Chapitre 1 - Emma

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— Ton père est un abruti, quoi qu'il en soit !

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— Ton père est un abruti, quoi qu'il en soit !

Ma grand-mère. Toujours cette faculté à être franche et à ne pas cacher ce qu'elle ressent. J'ai souvenir d'elle quand j'étais jeune, elle répétait en boucle « il vaut mieux dire ce que l'on pense que de mourir avec ses avis ! ». Alors, forcément, je ne pourrais jamais contrôler ses paroles, surtout en ce qui concerne mon père. Si vous la connaissiez aussi bien que moi, vous sauriez qu'abruti est un gentil mot pour qualifier l'homme qui m'a élevé à son sens.

C'est généralement à cet instant très précis que je choisis de fuir. Histoire de ne pas avoir à valider ses dires et encore moins pour la contrarier, parce que je sais qu'au moment où elle commence, elle en a pour la journée.

— Merci pour le thé, mamie, mais il faut vraiment que je me mette en route pour le travail, sinon je vais perdre mon job en plus du reste !

Elle hoche la tête, toujours aussi dubitative. Elle s'est toujours demandé ce que je faisais dans cette société qui m'emploie comme larbin, plutôt qu'autre chose. Depuis trois ans, j'exécute les missions dont personne ne veut, ou comme le cracherait mon patron : celles qui sont insurmontables pour les loques. Autant vous dire que je ne suis pas aussi sensible que mes collègues et je suis devenue si aguerrie que même eux en viennent à me craindre. Je me demande si l'on pourrait m'appeler pour virer quelques-uns d'entre eux au besoin... Et je préfère ne pas y penser parce que je serais trop impitoyable pour leur faire le moindre cadeau et je les avalerais tout cru.

— Envoie-le bouler ! Tu travailles trop !

Je souris en attrapant mon sac à main avant de lui faire face.

— Mais un jour, je serai en haut de l'échelle et c'est moi qui donnerai les ordres !

Ma grand-mère est une de ces femmes que l'on admire toute une vie. Malgré ses soixante-quinze printemps, ou plutôt comme elle le dit si bien : ses quelques années en trop, elle épate tous ceux qui l'entourent. C'est la seule qui me donne envie de vivre si longtemps et d'offrir autant d'amour qu'elle m'en a donné. Je voudrais habiter dans son monde éternellement, me réapproprier l'univers de son œil excentrique comme autrefois, mais dans ma vie d'adulte, ça ne se passe pas réellement de cette façon.

— Et ce jour-là, je rappellerai à ton père que ce n'est qu'un abruti ! On se voit demain, ma poucinette !

Sur ces paroles plus qu'amusantes et redondantes, j'enfile mon manteau et récupère mon attaché-case, dans l'entrée totalement surchargée de cet appartement où j'ai tout connu. Je serais sûrement capable, toute ma vie, de me remémorer ce mélange d'encens et de fleurs qui y plane, rappel des anciennes habitudes hippies de ma grand-mère. Ou plutôt « La belle époque, Emma ! La belle époque ! » Je referme la porte derrière moi sans plus de cérémonie pour retrouver ma voiture garée à quelques mètres de la rue parisienne où on a élu domicile. C'était il y a de longues années déjà, elle a simplement suivi sa petite fille chérie qui entrait dans la vie active comme si c'était la seule possibilité.

Pleasures' GardenWhere stories live. Discover now