur, sa présence constante. Sa rupture avec Sandra et son refus que Chris jouât de nouveau les Cupidons.

Et surtout, surtout... ce « Et plus si affinités » prononcé des jours plus tôt revenait flotter autour de lui. 

Chris, ou comment se prendre pour Cupidon à NoëlWhere stories live. Discover now