— Teddy, qu'est-ce qui ne va pas ?

   — Je pensais que c'était la pire soirée de ma vie. C'est en fait la plus belle.

   Je l'interroge du regard, surprise par ce qu'il vient de dire.

   — C'est moi Nora. Tout ce que tu as décrit, tout ce que tu aimes chez moi. C'est moi, juste moi.

   — Je ne comprends pas.

   Son visage se fend d'un sourire. Ce genre de sourire qui pourrait renverser des montagnes. Je ne peux me détacher de ce visage si parfait. Ses cheveux ont séché depuis le concert, mais ne sont pas du tout ordonnés. Plus de doute, c'est bien lui : mon Teddy.

   — C'est normal. Ce que tu as vu ce soir c'était...

   — Dyvin.

   — Oui, mais Dyvin n'est pas moi. C'est juste un personnage derrière lequel je me cache.

   — Pourquoi fais-tu ça ?

   — C'est compliqué Nora... dit-il en lâchant mes mains.

   Ses yeux se baissent à nouveau vers ses pieds. La dernière fois, il a tenté d'éviter le sujet et je n'ai pas insisté, mais ce soir, je veux savoir. J'ai besoin de savoir.

   Il y a quelques jours, je m'étais dit que si jamais je ne me sentais pas en sécurité en sa présence, je n'aurais qu'à lui demander de m'expliquer la vérité, pour être sure de qui j'avais en face de moi. Ce soir, il faut que je lui demande.

   Je me sens en danger, car ce garçon me fait ressentir quelque chose de différent et j'ai peur que ce sentiment finisse par me briser si je ne vais pas au bout des choses ce soir.

   Je glisse ma main contre sa joue puis la fais lentement descendre sur son menton pour le forcer à relever la tête et me regarder. Je le fixe intensément pour lui faire comprendre qu'il peut se confier à moi.

   — J'ai toujours voulu faire ça.

   — La musique ?

   — La scène, c'était mon rêve. Me trouver devant des milliers de personnes et dire ce que je ne pouvais pas dire en face des autres.

   Il me regarde et je l'encourage à poursuivre avec un petit sourire.

   — J'étais timide et renfermé. Je n'arrivais pas à parler aux gens, pas même à mes propres amis. Les mots restaient coincés dans ma gorge. Ils appellent ça le mutisme sélectif. Ça peut venir de plein de trucs différents, ils n'ont jamais su avec moi.

   — J'avais plein de choses à dire, des choses qui me révoltaient, des sentiments et des émotions que je ne pouvais pas exprimer. J'ai commencé à les écrire. J'écoutais de la musique et je récitais mes textes dans ma tête. En fermant les yeux, j'imaginai que je les disais à haute voix face à la terre entière et ça m'a fait du bien pendant un moment. Au final, ce n'était pas suffisant pour faire sortir toute ma colère d'adolescent.

   — Un jour, mon meilleur ami est tombé sur mes textes. Il ne m'a pas jugé, il les a trouvés bons et il m'a amené à une soirée open mic dans un vieil entrepôt. Il y avait juste quelques palettes empilées, un micro et une enceinte. Les mecs passaient des nuits entières à se relayer sur ses palettes pour vider leur sac.

   Je l'écoute vider le sien à présent, fascinée par cette histoire, mais surtout impressionnée qu'il accepte de me confier tout ça, ce qu'il a jamais confié à personne vraisemblablement.

   — Bastien m'a amené des dizaines de fois à ce genre de soirée, mais il ne m'a jamais forcé à le faire. C'est moi, un jour, je ne sais pas ce qu'il m'a pris. Je crois que je n'en pouvais vraiment plus, il fallait que ça sorte. Je suis monté sur ces foutues palettes et j'ai rappé un truc médiocre, mais à l'époque, ça avait fait sensation. En même temps, je m'étais tellement préparé dans ma tête...

NOTRE CHANCEWhere stories live. Discover now