À vingt-sept ans, sans attache particulière, loquace déconneur et bien souvent immature, Ange cache un secret qu'il aimerait oublier à tout jamais. Un secret qui l'a amené à changer du tout au plus, en prenant le risque de se perdre lui-même.
Depuis...
— J'ai demandé des renseignements auprès d'une école formatrice en massage de bien-être. C'est un univers complètement différent. C'est reposant. C'est intime.
— Et ça te permettrait de découvrir les gens, avec tes mains, compléta Claire.
Comme Luce haussa un sourcil, la châtaine réalisa qu'elle s'était mal exprimée.
— Depuis que tu as perdu la vue, tes mains sont tes yeux.
— Mes oreilles aussi, rajouta Luce.
— Oui, tes oreilles aussi, mais...
En entendant son amie rire, Claire s'arrêta.
— Je comprends où tu veux en venir, je te charriais juste un peu, pour le plaisir.
Le sourire de Claire fut des plus grands. Cela faisait longtemps que sa coloc n'avait pas rigolé aussi sincèrement.
— Depuis que j'ai rencontré Ange, j'ai changé. Il m'a amenée à changer. Je suis moins fermée. J'ai fait la paix avec mon handicap, même si parfois les inégalités et les jugements des gens me donnent envie de retourner à ma période où je haïssais tous ceux qui voyaient correctement.
La châtaine secoua la tête, amusée par l'annonce de son amie. Au moins, elle était sincère. Parce qu'elle aussi l'avait ressentie, cette haine. Cette haine que Luce avait eue, même pour sa meilleure amie, car elle pouvait encore profiter des couleurs, des formes, des profondeurs et tout ce que la brune avait perdu.
— Je suis plus attentive envers mon propre corps. Et le fait de me tourner vers celui-ci, m'a fait réaliser que c'était un moyen pour moi de m'apaiser. Alors j'ai songé qu'en me tournant vers celui des autres, je pourrais me sentir utile. Du moins, plus utile qu'en accordant des pianos.
Le discours de Luce semblait plutôt réaliste et réfléchi aux yeux de Claire.
— J'ai donc demandé à cette école, qui est sur Toulouse, premier avantage, qu'est-ce qui était requis pour entrer en formation.
Même si Claire se demanda tout de suite comment elles allaient faire financièrement, elle se tut pour laisser son amie parler :
— Il y a une session qui débute en décembre. Ça me laisserait le temps de poser ma démission au magasin d'instruments et de faire mon préavis.
— D'accord, mais est-ce que tu serais rémunérée ?
Au visage de Luce, la châtaine comprit qu'elle avait pensé à tout.
— Tu sais que depuis des années, je mets de côté. Actuellement, j'ai assez pour tenir plusieurs mois. Ensuite, j'espère pouvoir exercer rapidement, dans un spa, de préférence. Puis mes parents ont dit qu'ils soutenaient mon projet professionnel.
Si Luce avait parlé de tout cela avec sa famille, alors cela voulait dire qu'il s'agissait d'un projet murement réfléchi. Claire se sentit soudainement émue. Son amie qui avait autrefois perdu goût pour la vie et avait refusé d'emprunter les différents chemins qu'on lui avait proposés, avançait enfin.
— Alors si ça ne te dérange pas d'être mon premier cobaye, je voudrais savoir si tu accepterais d'être le modèle sur lequel je m'entraîne.
La châtaine n'en croyait pas ses oreilles.
— Tu veux dire que c'est officiel, tu vas vraiment suivre cette formation ?
— J'ai déposé mon dossier. Et d'après les dires de la secrétaire, qui m'a appelée ce matin, je ne suis pas la seule malvoyante de cette année à avoir été acceptée.
Le sourire de Claire fut si grand qu'elle en eut mal aux jours.
— Oh mon Dieu Luce, félicitations ! Je suis si contente pour toi !
Les exclamations de Claire se mélangèrent au rire de la brune.
— Je suis contente aussi, et même si j'appréhende un peu, car je n'ai aucune certitude que je me tourne vers la bonne voie professionnelle, je suis excitée de découvrir ce qui m'attend.
— Luce, masseuse en bien-être, praticienne en spa, ouah ! Je t'imagine déjà dans ta tenue, tu vas être géniale !
La jeune femme rigola de plus belle.
— Attention, je suis acceptée pour la formation, je ne suis pas encore diplômée.
— C'est tout comme, je n'ai pas d'inquiétude quant à la validation de ton diplôme. Tu vas tout déchirer.
Luce passa du rire au sourire.
— Autrefois, quand il y avait encore Dorman, je me disais qu'être accordeuse d'instruments, ça pouvait durer encore un peu. Mais quand il a été viré et que je l'ai entendu jouer dans ce bar, j'ai commencé à comprendre que j'étais un imposteur. Parce que contrairement à lui qui vit pour la musique, moi je bosse dans ce magasin uniquement pour payer mes factures. Alors j'ai voulu me trouver une véritable passion. J'ai voulu découvrir ce que j'étais capable de faire.
Claire hocha la tête tandis qu'elle écoutait son amie parler de ses réflexions qui l'avaient amenée à prendre une telle décision radicale.
— C'est bien parfois les changements dans la vie.
La jeune femme songea aux fois où son amie lui disait de se taire pour écouter la nature se réveiller. Elle la revoyait en train d'essayer de reconnaître le son de chaque oiseau du coin. Claire avait eu la réponse sous ses yeux durant longtemps et désormais que Luce lui avait fait cette révélation, elle réalisait à quel point elle avait été aveugle de ne pas s'en rendre compte.
La cécité de Luce l'avait changée et désormais, elle était comme une fleur prête à s'épanouir.
— La Luce que j'ai rencontrée durant mes études voulait toujours voir son nom en haut des affiches. Elle voulait être leader. La Luce que je vois désormais est plus en paix avec soi-même. Elle est à l'écoute des autres et d'elle-même.
Claire posa sa main sur celle de son amie.
— La Luce que je vois maintenant est en train de s'épanouir. Et j'ignore si c'est grâce à Ange, Dorman, les événements, moi ou bien d'autres choses que j'ignore, mais je dis merci à ce qui t'a menée vers cette voie.
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Alors qu'Ange semble incapable de remonter la pente, on voit que Luce avance. Elle se cherche et s'est peut-être trouvée. Quoi qu'il en soit, elle souhaite tirer un trait sur son passé professionnel et sur Dorman.
