Chapitre 33

98 24 9
                                    

4 décembre

Il n'avait fallu qu'un instant à Cam pour décider que son ami monterait à l'avant tandis que lui s'installerait juste derrière, à côté de Lise.

Bien trop content d'échapper à sa sœur pour toute la durée du trajet, Chris avait sauté sur la proposition et avant même que'Aggy n'ait décollé ses lèvres de celles d'Ely, il s'était glissé dans la voiture et attaché. Distraitement, il avait regardé Cam saluer Aggy, les avait vu discuter un peu avant de se tourner vers lui et s'était passionné pour ses gants.

Ses pensées l'avaient mené sur d'étranges chemins où il avait fini par essayer de déterminer qui des gants ou des mitaines étaient les plus adaptées pour l'hiver. Lorsqu'il s'était ébroué, Ely mettait le contact, Cam faisait cliqueter sa ceinture de sécurité et Lise babillait son impatience de retrouver Lizzie.

Et il était là à présent, les yeux rivés sur les vignes, bien trop conscient de la proximité de son crush. Bien trop conscient de l'endroit où ils allaient. Du monde qu'ils risquaient de croiser.

Ses réflexions se télescopaient dans son crâne.

 Il ne pouvait s'empêcher d'imaginer comment se déroulerait la sortie. 

Il ne pouvait s'empêcher de prévoir les conversations.

Il ne pouvait s'empêcher de trembler à l'idée d'oublier un sujet, un détail et de se retrouver perdu et désarmé.

Lise et Lizzie marcheraient ensemble, devant probablement. Ely, au début, resterait à ses côtés. Il discuterait de tout et de rien, lui raconterait les derniers potins de sa promo, lui demanderait des nouvelles, comment allaient ses cours. Sans doute qu'ils parleraient de la switch promise par le père si Chris avait une bonne note à ses partiels.

Puis, sans aucun doute, Ely laisserait sa place à Cam. Et... et là, Chris séchait. Qu'est-ce qu'il pourrait bien raconter à Cam ? Depuis leur balade dans Bergheim, ils ne s'étaient plus retrouvés en tête à tête. 

Depuis que Chris avait appris que Cam était bi et avait des vues sur un homme. Quant à Cam, même s'il se montrait toujours aussi adorable, il semblait quelque peu réticent, lui aussi.

[Pour la même raison qu'il s'était crispé pendant notre promenade sur le chemin des crèches : il ignorait si j'avais un quelconque problème avec les personnes bisexuelles. Heureusement qu'il m'en a parlé ce jour-là, parce que ce malentendu aurait pu durer éternellement. Et il y avait déjà suffisamment de malentendus entre nous !]

Lizzie les attendait au jardin de ville. Emmitouflée dans une doudoune beige, ses longs cheveux remontés en queue de cheval, un maquillage discret sur les yeux et les lèvres. 

— Elle est tellement belle, soupira Lise. Je crois que je suis amoureuse.

— Tu crois seulement ? s'amusa Chris.

— Si j'étais sûre, on aurait pas besoin de tous ces rendez-vous !! On y va doucement. J'essaie de voir si je peux sortir avec une fille, si je suis toujours attirée, si je la préfère elle ou mon crush mec, si...

— Attends... quoi ? S'offusqua Chris.

— Elle est au courant, déclara Lise au moment où Lizzie grimpait dans la voiture. 

— Salut tout le monde ! Salut Chouchou !

Elle se pencha vers Lise pour l'embrasser sur la commissure des lèvres, les yeux pétillants, puis elle envoya un baiser à Chris qui se renfrogna dans son siège.

— Chouchou Grumpy aujourd'hui ?

— Trop de monde. Je sais pas pourquoi je suis venu.

— À cause de Cam ? susurra Lise.

Il s'étouffa. Cam également.

[Forcément, une attaque aussi frontale dans cet environnement confiné qui ne permettait aucune fuite...]

— J'suis là parce qu'Ely m'a forcé, rien d'autre, se défendit Chris, mal à l'aise avant de farfouiller dans son sac à la recherche de son casque antibruit qu'il mit par dessus son bonnet avant de fermer les yeux.

Une sorte de douceur ouatée l'enveloppa aussitôt. Les sons lui parvenaient encore, atténués. S'il le voulait, il pouvait se concentrer pour espionner les conversations. Il préféra se laisser porter par le bourdonnement en sourdine. Hélas, ses pensées, elles, ne se mirent pas en sourdine.

Agacé, Chris rouvrit les yeux et ouvrit le vide-poche devant lui.

— Attends, t'as les Pentatonix, s'enthousiasma-t-il en sortant plusieurs vieux CD. Et les chants de Noël en plus !! Ely, on les met ? On les met ?

Il se tourna vers son jumeau, l'œil pétillant et la mine ravie. 

— Enlève ça et je les mets, déclara Ely, très sérieux, l'index pointé sur le casque avant de remettre la main sur le volant pour tourner à gauche. Enfin, tu vas le mettre tout seul, je peux pas entrer sur l'autoroute et mettre de la musique en même temps.

Chris fronça le nez, tira la langue à sa soeur puis se frictionna les joues avant d'obtempérer et de ranger l'objet dans son sachet avant de le placer dans son sac ; hors de question de l'oublier dans la voiture. Même si la plupart du temps, il s'en passait sans problème, il se sentait trop fragile pour prendre le risque.

Les boîtes de disques sur les genoux, le jeune homme passa les titres en revue avant d'arrêter son choix et de glisser le CD dans le lecteur. 

Bientôt, l'ensemble de voix a cappella s'éleva dans l'habitacle, couvrant la discussion de Lizzie et Lise (qui ne s'en formalisèrent pas).

Chris se concentra sur les nuances. Sur les mélodies. Sur les timbres tantôt graves, tantôt aigus. Sur le chanteur qui se prenait pour une batterie humaine. Chris avait lu le nom quelque part, mais il n'avait pas envie de se creuser la tête pour le chercher...

[On les appelle des human beat box. Ils sont impressionnants et font tous les sons de percussions avec la bouche et les mains. Les Pentatonix sont impressionnants de toute façon. Depuis que je les ai entendus pour la première fois (c'était avec " Sound ofSilence, si je me souviens bien), je suis devenu un fan inconditionnel. Et les voir en vidéo est encore plus fascinant. Comme tout se mêle à la perfection. Comme chacun d'eux connaît à la fois les sons, les paroles ou les bruits qu'ils doivent faire. Comme pris un par un ça ne ressemble à rien pour, tous ensemble, former cette époustouflante harmonie. 

Quand je les écoute, j'ai l'impression que mon cerveau dissocie. Ça me colle des frissons dans les épaules, qui redescendent à la fois le long des bras, dans le dos et dans le ventre. Ça enrobe toutes mes pensées, ça les fait disparaître et ça me donne envie de chanter avec eux.

Ce que je finis toujours par faire sans même m'en apercevoir. Et bien évidemment, ce dimanche matin là n'a pas fait exception.

À la troisième chanson entonnée par mon groupe préféré, j'ai mêlé ma voix aux leurs. Tout doucement, au début. Comme un chuchotement. Puis un peu plus fort, pour m'entendre un peu, pour tester le mélange. Et enfin... carrément à tue-tête.

Mais le moment le plus merveilleux, ça a été quand Cam m'a rejoint.

Que nos voix se sont enlacées comme jamais elles ne l'avaient fait.

Quand je suis chez moi, il chantonne. Parfois, je me joins à lui, c'est vrai, mais jamais avec une telle puissance. Jamais aussi fort.

Et à ce moment-là, dans la voiture... 

Je suis passé de "en crush" à "amoureux". ]



Chris, ou comment se prendre pour Cupidon à NoëlWhere stories live. Discover now