Chapitre 1

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Ça fait 25 ans que je suis bipolaire sans le savoir. Enfin disons au moins 25 ans, vu que le premier évènement dont je me souvienne c'est quand j'avais 12 ans. C'est possible que ça ait commencé avant, mais je ne crois pas pouvoir estomaquer un chiffre plus grand que 25 donc restons sur 25.

J'avais 12 ans la première fois que j'ai eu envie de mourir. J'en pouvais plus non seulement de la pression constante de réussite scolaire – dont les attentes étaient par ailleurs complètement folles voir débiles – mais surtout de l'absence totale d'amour que je recevais. J'ai toujours été à la fois très sensible et très forte, ayant besoin a la fois d'être aimée profondément, cajolée, bercée, prise dans les bras, rassurée, mais aussi indépendante avec une volonté et une capacité de survie hors norme. C'est ces dernières d'ailleurs qui me permettent de vous écrire aujourd'hui et de ne pas m'être entre temps jetée d'une montagne.

Bref, ça faisait peut-être une ou deux années que mon univers intérieur glauque et lugubre se développait, et que je ne connaissais aucun moment de répit, aucun geste d'amour ne balayant ces ombres et spectres. J'avais 12 ans, et à l'époque j'avais bien compris que j'embarquai sur une pente qui n'allait me mener à rien d'autre qu'à un désastre annoncé, que ces spectres et ombres n'allaient que grandir, se développer, prendre des formes de plus en plus élaborées, dessiner de plus en plus précisément un univers de douleurs intérieurs faites d'angoisses profondes, cette sensation d'étau qui se resserre et vous traie le cœur de tout sentiment de vie. J'étais pas folle a l'époque !! J'avais bien compris que la manière la plus rapide et indolore d'en sortir c'était la mort.

J'ai donc exprimé cette envie de mourir. C'est marrant parce que récemment j'ai relu un de mes carnets de santé, et a cette date du 12 janvier mon médecin de famille (oui parce qu'à défaut de m'amener aux urgences psychiatriques pour faire un état des lieux de ce qui se passait et prendre au sérieux cette demande somme toute assez étrange de vouloir mourir, on m'a amené voir mon médecin de famille qui franchement n'y bitait pas grand chose), a écrit avec beaucoup de pudeur que j'avais eu une « petite inflexion d'énergie ».

Bref moi j'avais envie de mourir, et en échange on m'a fait prendre du magnésium pendant un mois – parce que c'est bien connu, les carences en magnésium ça donne envie de mourir. Et les carences en fer ça donne envie de se transformer en lutin des bois peut-être? Mon cul.

Et pour ceux qui y ont eu droit – le magnésium en fiole, c'est absolument de-gueu-lasse.

Bref – double punition.

Mais finalement j'ai profondément intégré le fait que mon envie de mourir n'était qu'une chose anecdotique dans de ma vie et de surcroît dans notre vie de famille, j'ai donc repris tranquillement le cours de mon existence, en commençant quand même par une bonne petite dépression nerveuse « post-magnésium », bah oui on ne se refuse rien.

Cet épisode a lancé la phase 2 du développement de mon existence intérieure, libérée de toute barrières et limitations, développant spectres et ombres dévorantes à foison. Des forts furent érigés pour s'assurer que toute émotion malveillante du style empathie, amour ou attention ne vienne perturber l'ordre consciencieusement mis en place par cette belle dictature intérieure : des chemins de fer furent tracés vous emmenant directement d'un je me sens pas ouf aujourd'hui à son terminus, la dépression la plus totale, et ce sans arrêt intermédiaire; et des temples érigés aux dieux de la dépression et du suicide.

Je n'avais pas encore 13 ans.

Bienvenue dans mon monde, fait de fleurs et de tombes.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 20, 2021 ⏰

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Je déteste ma vie, elle est génialeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant