11. Lapin bleu

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Après avoir déposé des habits propres devant la porte de la salle de bains pour Katya, Maëlle se dirigea vers l'atelier de sa mère. Tante Lyne était encore là. Elle longeait les murs, la main posée sur la tapisserie comme si elle cherchait une aspérité ou un trou invisible.

- Qu'est-ce que tu fais ? demanda Maëlle.

- Quand as-tu vu ta mère pour la dernière fois ?

Maëlle soupira. Se voir offrir une autre question en réponse à la sienne n'allait pas l'aider, mais reconnaissant le sérieux et l'air inquiet de sa tante, elle répondit :

- Ce matin avant de partir pour l'école. Nous sommes arrivées ici quelques minutes avant toi. C'était déjà dans cet état, elle leva la main vers les tableaux éventrés.

- Les fenêtres étaient fermées ?

- Oui.

- Et la porte ?

- Aussi.

Lyne arrêta de caresser les murs et s'accroupit face à un des tableaux dont la toile était trouée et le dessin face contre le tapis. Lorsqu'elle le souleva, un courant d'air balaya leurs cheveux et se mit à tourner comme un tourbillon autour d'elles, entraînant dans sa ronde des fusains et des pinceaux qui se mirent à voler en cercle. La tante de Maëlle plissa les yeux :

- Je savais qu'il en restait un.

Maelle recula alors que le vent s'intensifiait, la température de la pièce baissait de seconde en seconde.

Lyne tendit sa main vers le tourbillon, tout en retenant le cadre du tableau de l'autre. Brusquement, elle ferma son poing sur quelque chose qui semblait invisible. Les fusains et les pinceaux tombèrent aussitôt sur le sol et le vent s'arrêta. Maëlle se rapprocha prudemment de sa tante qui fixait son poing fermé avec détermination. Maëlle plissa les yeux comme sa tante l'avait fait auparavant, tout en se concentrant sur les longs doigts fins serrés de Lyne. Alors, elle vit, à sa plus grande surprise, un élément presque translucide se débattre. Il devenait chaque seconde plus bleu que transparent et la jeune fille cru apercevoir deux oreilles fines et très longues et des yeux d'un bleu clair très pur.

- Un lapin nain ? murmura-t-elle. Un lapin bleu ciel ?

- Tu le vois ? Lyne tourna son beau visage vers sa nièce.

- Pourquoi ne le verrais-je pas ?

Lyne ne répondit pas, elle se contenta de froncer les sourcils avant de serrer son poing et de faire exploser le lapin en petites particules de lumières.

- Depuis combien de temps, ta mère peignait-elle ce tableau ?

- Je ne sais pas. Avant le déménagement, je pense.

- Il s'était caché dedans. C'est comme ça qu'il a pu grandir et vous suivre ici. J'avais pourtant dit à ta mère de vendre toutes ces œuvres avant de partir.

En effet, il était fréquent qu'Anissa  brade toute ses œuvres et n'emporte avec elle que le stricte nécessaire chaque fois qu'elles changeaient de ville. Elle prétendait qu'elle ne voulait rien garder de leur ancienne vie, qu'elle faisait de la place pour la nouvelle. Pourtant ce tableau, elle n'avait pas pu le vendre. Pas par manque de client, les tableaux d'Anissa partaient toujours étonnamment vite dès qu'elle les mettait en vente sur internet, mais parce qu'elle semblait y tenir.

Lyne souleva la toile du tableau et replaça le morceau déchiré pour voir ce qu'il représentait. Comme elle se trouvait devant Maëlle, cette dernière ne put pas voir la peinture, avant que Lyne arrache tout du cadre d'un geste rageur, roule tout en boule pour se diriger d'un pas décidé vers la cuisine. Elle prit des ciseaux et réduisit le tableau en charpie.

La cité miroirOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz