La cité miroir

30. Racines

« Je veux un endroit où je trouverai ma place. Je veux la vérité. » 

Ces phrases qu'elle avait laissées s'échapper de ses lèvres rendirent Maelle à la fois honteuse et mal a l'aise.

Elle avait longtemps refoulé cette colère et toute sa frustration. Jusqu'à présent elle n'avait jamais compris  les raisons des déménagements successifs imposés par sa mère et bien trop anxieuse pour lui manifester son désarroi. Elle avait toujours suivi sans se plaindre, pensant que c'était le mieux à faire, que sa mère avait déjà trop à gérer. C'était inconscient, cependant elle avait pensé que vivre ainsi était un quotidien normal.

Parfois, elle avait envié ses camarades de passages d'avoir la sécurité de rentrer dans leur foyer. Des maisons permanentes et pas temporaires. D'avoir des amis de longues dates, souvent les mêmes depuis la petite enfance. Des oncles et des tantes, des cousins vers qui se tourner, quand elle n'avait que sa mère et voyait Lyne épisodiquement.

Elle avait rêvé de racines.

Ces racines que les plantes avaient naturellement et qu'elles enfonçaient profondément dans la terre pour grandir et s'épanouir. Pour cette raison secrète qu'elle n'avait jamais révélée à personne, elle affectionnait les fleurs et les arbres centenaires.

Souvent, elle posait sa main sur leurs troncs et pensait qu'ils avaient de la chance d'être enracinés là, de traiter l'oxygène des alentours comme une source de vie inépuisable. Elle aimait leurs ombres rassurantes en été, leurs feuilles colorés en automne, la mousse à leur pied. Partout où elle allait, ils étaient là, et ils le seraient toujours. Comme un phare dans la tempête de son existence. Un point d'ancrage dans ses incertitudes.

Et pour remercier cette nature perpétuelle, elle gardait dans sa poche des bombes de graines qu'elle plantait partout pour qu'elles aussi, puissent trouver leurs racines. Leur place.

Mais aujourd'hui, elle ne voulait plus juste observer les plantes. Elle avait besoin d'explications comme d'oxygène, de raisons comme de soleil. Et surtout de s'exprimer comme pour s'épanouir elle-même.

Peut-être était-ce pour cela que suivre Katya l'avait autant effrayée qu'attirer. Ici, elle trouverait les réponses à ses questions et peut-être la place où elle appartenait.

Elle serra les poings en prenant conscience de ses sentiments. Une larme solitaire caressa sa joue. Elle l'essuya rapidement.

- Fichu test ! râla-t-elle. C'était quoi ces graines ? De la magie ?

- De simples graines, rien de plus. La magie vient de toi, tout simplement.

- Tout... simplement ? Vous êtes sérieux ?

- Je le suis toujours, sauf quand je blague. Dean dit que mes blagues ne sont pas drôles, donc j'évite...

Cela fit sourire Maelle.

- Qu'as-tu ressenti quand tu fermais les yeux ?

- J'étais enervée...

- Mais as-tu... senti de la vie ?

La question semblait incongruë. La jeune terrienne prit toutefois le temps de la réflexion et se rappela de la sensation au bout des doigts.

- Des battemements de cœurs, des vibrations peut-être, dit-elle tout bas. Même... des notes de musique, hésita-t-elle. Vous allez me prendre pour une folle ?

Marhu hocha la tête sans se départir de son sérieux.

- Tu as détecté le chant des plantes, la pulsation de leur croissance.

- Les graines chantent ?

- Le monde entier vibre, Maelle. Tous les êtres vivants ont leur propre vibration, leur propre énergie. Ton cœur bat, pas vrai ?

Elle approuva d'un hochement de tête.

- Les fleurs ont aussi leur vibration. Tu l'as interprétée comme des notes de musique, d'autres y verraient de la couleur ou une aura.

Sur internet, elle avait déjà vu des chercheurs posé des sondes sur des champignons et voir leur ondes se transformer en musique électrique, comme de la mauvaise techno. Cela nécessitait des machines spéciales, créées spécialement dans cet objectif.
Comment pouvait-elle les entendre naturellement ?

- Pourquoi ? demanda-t-elle simplement.

- Parce que tu le peux. Ceci est ton don.

- Le don de création ? C'est ce que ma tante Lyne a dit.

- Ta mère avait le même. Il s'exprimait différemment. Au lieu d'entendre des sons, elle voyait des couleurs.

- C'est pour ça qu'elle est devenue artiste-peintre, comprit Maelle.

- Oh, c'est son métier sur Terre ? Elle a donc continué, sourit Marhu, le regard au loin comme s'il retournait vers d'ancien souvenirs. Elle a toujours été douée.

Parler de sa mère avec quelqu'un qui la connaissait rassura Maelle. Elle aurait voulu en savoir tellement plus. De son passé et de ses amis, elle n'avait jamais rien su.

- Peut-être es-tu même plus douée qu'elle, ajouta le sage.

- Plus douée en quoi ? Vous avez vu ce qui vient de se passer ? Tout a poussé n'importe comment !

- Les graines ont répondu à ta détresse. Elles ont poussé parce que tu les as laissé faire.

- Je ne contrôlais rien du tout !

- Il paraît que tu as aussi utilisé ce don sur Terre ?

Maelle pensa à l'attaque du somnia, à ces vagues de ronces qu'elle avait déclenchées pour aider Katya, et auparavant à cette bulle verte dans laquelle elle avait été emprisonnée – ou plutôt protégée- de l'attaque du somnia noir et gélatineux.

- Je ne peux pas vraiment dire que c'était moi. Je ne contrôlais rien. Plutôt... en fait, je ne sais pas trop.

Elle s'interrompit, fixant le bout de ses chaussures.

- Je peux t'aider à maîtriser ce don. Le souhaites-tu ?

- Qu'est-ce qui se passerait si je ne le maîtrisais pas ?

- Il pourrait se terrer au fond de toi. Sommeiller un temps et peut-être pour toujours.

- Peut-être ?

- Ou exploser et tout détruire sur son passage si ton cœur s'emballe et demande de l'aide.

- Vous voulez dire que pour me protéger, ce don pourrait tout détruire ?

- C'est une possibilité.

Maelle blêmit. En résumé, elle était une bombe à retardement, dont la mèche pouvait être allumée à n'importe quel moment.

L'idée de perdre le contrôle d'elle-même et de pouvoir faire du mal à autrui lui laissa un arrière-goût amer au fond de la gorge.

- Pas question ! elle avança vers Marhu avec détermination. Vous devez m'apprendre comment gérer ce don ou alors comment m'en débarrasser définitivement !

- Je peux faire l'un ou l'autre, mais pas les deux. Que choisis-tu ?

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Et vous que choisirez-vous ?🤔

Prochain chapitre rapidement ! 😉