— Je connais Eva et Liza, des sœurs jumelles, depuis que je suis enfant. Nous allions au même cours de musique. Quand nous étions petits, Eva jouait déjà au violon, et moi je l'accompagnais au piano. Elle était extrêmement talentueuse.

Ses yeux brillent, pareils à des lucioles, et je reste captivée par son histoire.

— Quand nous sommes arrivés à la Golden Academia, Eva a pu laisser libre cours à son talent. Ça a attiré l'intérêt des professeurs, un peu comme Andreas Thomas et son génie.

Je hoche la tête en silence et essaye tant bien que mal d'ignorer la douleur dans ma poitrine. Il me scrute un instant, comme pour interpréter les moindres de mes réactions, et continue.

— J'ai voulu faire le malin la dernière fois en faignant savoir ce qu'il se passe entre ces deux-là, mais je t'avoue que je n'en ai aucune idée.

Il ricane en se grattant la nuque.

— D'après ce que je sais, ils ne sortent pas ensemble. Mais leur relation va au-delà du professionnel, ça, j'en suis sûr.

Je hoche lentement la tête pour avaler la pilule. Ils ne sont pas ensemble. Pourtant, la relation qu'ils entretiennent a l'air tellement intime. Ça me fait mal au cœur. Je sais que je n'ai pas le droit d'éprouver de tels sentiments, car lui et moi, nous ne nous devons rien. Mais je ne peux pas m'en empêcher.

Je désire cet homme plus que tout.

Je relève les yeux vers Steven.

— Pourquoi acceptes-tu de me raconter tout cela ? De ce que je sais, tu n'as rien à y gagner.

Quelques passants nous interrompent en parcourant le couloir qui sépare nos deux corps, illuminés par les bribes de lumière qui traversent les fenêtres à carreaux, un peu comme les figures sombres dans l'aquarelle Contre-Jour d'Ejoumale-Abel.

Un rire nerveux s'échappe des lèvres de Steven et il me sourit.

— J'aime bien les ragots.

Je fronde les sourcils.

— Je veux une vraie réponse.

Il ricane et hausse les épaules.

— C'est bien dommage, parce que c'est la vérité. J'aime avoir des oreilles partout.

Je ne réponds rien et un tonnerre d'applaudissements provenant de la Grande Salle nous fait tous les deux sursauter.

— C'est probablement au tour d'un des derniers duos de la journée, s'exclame Steven, les yeux pétillants. Envie d'y assister ?

J'acquiesce et nous poussons les portes battantes pour pénétrer dans une salle immense à la lumière tamisée. Une forte odeur de poussière chaude me monte au nez et je renifle tout en m'avançant.

Nous nous trouvons sur un balcon juste au-dessus de la scène sombre et encadrée de rideaux bordeaux. Je m'approche de la rambarde et découvre avec émoi un immense piano à queue noir verni ainsi qu'un magnifique violon en bois lustré. Ils sont tous deux déposés avec précaution sur la scène.

Les battements de mon cœur s'emballent tout à coup quand Andreas et Eva s'avancent d'un pas assuré vers les instruments. Je surprends le coup d'œil pas très discret que jette Steven dans ma direction. Je comprends qu'il savait que c'était leur tour, aux vues du programme qu'il vient de fourrer dans sa poche arrière.

Mon sang ne fait qu'un tour et mon corps se met à trembler d'impatience : je vais les voir jouer ensemble. Surtout, je vais le voir jouer. Pour la toute première fois. Pour de vrai, de vrai, de vrai.

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