Chapitre 15 : Auriane

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Je fais des efforts.

Depuis ma discussion avec Rosie, je me rends compte que j'ai peut-être agi un peu stupidement avec Ethan. Bon, il m'agace toujours quand il joue au tombeur mais je dois dire que depuis quelques temps, j'ai l'impression de voir le vrai Ethan. Pas celui qu'il joue à être.

Comme quand je l'ai rencontré dans cette boutique de disques. Jamais de ma vie je n'aurais cru qu'il aimait la même musique que moi. Comme quoi...

Et je déteste l'admettre mais ma meilleure amie a peut-être raison en ce qui concerne mon exagération le concernant. Après tout, il n'a rien fait de mal. Il est agaçant, oui, mais ça s'arrête là.

Surtout, bien au fond de moi, je sais que mes réactions à son encontre sont le fruit des stigmates de mon passé. Je sais, c'est facile de se cacher derrière des traumatismes mais c'est la vérité. Evidemment, je ne suis plus cette petite fille de huit ans, arrivée de Bolivie, en guenilles et ne sachant pas parler un seul mot d'anglais. De l'eau a coulé sous les ponts depuis ma vie avec mes "vrais" parents, mon passage dans cet orphelinat délabré, ma peur de l'autre.

Je suis guérie. Ou du moins, avec mon psy, on a fait ce qu'on a pu pour que j'accepte ce passé qui m'a pourri la vie pendant de longues années.

A l'adolescence, j'étais perdue. Complétement. Je faisais n'importe quoi. Je voulais prouver aux autres, à ceux qui m'avaient fait du mal et m'avaient utilisé comme un objet de plaisir que maintenant, c'était moi qui décidais. Je décidais quoi faire de mon corps, à qui le donner, à qui le refuser. Je l'utilisais comme un objet à mon tour, sans m'en rendre compte, parce que c'est comme ça qu'on m'avait vu toute ma vie. Mais surtout, je voulais me prouver à moi-même que mon cauchemar était terminé, que tout ça c'était du passé, que leurs visages et leurs mains ignobles n'apparaîtraient plus jamais sous mes paupières et surtout pas lorsque je coucherai avec un garçon que j'avais choisi. A qui j'avais donné mon approbation, mon accord.

Tu parles ! Mes agissements plus que malsains ont encore plus empiré le mal-être que je ressentais déjà et qui me collait à la peau comme une fine couche de saleté invisible. Et j'avais beau frotté et frotté, elle ne disparaissait jamais. Je m'étais, plus d'une fois, crée des blessures à force de vouloir la retirer de mon corps, cette saleté. Je n'avais pas encore compris que c'était psychologique.

Heureusement, avec les années et surtout avec les séances chez mon psy plusieurs fois par semaine, j'avais petit à petit repris pied. Je dois dire que le soutien de mon père ( le vrai, pour moi, celui qui m'a élevé et donné tout ce qui me manquait) et de mon frère John, qui a été indéfectible, m'a beaucoup aidé aussi. Sans eux, je ne sais pas où j'en serai aujourd'hui. Sans eux, je ne sais même pas si je serai encore vivante.

Pour ce qui est de ma mère et de mon frère, Hugh, ça a été différent. Très différent. Mais puis-je vraiment leur en vouloir ? Puis-je vraiment blâmer leur désintérêt pour une petite fille étrangère, à l'enfance plus que compliquée et qui venait foutre le bordel dans leur routine bien huilée ? Je me demande souvent comment j'aurais réagi, à leur place.

- Ca ne te ressemble pas de rêvasser, ma chérie. Tu es sûre que ça va ?

La voix profonde de mon père me fait revenir au présent.

Nous déjeunons dans un petit restaurant que nous aimons bien, en plein centre de Sydney. Il est toujours plein de monde mais mon père y a ses connaissances et nous avons donc toujours une table quand nous y venons.

Je lève ma fourchette où s'entortille des pâtes jusqu'à ma bouche et prends le temps de mâcher avec lenteur en regardant papa. Je lui souris et lui réponds après avoir dégluti.

A Taste Of EternityWhere stories live. Discover now