3. Fureur et condescendance

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La nuit avait été longue. Très longue. Du point de vue de Calliope, elle lui avait même paru durer une éternité, si bien que quand le soleil avait commencé à poindre derrières les lourdes tentures des rideaux elle n'avait toujours pas fermé les yeux. Elle s'était sentie mal dès le moment où elle s'était retrouvée seule avec elle-même. La tension des derniers jours, ses appréhensions, ses découvertes, ses erreurs, et ses déconvenues tout s'était mêlé en un tumulte qui n'avait eu de cesse de la tourmenter toute la nuit durant. La jeune femme avait enfin pris la mesure des évènements, et c'était d'autant plus violent qu'elle avait attendu de se trouver loin de tout pour tout assimiler. La trahison de Louis, le désaveu de sa famille, son avenir remis en jeu, son voyage vers Levant, sa rencontre avec Anton Roslov.

Anton Roslov. Il avait eu le don de la rendre perplexe quant à l'attitude qu'elle devait avoir vis-à-vis de lui. S'il s'était montré accueillant en lui offrant à manger, puis en l'aidant à monter ses affaires jusqu'à cette chambre qu'il avait fait préparer pour elle, il s'était aussi montré d'une froideur sans commune mesure. Que cela soit dans sa façon de se comporter toujours très lointaine jusqu'au ton utilisé pour lui parler, tout n'avait fait qu'agrandir la sensation de malaise qu'elle pouvait avoir vis-à-vis de lui.

Bien sûr Calliope n'était pas sans ignorer la réputation de cet homme, et encore moins les bruits qui courraient à son sujet. Néanmoins, les rumeurs restaient des rumeurs, et pour en avoir été victime, elle savait qu'il fallait s'en méfier car la plupart n'était que de vulgaires mensonges ayant pour but de diffamer. Elle m'était bien plus cette froideur à son égard sur le compte de la déception qu'il avait dû ressentir en lisant la lettre de son père, et plus encore en découvrant à quoi pouvait bien ressembler sa nouvelle fiancée. S'il s'était attendu à recevoir une frêle jeune fille à la beauté aussi juvénile qu'époustouflante, il en était pour son compte.

Pour autant, en accord avec ses propres déceptions, elle osait avouer qu'il n'était pas le seul lésé dans cette histoire. Anton Roslov était à mille lieux de cette image de l'homme parfait qu'elle s'était construite. Louis avec sa peau halée, ses grands yeux noirs, et ses cheveux bruns était le reflet même des aspirations qu'elle avait eues, seulement elle n'était pas assez dupe pour ne pas savoir que tout cela n'était rien de plus qu'un jeu de l'esprit. Ils avaient été promis l'un à l'autre pendant si longtemps qu'elle s'était fait tout un monde de ce qui n'était à l'évidence pas grand-chose. Elle en voulait pour preuve le fait que la douleur ne pointait plus temps dans son cœur que dans son amour propre. Peut-être bien qu'après près de vingt-ans de fiançailles sans l'ombre d'un mariage à l'horizon, elle s'était, sans s'en rendre compte, fait à l'idée qu'ils ne se marieraient jamais.

Elle s'extirpait douloureusement de son lit, rejetant les draps avec mollesse. La salle de bain l'attendait, et elle ne se refusa pas le luxe d'une douche chaude. Celle-ci l'aida à se remettre un peu d'aplomb, et tout en se forçant à sourire à l'image que lui renvoyer son miroir, elle essayait de se rendre un peu plus présentable. Cela n'était pas chose aisée au regard d'une masse de cheveux difficile à discipliner même au sortir de la douche, et plus encore des marques violacées qui lui cernaient les yeux. Qu'importe, il n'était pas dans sa nature de se farder au point d'en être méconnaissable, et il faudrait bien que son fiancé se fasse à l'idée qu'elle n'avait rien en commun avec ces dames qu'il devait fréquenter dans le grand monde au côté de l'empereur.

Sans mot dire, elle extirpait de son sac une robe aux tons automnales dont le décolleté certes un peu trop échancré laissait entrevoir le galbe d'une poitrine que sa mère avait toujours jugée indécente. La nature l'avait ainsi doté de tout ce qui se trouvait être le contraire des modes en vigueurs : assez peu d'oisiveté et une silhouette un peu trop courbée sur certains points. Les critiques constantes de sa mère au sujet de ses seins, de ses fesses, ou de ses hanches lui avait parfois laissé à penser qu'elle avait une silhouette plus proche de celle d'un animal que d'une femme. Elle s'en était, avec le temps, accommodée faisait fi des moqueries et des regards vipérins de ses pairs.

Cruelle VoluptéWhere stories live. Discover now