Chapitre 5 - Au coeur des enfers

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        Depuis ce qui s'était passé lors de ses 17 ans, Heather ne s'était plus jamais sentie à l'aise dans aucune station de métro, et encore moins dans les métros eux-mêmes. Ces endroits souterrains et obscures ravivaient des souvenirs douloureux et effrayants qu'elle tentait tant bien que mal de garder enfoui. Elle avait affronté les pires horreurs dans un parc d'attraction, une chapelle, un immeuble en construction un hôpital... mais de tous ces lieux, le métro était le seul qu'elle avait dû continuer de fréquenter régulièrement. Il n'était donc pas rare qu'elle s'attende à voir surgir un chien d'enfer d'un coin sombre, près à ouvrir sa grande mâchoire diviser en deux pour l'engloutir. Impossible non plus d'oublier les immondes créatures humanoïdes qui lui avaient barré la route alors qu'elles ne faisaient que dormir bruyamment. Heather avait dû se résigner à les réveiller pour les affronter, car ces gros balourds au corps maladifs obstruaient les issues et les couloirs étroits. Aujourd'hui encore, elle trouvait que ces stations n'étaient pas suffisamment éclairées. Qu'est-ce qu'ils ont tous avec le noir ? Un peu de clarté aiderait au moins à savoir où on met les pieds dans les escaliers, pensait-elle.

        Rei, quant à elle, suivait le guide sans mot dire. Toutes deux descendaient les marches d'interminables escaliers, au milieu de quelques autres personnes qui montaient ou descendaient, mais étaient toujours seules et silencieuses. Rei trouvait qu'elles avaient des allures de zombies, à cause de leur regard froid et vitreux, et de leurs vêtements négligés. Deux SDFs essayaient de dormir dans un coin, l'un contre l'autre, affublés d'une unique couverture pour deux. A vrai dire, ils semblaient plutôt morts qu'endormis, si on les regardait de loin, et une impression de tristesse et de désolation se dégageait du tableau qu'ils formaient. Ils paraissaient avoir abandonné tout espoir de mendier et attendaient la mort, prêts à l'accueillir avec résignation.

            Heather et Rei arrivèrent au guichet où Heather voulu acheter deux tickets, mais Rei insista pour payer le sien. La station elle-même semblait vieille et presque délabrée. Il était certain qu'elle n'était pas spécialement entretenue, ce qui contrastait avec le reste de la ville Portland. Le carrelage quadrillé était sale et beaucoup de carrés étaient fissurés. Les rambardes d'escalier étaient crasseuses et rouillées, tandis que les marches en elles-mêmes étaient couvertes d'une couche de poussière qui semblait de plus en plus épaisse à mesure qu'on descendait en profondeur vers le métro. Rei trouvait qu'il fallait descendre surprenamment bas pour enfin y arriver, et se demandait si tous les transports souterrains étaient si profonds aux États-Unis. Cela lui faisait penser à la caverne qu'elle avait dû traverser pour atteindre le lieu du rituel où Reika avait été sacrifiée.

       Les deux jeunes femmes, en tout cas, partageaient un même sentiment de malaise en s'enfonçant dans ces lugubres galeries, et le métro, qui semblait les attendre pour partir, n'était guère rassurant. En fait, il était exactement à l'image de la station : vieux et comme laissé à l'abandon. Rei fut particulièrement étonnée de le voir dans cet état, elle qui était habituée aux transports japonais modernes, propres, et impeccables. Il lui semblait que tout ici venait d'un autre temps, et cela ne la rassurait guère. Contrairement à Heather, elle ressentait une réelle peur de monter dans cette chose et le voyait déjà dérailler. Le bruit que faisait le moteur, crachotant un son de métal crissant, ne la rassurait pas. Elle choisit de ne pas faire part de cette inquiétude à Heather, qui était habituée à ce type de transport. Rei ne voulait quant à elle pas faire la petite princesse critiquant les différences du pays qu'elle visitait. Elle se demandait néanmoins si elle n'allait pas finir par dire à Heather que les États-Unis sont très différentes de l'image fantasmée qu'elle en avait, depuis le Japon.

« En route, dit Heather alors qu'elles embarquaient dans l'engin ».

             Comme toujours dans un petit espace, Rei se senti trop grande. C'était quelque chose qui lui avait toujours plus ou moins posé problème, bien qu'aujourd'hui ce malaise était renforcé par l'inquiétante ambiance qui régnait dans le wagon. Une ambiance qu'elle n'arrivait pas vraiment à expliquer. Depuis qu'elle était aux États-Unis, son sixième sens n'avait détecté aucune présence malfaisante ou fantomatique, ce qui était un réel soulagement. Pour la première fois depuis l'accident qui avait entraîné la mort de son petit ami Yuu, elle s'était sentie délestée d'un poids, libérée des signes que son sixième sens lui permettait de percevoir. Pourtant, depuis qu'elles avaient pénétrées dans la station, quelque chose n'allait plus. Il était difficile d'en être sûr – Rei avait caressé l'espoir que ce n'était que son imagination, biaisée par l'aspect du lieu – mais une chose avait changé. Un léger sentiment de malaise s'était emparée d'elle. Il était faible, impalpable, mais impossible à ignorer complètement. Cette impression s'était décuplée depuis qu'elle avait posé un pied dans le wagon. Le doute n'était même plus permis, quelque chose qui ne devait pas être là se trouvait dans le train, autour des deux filles. Heather le ressentait-elle ? Après tout, n'avait-elle pas une sorte de sixième sens, elle aussi...

          Comme elle et Heather étaient seules dans le wagon, la place ne manquait pas. Un avantage qu'on ne trouvait pas dans les métros japonais, il fallait le reconnaître, car ces derniers étaient souvent pleins. En fait, cela posait surtout problème quand certains pervers ne trouvaient rien de mieux à faire que de lui mettre la main aux fesses. Une tendance qui arrivait beaucoup moins souvent depuis les lois interdisant l'accès du métro aux hommes à certaines heures de la journée, dans le but de prévenir ce genre de choses. Rei admettait que c'était efficace, mais elle ne pouvait s'empêcher de se sentir mal pour les hommes qui n'avaient jamais rien fait et s'en trouvaient désavantagés. L'ironie était qu'elle se serait sentie plus rassurée dans un train entouré de personnes à l'attitude douteuse que dans cet endroit vide.

Pour rompre le silence, Heather pris la parole.

« Tu sais, beaucoup de mes cauchemars ont eu dans ce métro, c'est à cet endroit-là que... »

            Un bruit retentit. C'était une sorte de mélange entre le cri d'un animal et le bruit métallique d'une machine. Distant, et à demi couvert par le son du wagon en marche, il était difficile à cerner, mais les deux jeunes femmes l'avaient entendu. Un son similaire se fit à nouveau entendre, cette fois beaucoup plus proche indiquant que la source c'était rapidement déplacé. En fait, il était clair à présent que ça venait d'un animal inconnu et que c'était quelque part dans le train. Aussi, cela semblait plutôt gros. Les deux jeunes femmes, en plus de l'entendre, le ressentir en elles comme une onde les traversant de toutes part avec une vitesse et une violence qui les fit tressaillir en même temps.

       Si les deux passagères étaient surprises et apeurées, seule Heather savait de quoi il retournait. Elle ne reconnaissait que trop bien ce hurlement. Dans un geste qui aurait pu être celui d'un dératiseur habitué à tomber sur un nid de rats chez des invités, Heather se leva et sorti un petit pistolet de sa poche. Rei, qui s'était également levée, la regarda avec deux yeux écarquillés. La porte qui reliait le wagon au précédent fut brutalement poussée par quelque chose de visiblement très fort, ce qui s'accompagna d'un autre cri, cette fois plus rapide et plus sonore. Malgré un côté très animal, se cri avait aussi un indéfinissable aspect humain. Celui d'un homme tiraillé par une vive douleur. Heather fixait la porte et tenait le pistolet des deux mains, à bout de bras, braqué dessus. Rei se tenait derrière elle, les yeux fixés sur la porte qui était légèrement abîmée par le coup. Quelle qu'elle soit, la chose renouvela son attaque, cette fois-ci par une série de coups frénétiques si violents que la lumière du wagon – une vieille ampoule sale – s'éteignait à chaque attaque, puis se rallumait avec peine, faisant clignoter l'ensemble du wagon d'une lumière tremblotante qui entrecoupait des phases plus ou moins régulières d'obscurité totale.

           Terrifiée, Rei constata que les bras de Heather tremblaient, mais aucune des deux ne recula. La porte du wagon n'était à présent qu'un morceau de métal froissait qui tenait à peine à son support. Un dernier coup, le plus violent de tous, fit trembler le wagon entier et la porte céda. La chose poussa un énième hurlement et entra.   

Heather et Rei - Silent Hill/Project Zero CrossoverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant