Chapitre 19 : Dev et Tristan

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Victor regarda le jeune aristocrate s'éloigner dans la rue déjà éclairée par les lampadaires. Leur conversation s'était éternisée et, sans que l'un ou l'autre ne le remarque, le soir avait commencé à tomber. Le jeune Goldberg avait préféré rentrer chez lui. 

Découcher deux soir de suite n'était pas une bonne idée s'ils ne voulaient pas éveiller les doutes de ses parents.
Quand à Victor, il n'ouvrirait pas le bar ce soir, ni les soirs suivant. Il ne souhaitait pas risquer la sécurité de ses clients, dans l'hypothèse où il ait encore des clients. Le barman jura mentalement en s'éloignant des fenêtres. Cette journée l'avait épuisé plus efficacement qu 'une journée de travail et ses nerfs avaient été mis à rude épreuve. 

Il n'était pas sûr de la façon dont il aurait réagi sans Thomas pour lui remettre les idées en place. L'issue en aurait peut-être été tragique. Il secoua la tête pour ne pas y penser. Il avait son rôle à jouer dans leur tentative d'aider Florian. En premier lieu, ils devaient lui parler, et pour ça trouver un lieu neutre qui ne soit ni le bar, ni le ministère et encore moins le manoir des Goldberg. Thomas avait soumis une proposition que Victor avait tout de suite accepté et dont il pourrait s'occuper dès le lendemain.

Après s'être resservi un verre d'alcool pour calmer ses nerfs, il se dirigea vers sa chambre avec l'espoir stupide d'un sommeil sans rêves.

***

Comme il s'y était attendu, dormir avait été compliqué. Il avait passé la nuit à ressasser et faire les cents pas dans l'appartement à la recherche de réponses. 

Et s'ils se trompaient ? Si depuis tout ce temps Florian les avaient manipulé ? 

Il se raccrochait avec espoir aux paroles de Thomas.

Tout irait bien. 

Songer au jeune homme provoquait un sentiment incongru en lui. Il s'était attendu à se lasser rapidement de l'aristocrate, mais à sa grande surprise, ça n'était pas le cas, au contraire. Il ne ressentait pas la même chose pour lui que pour Florian. C'était différent, mais, dans un sens, presque aussi fort. Quand toute cette histoire serait fini il faudrait qu'ils en parlent. 

Victor ramena une main dans ses cheveux et regarda autour de lui avec attention.
Il était près de 18 heures et les notables du quartier commençaient tout juste à sortir de leurs bureaux, leurs costumes taillés sur mesure et leurs valisettes de bonnes factures lui renvoyant au visage son propre décalage. Victor s'était posté à côté des escaliers menant à la grande bibliothèque de Keskastel. Il avait tâché de ne pas trop se rapprocher, la sécurité des lieux étant désormais assurée avec un sérieux qui frôlait l'abus. 

Surtout que sa tête s'était retrouvé en une d'un des journaux les plus lu de la capitale. Même si elle datait de quelques années et qu'il y avait plus de cheveux et moins de barbe, il préférait ne pas jouer au jeu de la reconnaissance faciale avec les bourgeois. Ils seraient capables d'appeler la police pour moins que ça.

Au bout de quelques minutes d'une longue attente, il finit par apercevoir les deux hommes qu'il cherchait. Tristan et Dev sortaient de la bibliothèque où ils travaillaient désormais en duo. Ils étaient devenus quasiment inséparable et Victor grimaça en imaginant devoir partager la même chose avec Thomas. Dans un sens, c'était rassurant de voir qu'il n'en était pas à ce stade de s'imaginer 24 heures à ses côtés comme les deux tourtereaux qui descendaient les marches. Il attendit qu'ils soient en bas pour s'avancer vers eux. Les deux hommes étaient en pleine discussion mais s'interrompirent en l'apercevant. Tristan sembla soulagé de le voir et Victor sourit légèrement, soulagé par l'accueil de son ami.

-Victor !On parlait de toi et de... De ce que ces torchons racontent sur toi. Est-ce que tu vas bien ?

Dev le regardait avec autant d'inquiétude et Victor hocha rapidement la tête.

-Est-ce qu'on peut se parler en privé ? C'est à ce sujet et c'est important.

Tristan acquiesça et quelques minutes plus tard ils étaient assis dans la cuisine du jeune trentenaire. Victor n'était pas venu souvent chez l'autre homme, mais repéra assez vite les traces de la présence de Dev. Il savait que l'autre homme culpabilisait de vivre de cette manière et envoyait fréquemment de l'argent à sa jeune sœur qui avait pu trouver un endroit plus agréable pour vivre et travailler. C'était encore un sujet parfois sensible et il n'avait pas insisté plus que ça. Tristan leur servit trois verres d'un liquide ambré et s'installa à côté de son amant.

Victor soupira et se mit à raconter son histoire pour la deuxième fois en à peine 24 heures. C'était toujours aussi douloureux mais il n'entra pas autant dans les détails qu'avec Thomas. Tristan l'écoutait avec attention et son visage se mua rapidement en une grimace horrifiée. Dev croisait les bras mais semblait beaucoup moins impressionné. Il venait des quartiers Ouest après tout, il n'avait pas eu une enfance idéale. La perte de leurs mères n'était qu'un des nombreux points communs qui les avait rapproché ces derniers mois. Pour Victor, il était devenu un peu plus que le simple amant de son meilleur ami.

Quand il eut fini son récit, il raconta rapidement ce qu'il savait de Florian, mentionnant également l'affaire du Manuscrit de Ronan quelques mois plus tôt. Replonger les deux hommes dans cette période désagréable n'était pas un plaisir, mais il n'avait pas le choix.

-Alors si je comprends bien, reprit Tristan en réfléchissant, tu veux juste que je te prête mon appartement pour demain soir ?

-C'est ça. On ne peut pas se retrouver à mon bar et ça paraîtra moins suspect de voir Florian dans ce quartier que... dans celui d'une ancienne pute, conclut Victor avec une pointe d'amertume.

Tristan fronça les sourcils, brusqué par le mot. Le bibliothécaire avait toujours eu du mal avec la vulgarité. Il lui faudrait sûrement un temps pour digérer les anciennes activités du barman même si son grand cœur lui permettrait de passer outre.

-Tu n'es pas... Enfin tu n'es plus ça, rétorqua finalement l'homme en baissant la tête d'un air gêné. Et bien sûr que vous pouvez venir ici. Tu sais bien ce qu'on te doit à toi et Thomas. On en profitera pour aller voir Neila, n'est-ce pas Dev ?

Le jeune homme à la peau brune hocha la tête. Il était resté silencieux depuis le début et son regard était légèrement distant. Victor se doutait de la raison. Il avait passé une nuit entière sous le joug de Johann Goldberg et même s'il en parlait parfois en riant, il n'entrait jamais dans les détails. Tristan avait confié au barman qu'il lui arrivait encore de se réveiller en sursaut certaines nuits. Dev finit par hocher la tête et briser le silence.

-Ouais... On peut faire ça. Mais j'aimerais que tu me promette une chose Victor.

Le barman souffla, soulagé.

-Tout ce que tu veux Dev.

-De faire bouffer ses dents à cet enfoiré. Si vous en avez l'occasion. Et faîtes en sorte qu'il ne puisse plus jamais sortir ses projets de lois infâmes.

Il tremblait de rage et Tristan dût prendre ses mains dans les siennes pour l'apaiser. Victor hocha la tête, la gorge serré. Il n'était pas sûr de pouvoir tenir sa promesse mais il mourrait lui aussi d'envie de mettre à terre le responsable de leurs maux.

-Je ferais tout mon possible Dev.

Le jeune homme hocha la tête d'un air rassuré et, bientôt, sa joie habituelle habita son visage à nouveau. Ils changèrent de sujet et Victor eut pendant quelques minutes une impression de la normalité qui avait quitté son quotidien. 

Quand ils se quittèrent, le regard inquiet de Tristan le fit redescendre sur terre. Lui aussi avait eu l'honneur d'interagir avec le ministre et même s'il n'avait subi aucun des sévices physiques qu'avait enduré Dev, il en avait été profondément marqué par l'humiliation et la peur.

Victor sortit de leur appartement encore plus décidé qu'au début de la journée. Ils feraient tomber cet enfoiré de ministre.

Devoirs et Manipulation ~  Keskastel vol 2. [BxB]Where stories live. Discover now