CHAPITRE IV

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En se réveillant, elle eut l'impression d'avoir un camion à la place du cerveau. Elle n'avait jamais eu aussi mal de sa vie. C'est peut-être parce qu'elle était morte. Elle prit volontiers le doliprane ainsi que le verre d'eau que l'infirmière lui tendait, sans savoir que c'était purement psychologique, étant donné que les morts ne ressentent rien. En relevant les yeux, elle tomba sur l'entraîneur. Celui-ci, en la voyant réveillée, et sans pitié, amorça une discussion.

- Bon, je commence par les points positifs ou négatifs ?

Chaque mot résonnait dans sa boîte crânienne. C'était atroce. Lassé d'attendre, l'entraîneur répondit à sa propre question.

- Entièrement d'accord avec vous. Les points positifs d'abord. Vous avez réussi à traverser. Franchement, j'en ai vu exploser bien plus forts que vous. C'est à peu près tout. Ah oui, vous ronflez pas quand vous dormez. Croyez-moi, c'est très positif, ça. Bon, le négatif maintenant. Pour moi, je vais devoir continuer avec vous. Si je n'avais pas été là vous seriez en train de vous réveiller sur le sol de je ne sais où. Pour vous, on reprend dans 10 minutes. Vous avez fini votre verre ? Bien, levez-vous.

Acquiescer pour répondre à sa question avait fait tanguer le monde, alors, quand il la sortie du lit, elle ne tint pas trois secondes avant de s'écrouler.

- Ces jeunes je vous jure.

- Vous êtes toujours aussi aigri ?

- Quand vous pensiez avoir le repos en mourant et que vous vous retrouvez à avoir ce métier depuis 89 ans, oui.

- Comment êtes-vous mort ?

- Il y a des questions qui ne se posent pas. On y va ?

Sans attendre sa réponse, il sorti de la chambre d'hôpital. Enfin, Ophélie pensait que c'en était un. Cependant, en sortant, elle tomba nez à nez avec le vide. En relevant la tête, des escaliers flottaient, menant à une montgolfière. Ils descendirent jusqu'à elle. Une fois dans la nacelle, elle eut une plus grande vision de "l'hôpital". C'était un grand bâtiment rond, un peu comme un donut. Des montgolfières partaient et arrivaient en directions de chambres qui ressemblaient à la sienne. Il régnait un silence de mort à bord. L'expression est peut-être mal choisie. Ophélie avait une ribambelle de questions prêtes à sortir, mais elle se retint. Elle n'avait pas le courage de tenir une conversation avec ses amies, alors avec l'entraîneur qui semblait ne pas l'aimer ? Jamais de la vie.

Ils arrivèrent à l'endroit où ils étaient avant le blackout. L'entraînement repris. Au bout de quelques semaines, et d'encore plus d'aller-retours à l'hôpital, ne voulant pas poser la question c'est ainsi qu'elle avait décidé de l'appeler, elle arrivait à traverser sans tomber dans les pommes.

Elle fut surprise de découvrir, au fil du temps, que les morts ne mangeaient pas, de même qu'ils ne buvaient pas, ne dormaient pas (sauf en cas extrême où ils tombent dans les pommes, par exemple), ce qui constituait un grand gain de temps. Elle s'était d'ailleurs fait la réflexion que tous les morts étaient jeunes, enfin, ils faisaient partie d'une tranche d'âge particulière : dans les 18 à 60 ans. Il faudrait qu'elle pose la question à quelqu'un. Un jour. Probablement dans longtemps. D'ailleurs, depuis combien de temps était-elle morte ? Elle n'en avait pas la moindre idée.

Elle avait revu une ou deux fois à travers les nuages son meurtrier pendant les retours de l'hôpital. Il était vraiment magnifique. Ces yeux, surtout... Elle avait aussi vu Minnie une fois. Elle dormait sur sa tombe.

Au bout de ce qui lui avait semblé une éternité, l'entraineur, un beau jour, lui avait annoncé que son travail était terminé et, soudainement, il disparut. Ce fut la dernière fois qu'elle le vit. Désespérée, elle ne savait que faire de son temps désormais. Elle n'avait aucun but. Elle finit par croire qu'elle deviendrait un de ces errants qui vivaient dans les bas-fonds.

Dans Les YeuxWhere stories live. Discover now