CHAPITRE 11

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CHAPITRE 11

NORA

   Une heure après Paris

   Je prends soin de retirer mon sweat avant que le train entre en gare. Pour faire face à la chaleur qui m'attend une fois à l'extérieur bien sûr, mais aussi pour éviter toute question dérangeante de la part de Jeane.

   Je la reconnais immédiatement après avoir fait quelques pas sur le quai. Son sourire illumine tout ce qui se trouve autour d'elle. Elle remonte ses petites lunettes rondes sur son nez en s'approchant de moi.

   — Tu vois, la capitale ne t'a pas mangée finalement.

   Si seulement tu savais Jeane. Je me baisse pour passer mes mains autour de son cou, j'avais oublié à quel point elle est petite.

   — Tu m'as manquée.

   Je ne pensais pas que je ressentirais un tel soulagement à l'idée de revoir mon amie. Je ne suis partie qu'une semaine et je passe ma vie avec elle. Comment se fait-il que j'aie l'impression que le temps s'est multiplié en mon absence ? Elle sent bon le foin et l'air frais de la campagne. Elle a dû aller nourrir les chevaux avant de venir ici. Jamais elle n'aurait laissé sa frange partir dans tous les sens comme c'est le cas maintenant si elle venait de chez elle.

   — Nous n'avons pas vraiment eu le temps de penser à toi, me dit-elle en riant.

   — Arrête, je sais que je vous ai manqué.

   — Juste un peu.

   Elle me regarde de haut en bas.

   — Tu n'as pas l'air trop changée, ça va. Elena n'a pas réussi à faire de toi une bonne petite Parisienne.

   — Tu me connais.

   — Pourtant, tu parais différente. Comme... reposée ? Ça t'a fait du bien de prendre un peu de temps pour toi.

   — Oui, on dirait bien.

   — Fatiguée du voyage ?

   J'acquiesce.

   — Je n'ai pas beaucoup dormi.

   — Ah bon ? Pourquoi ça ?

   — C'est une longue histoire.

   — Tu pourras me raconter tout ça plus tard rien ne presse, me rassure Jeane en secouant son petit carré brun.

   C'est ce que j'aime tellement avec elle. Contrairement à Elena, elle ne cherche pas à me pousser à parler ou bien à faire des choses que je n'aime pas. C'est toujours bien par moment de se forcer un peu et je n'en veux pas à Elena pour ça, mais avec Jeane, tout est facile et ça rend la vie tellement plus simple. Elle est un peu comme une sœur avec qui je n'aurai pas à me prendre la tête pour savoir qui doit faire la vaisselle ou pourquoi elle ne m'a toujours pas rendu mon pull préféré. Sa présence est reposante et sa douceur m'a aidée à travers les moments les plus sombres de ma vie.

   L'espace d'un instant, alors que nous marchons côte à côte jusqu'à la voiture, je parviens presque à oublier ce que j'ai laissé derrière moi en quittant Paris.

   Je ne parle pas sur le trajet jusqu'à la maison et Jeane ne me pose pas de question. Tout est si simple. Si seulement ce silence pouvait aussi emplir mes pensées.

   Je laisse ma vision s'échapper à travers la fenêtre pour observer ce paysage breton qui m'a tant manqué. Nous passons d'un champ à une forêt boisée en l'espace d'un instant et je laisse mon imagination voguer à travers les arbres. Leur cime se met à tournoyer sur notre passage, comme une valse entraînante.

   La nature m'a tellement manquée. Chance aurait adoré pouvoir se promener entre ces arbres, renifler leurs odeurs et courir après des animaux qu'elle seule serait capable de voir.

   Au détour d'un virage, ma grande longère étendue sur deux étages apparaît, à moitié dissimulée derrière une grande haie négligée.

   — J'aimerais rester avec toi cet après-midi, mais je dois préparer la réouverture du salon, me dit Jeane désolée.

   — Pas de soucis, je vais me reposer de toute façon.

   — Je suis contente que tu sois de retour No.

   — Moi aussi, ça fait du bien d'être à la maison. La ville c'est bien, mais pas pour trop longtemps.

   Jeane voit que quelque chose me tracasse, mais ce n'est pas dans ses habitudes de demander ce qui ne va pas. Je la remercie pour ça au fond de moi.

   — On se voit demain matin avec Ulysse, pour faire le point ?

   J'acquiesce à nouveau et elle ne s'attarde pas.

   J'observe sa voiture quitter l'allée et me retourne vers ma maison. Les volets du rez-de-chaussée sont tous fermés. Depuis combien de temps ne les ai-je pas ouverts ? Demain, j'irai faire un tour en bas, juste pour aérer les pièces.

   Je me dirige vers le petit escalier en pierre situé contre la façade gauche de la maison et en monte les marches, savourant chaque pas de ce retour à ma vraie vie.

   Je parviens à la porte donnant sur le premier étage de la bâtisse et laisse tomber lourdement mon sac au sol.

   Quel bonheur de retrouver ce petit cocon, mon petit appartement. J'ai passé des heures ici, avec Ulysse, à essayer de transformer ce vieux grenier froid qu'il était en un endroit à moi. Un endroit que je pourrai façonner comme je veux sans avoir tous ces éléments qui me rappellent la vie que j'ai vécue dans cette maison.

   Ici, je me sens bien, à seulement quelques mètres au-dessus de cette maison qui m'a vue grandir et qui renferme tous ces souvenirs que je préfère éviter d'avoir en face de moi, à chaque fois que je rentre dans une pièce.

   Je n'avais pas les moyens de trouver un autre logement et pas la force de m'en séparer. Cette maison ne se trouve qu'à une centaine de mètres du refuge, je ne pouvais pas partir. Ulysse m'a proposé de me donner un coup de main pour transformer notre vieux grenier en ce magnifique appartement. Pas très grand, mais avec tout ce dont j'ai besoin pour être à l'aise. Nous y avons consacré tous nos week-ends pendant presque un an. Ça en valait la peine, mais je n'arrive pas à réaliser que c'était il y a plus de six ans maintenant.

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