Deuxième

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Quelque part, il y a une planète avec un enfant et un livre de fleurs.

"Mais vous aviez dit que c'était il y a très longtemps."

Jungkook lance un regard au petit Glietian et tend la main, lui ébouriffant les cheveux. Sa chevelure est sombre, épaisse et lui font penser aux vrilles d'une nuit lointaine, quand les étoiles peignaient encore les cieux.

"C'est le cas," répond Jungkook, et malgré les années terrestres qui passaient, il n'arrivait pas à se débarrasser complètement de son accent. La note de ses mots sonnait plus ronde, plus douce, ses mots étaient liés d'une façon différente de celle des Glietians.

"Alors comment peut-il être un jeune homme ? Il ne devrait pas être un—un..." le petit Glietian fronce des sourcils, ses expressions faciales étonnamment similaires à celles des humains. Jungkook se demande si l'un de ses parents ne serait pas humain mais c'était encore chose rare, et les tests génétiques sont en suspens.

"Un adulte ?" glisse Jungkook avec un petit rire, s'adossant à son dossier, sa tête reposant sur le tronc de l'un de ses arbres bien-aimés. Il pointe du doigt le plafond de la serre, une fine feuille de plasma en mouvement retenant l'oxygène, expulsant l'azote, projette l'univers à travers une étendue céleste factice.

"Oui, l'une de ces choses."

"Puisque je ne sais pas encore s'il a choisi de grandir," dit Jungkook, "j'ai décidé de ne pas le faire non plus. Je suis encore un garçon."

Le petit fronce à nouveau les sourcils, "Qu'est-ce que ça veut dire ?"

Jungkook appuie sur quelques boutons de son siège et il tournoie dans l'espace, roulant vers l'extrémité de la serre, où un mur entier est couvert de livres soigneusement rangés dans des étuis pour prévenir leur décomposition. Il s'en approche et en extrait un, un livre particulier, un livre fin, avec l'image d'un petit garçon et d'une fleur sur la couverture.

"Vous nous avez aussi lu ce livre," Le petit Glietian s'écrie, frappant dans ses mains et souriant.

"C'est mon préféré, enfin non—mon préféré est avec ce garçon sur Terre."

"Quel est son nom ?"

Jungkook s'arrête, le nom de Jimin sur le bout des lèvres comme une imploration, une perle, une promesse éternelle d'un peut-être, "Je ne m'en souviens plus—comme je l'ai dit, c'était il y a très longtemps. Mais j'aime penser à lui comme étant le gardien de mes souvenirs."

"Gardien des souvenirs," la voix du petit Glietian fait écho à celle de Jungkook, sa voix vibrante douce et ronde, tentant d'imiter son accent. Jungkook ouvre Le Petit Prince et indique un passage à propos de la perception, des cœurs, des fleurs et le lit à voix haute, traduisant à mesure qu'il avance. Le petit garçon reste silencieux jusqu'à la fin et penche la tête.

"Alors toutes ces fleurs sont pour lui ? Pour qu'il n'ait pas à s'inquiéter de si un mouton aille manger sa fleur ? Il y a trop de fleurs pour qu'un mouton puisse manger ici !" et, comme pour il lustrer ses propos, le petit agite sa main vers l'étendue massive de la serre, des acres et des acres de terrain, des acres et des acres de fleurs de cerisier.

Jungkook est amusé, "Très bien vu—oui. Elles sont pour lui. Pour qu'il puisse regarder dans le ciel et voir les étoiles éclore aux côtés des fleurs."

"Il doit se sentir si seul, sans personne pour lui tenir compagnie..." dit le petit Glietian, fronçant son nez alors qu'un pétale se dépose dessus. Il louche brièvement, fixant la petite chose rosée avant qu'il ne secoue la tête et que le pétale virevolte pour se poser au sol. Jungkook pousse un soupir et acquiesce. Il essayait de ne pas penser (comme il l'eût fait durant tant de nuits, tant de jours, tant de semaines et de mois et d'années) à comment Jimin devait sembler si petit, recroquevillé sur le sofa, il essayait de ne pas se demander si Jimin s'était endormi en chantant cette nuit là, les yeux fermés, prétendant que c'était la voix de Jungkook et si Jungkook devait regretter une chose de toute sa vie (à l'exception de celle évidente d'avoir laissé Jimin—si seulement il avait tenu—si seulement il avait—si seulement) il dirait que ce serait ne pas avoir chanté quand il en avait l'occasion. Ne pas avoir chanté pour Jimin lorsque ce dernier le lui demandait, ne pas avoir chanté pour le réveiller, ne pas avoir chanté pour le faire s'endormir, ne pas lui avoir chanté au rythme des empreintes de chaque jour qu'ils vécurent ensemble en tant que jeunes garçons. Des garçons qu'ils étaient toujours aujourd'hui.

"Il a mon livre favori pour lui tenir compagnie, et s'il peut le voir, il a aussi cet immense jardin dans le ciel," dit Jungkook, souriant pour lui-même. Parce qu'il doit se raccrocher à quelque chose pour rester sain d'esprit, ironique que ce soit cette chose précisément qui le pousse à ce que les gens d'autrefois auraient appelé la folie—croyant, se voilant la face—non, croyant que peut être, il y avait une chance pour que Jimin soit toujours en vie, regardant vers le ciel et se demandant si Jungkook était là lui aussi.

"Mais si les fleurs sont toutes à lui, où sont les votre ?" demande le petit Glietian.

Jungkook presse ses doigts sur le livre dans son habile, traçant les contours et essaye d'imaginer le lever du soleil. Il y a deux soleils ici, et des lunes à ne plus pouvoir les compter, donc pas de lever ni de coucher de soleil, étant donnée la rotation des soleils, des lunes et des étoiles, si nombreuses, que les cartographier relève de l'impossible. Il essaye d'imaginer un lever de soleil aussi joli que ceux que l'on retrouve sur Terre et n'y arrive pas, puis il se demande si c'étaient les levers de soleil en eux-mêmes qui étaient beaux, où s'ils l'étaient simplement à la façon qu'ils avaient d'inonder le visage de Jimin de lumière ; il essaye d'imaginer un lever de soleil sans Jimin à ses côtés et n'y arrive pas. Il n'y en a aucun dont il se souvienne.

"C'est lui ma fleur," dit Jungkook, "la seule que j'ai."

"Oh," répond le garçon, avant de retomber dans le silence. Et puis, il continue, "Alors comment savoir s'il est toujours là-bas ? Que le 'mouton n'a pas mangé la fleur', c'est ce que dit le livre, n'est-ce pas ?"

Jungkook hoche la tête et range le livre dans son étui, le verrou s'enclenchant en un petit cliquetis.

Il pose de nouveau ses yeux sur son ciel de fortune, projeté à travers le plafond de la serre et essaye d'imaginer l'univers au-delà, la direction vers laquelle se situerait peut-être la Terre, et il soupire, lourd et profond, ses doigts s'entremêlant sur sa cuisse.

Le sol est recouvert de pétales de fleurs déchus.

"C'est pour ça que je suis resté un garçon... car je me demande si ma fleur est toujours là. Et comme expliqué dans le livre, c'est le genre de douleur, le genre d'importance qu'aucun adulte n'arriverait jamais à comprendre."

Wonder ; jikookWhere stories live. Discover now