Je ne sais pas lequel d'entre nous était le plus surpris, Louca ou moi ? Jamais nous n'aurions imaginé que sa tante et ma mère se connaissaient. Ils étaient de la même génération, elles avaient pratiqué le même sport à haut niveau, mais je n'y avais jamais pensé. Voyant notre stupéfaction, Christelle nous expliqua :

- Ta mère et moi, nous étions amies et rivales, à l'époque. Je ne voulais pas te le dire, j'attendais le bon moment. Je savais que tu prendrais la bonne décision, Laurie. D'ailleurs, on m'a dit que ton mari avait rouvert son restaurant. On ne parle plus que de ses plats asiatiques dans la ville. Mais toi, vas-tu retourner travailler avec lui ?

- Non, nous en avons parlé ce matin. Je ne veux plus travailler par obligation, mais par passion. C'est ma fille qui m'a ouvert les yeux.

- Alors que vas-tu faire ? demandai-je.

- Je ne sais pas, mais je veux remonter sur la glace.

Christelle regarda longuement la piste, en songeant.

- Ça te dirait d'ouvrir avec moi, ici, dans cette patinoire, une école de patinage ? On transmettra notre savoir aux enfants du coin, ça ne serait pas formidable ? Qu'en dis-tu ?

- C'est tout ce que je souhaite, approuva ma mère.

Et voilà comment se fonda la toute première école de patinage de notre petite ville. Il n'y avait plus rien à dire, ou à faire, tout s'arrangeait. Nous n'avions plus qu'un objectif : les championnats de France. Maxence nous montra ensuite ce qu'ils étaient allés chercher : nos costumes pour la compétition. Maxence avait demandé au plus grand couturier de Montréal lui-même - celui qui avait notamment créé les tenues des actuels champions olympiques de danse sur glace. C'était complètement dingue. Christelle lui avait transmis nos mesures, mais nous priions pour qu'il n'y ait aucune retouche à faire. Nous partîmes immédiatement les enfiler. Nous avions trois costumes chacun : celle de la danse rythmique, de la danse libre, et du gala final. La première robe, blanche, avec une seule bretelle, scintillait de milles feux, il y avait de petits diamants incrustés un peu partout. Je me contemplai dans le grand miroir des vestiaires : elle m'allait à ravir. Mais je ne devais pas perdre de temps, je sortis et rejoignis Louca au centre de la piste. Il portait un élégant pantalon, avec un tee-shirt manches longues moulant, un peu transparent, lui aussi incrusté de diamants. Nous nous sourîmes, avant de nous mettre en position de départ. Sous le regard de Maxence, Christelle et ma mère, nous commençâmes notre programme rythmique. L'énergie était de rigueur pour cette danse. Nous devions, d'après les mots de notre entraîneur, "faire le show". Donner du bonheur au public. Et ça, nous savions faire. J'eus un léger déséquilibre sur la première série de twizzles, mais pas de chute, c'est tout ce qui importait. Nous arrivâmes bientôt dans les dernières secondes, ce n'était pas le moment de se relâcher. Les mouvements de bras rendaient toute la chorégraphie plus épuisante. Position finale : courbée en arrière, mon genou contre la hanche de Louca, mes mains autour de son cou, les siennes dans mon dos. De grosses gouttes de sueur apparaissaient déjà sur mon front. Nous reçûmes de nouveaux conseils de notre entraîneur, avant de retourner aux vestiaires. Nouvelle tenue pour la danse libre : celle-ci était composée d'un cache-coeur et d'une jupe, tous les deux rouges, avec sur les manches du haut et sur les contours du bas, des paillettes dorées. Cette fois, je n'eus même pas le temps de me contempler, il fallait aller vite, c'était notre dernière journée d'entraînement, demain serait le grand jour. En tout cas, face aux regards subjugués de Louca, Samuel et ma mère, je compris que cette tenue allait faire fureur aux championnats. Louca et moi étions magnifiquement assortis, il portait un tee-shirt manches longues moulant rouge et il avait les mêmes paillettes au niveau des épaules. Littéralement bouche bée en me voyant arriver sur la glace, je dus claquer des doigts devant lui pour qu'il parvienne à se ressaisir. Je ris. Position de départ, dos à dos. La chanson commença, premières notes de piano. Danser, encore et encore. Les mouvements étaient précis, l'erreur n'était plus permise. Bon sang, que c'était bon de patiner ! Louca chuta après une minute de programme. Il se releva rapidement, rien de grave en soi, mais nous ne pouvions plus nous permettre ce genre de maladresse, sinon la victoire s'envolerait. Mais Emma et son partenaire pouvaient, eux aussi, faire une erreur, après tout, même si c'était rare, il arrivait aux meilleurs de tomber. Surtout que notre programme libre était, techniquement, réellement difficile, nous avions le plus dur de la saison, il y avait de nombreux éléments complexes. C'était à la fois une force, nous pouvions gagner tellement de points grâce à cela, mais si nous échouions, nous pourrions en perdre aussi énormément. La suite de notre programme libre nous inquiéta encore plus, les erreurs s'enchaînèrent, infimes, mais qui comptaient dans le résultat des championnats. Nous terminâmes donc, avec un goût amer dans la bouche, l'impression que nous n'étions pas prêts. Nous échangeâmes un regard inquiet. Louca poussa un soupir et passa les mains sur son visage. Nous pensions avoir réalisé le plus dur avec cette chorégraphie, réussir le porté difficile nous avait redonné confiance. Nous tombions de haut. Nous nous approchâmes de Maxence, ma mère et Christelle.

Un vent glacialWhere stories live. Discover now