Chris, ou comment se prendre pour Cupidon à Noël

Chapitre 34

[Si Cam n'avait pas eu les yeux aussi écarquillés et à la limite de faite un AVC, peut-être que je n'aurais pas mal interprété sa réaction. Sur le coup, j'ai cru qu'il était choqué. Dans le mauvais sens du terme.]

— Non ! Inviter comme pour te rembourser les courses de l'autre fois !

Une drôle d'expression chiffonna le visage de Cam qui remonta son écharpe sous son cou avant de recommencer à marcher.

— Oh.

— Tu es... fâché ? tenta Chris, un peu perdu.

— Non, mais je ne m'attendais pas à ça.

Chris profita du fait que Cam regardait la ville pour observer son profil. Ses cheveux roux qui s'échappaient de son bonnet. Sa peau pâle constellée de taches de rousseur qui ressortaient dans la clarté matinale. Sa barbiche soignée qui semblait picorer son menton sans faire l'affront d'ourler les lèvres.

Des lèvres qui devaient être douces à embrasser... si douces. Comment Cam embrassait-il ? Pas avec un de ces baisers humides et baveux, quand même !? Chris aurait-il la chance d'essayer un jour ? En avait-il envie ?

[Bien. Non. Oui, mais tardivement puisque dans ma tête, les baisers sont réservés aux couples et uniquement aux couples. Eh oui. Beaucoup même. Très beaucoup.]

Lorsqu'il prit conscience que ses joues chauffaient et qu'il fixait son ami la bouche entrouverte, Chris s'ébroua et se concentra sur les pavés.

— Tu t'attendais à quoi ? risqua-t-il d'une voix enrouée. Tu... tu voulais que je t'invite ? Comme un rencard, je veux dire ? Ou alors, tu as eu peur que je t'invite ?

— Qu'est-ce que tu penses des Bi ? le coupa Cam de but en blanc.

[Ce qui eut le mérite de me ramener brusquement sur terre.]

— Ce que je pense de quoi ?

— Des personnes bisexuelles.

— Lise est bisexuelle, répondit Chris .

[Et dans ma tête, cette déclaration était la preuve que ça ne me dérangeait pas. C'était l'évidence même à mes yeux. Mais pas à ceux de Cam, bien sûr.

Avec le recul, je me dis que ce genre de réponse n'est une évidence pour personne.]

— Ça me dit pas ce que tu en penses.

— Mais pourquoi je devrais en penser quelque chose ?

— Tu as eu l'air gêné quand j'en ai parlé l'autre soir.

— Donc, tu es vraiment bi et tu crushes vraiment sur un mec ? Et tu veux toujours pas de conseils de ma part ?

Moqueur, Cam braqua les yeux sur son ami qui détourna aussitôt le regard.

— Parce que tu as des conseils à me donner pour faire tomber raide dingue de moi un mec qui est plus aveugle qu'une taupe ?

[Pas vraiment le genre de phrases qui m'aident dans une conversation.]

— Quand tu dis ça... tu veux dire que le mec est littéralement aveugle, ou alors c'est une métaphore ?

— Métaphore, Chris. C'est une métaphore. Il a de très bons... et très beaux yeux. Mais il ne voit pas ce qu'il y a sous son nez. Un peu comme toi, acheva-t-il en appuyant sur les mots.

[Oui, je sais, pour toute autre personne que moi, le message était juste clair. Mais j'acceptais tout juste mes sentiments amoureux pour lui sans être encore parvenu à me défaire de ceux pour Côle, alors le chemin était encore long avant d'accepter l'idée que Cam ait pu s'intéresser à moi.

Cela dit... au fond de moi, l'espoir d'un double sens à ses mots naissait. Un espoir tenu, fragile et vacillant.]

— Il va forcément finir par le voir, tu es quelqu'un de bien, finit par lâcher Chris sans avoir réussi à déterminer s'il se faisait des idées ou non.

— Ha oui ?

— Il va tomber amoureux en deux secondes !

— Tu tomberais amoureux, toi ?

— Hein ? Mais non ! Tu es mon meilleur pote !

[Réaction instinctive à un élan passager de panique.]

— Aucun rapport avec une biphobie intégrée, alors ?

Cette fois, ce fut Chris qui s'immobilisa. Il vérifia qu'Ely était à proximité (il était entré dans une échoppe qui vendait des moules de kouglof au rez-de-chaussée d'une adorable maison à colombages). Puis que Lise et Lizzie étaient toujours en vue (en face à face, les mains entrelacées, elles discutaient avec passion devant un vendeur de marrons, non loin du premier chalet de la place des Dominicains). Enfin, il reporta son attention sur Cam.

— Est-ce que tu pourrais formuler clairement ce qui te perturbe avec la bisexualité ? Parce que je t'ai dit que Lise est bi... enfin, c'est pas une grosse surprise, hein.

— Est-ce que ça te gêne, que je puisse aimer à la fois les hommes et les femmes ? Enfin, quand je dis « à la fois », je ne suis pas polyamoureux, juste que je peux être attiré par les femmes ou les hommes. Par un homme en ce moment. Mais je suis fidèle ! Même si je n'ai pas à l'être puisque je ne suis pas en couple.

— Je m'en fous.

Cam frémit et recula, une lueur peinée dans les iris.

— Oh, pardon, je... désolé. Je voulais pas raconter ma vie et... c'est un peu rude, ça, Chris.

— Non, mais je m'en fous que tu sois bi, je veux dire. Tant que tu restes Cam, tu peux bien être bi, gay ou hétéro que ça changera rien pour moi.

[Bon. Pas hétéro. Ce que j'aurais ajouté à ce moment-là si j 'en avais eu le courage.

"S'il te plaît, Cam sois pas hétéro ! Sois vraiment Bi ! Tombe amoureux de moi, toi aussi ! »

Bon, une « prière » plutôt ridicule quand on sait qu'il m'aimait depuis de longs mois déjà.]

Cam ferma les yeux, prit une profonde inspiration avant d'attraper la main de Chris.

— Eh bien, j'espère que, bientôt, ça changera quelque chose pour toi. Et dans le bon sens. Allez, viens, elles vont nous semer !

Et sans se soucier du cœur de Chris qui semblait décider à danser la samba, Cam avança d'un pas décidé vers Ely en resserrant les doigts sur sa prise.