6. Maintenant, cours !

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Il fallait deux choses à Maelle pour se remettre de ses émotions : la première était de s'ancrer dans le réel et la seconde un paquet d'explications.

Pour la première, elle décida de se concentrer sur le peu qu'elle pouvait faire tout de suite sans devenir dingue. Elle entra dans la première librairie qu'elle trouva dans l'avenue et fut soulagée de pouvoir commander le livre de français pour le lendemain.
Parce que cela voulait dire que demain, elle irait en cours de façon normale, avec des devoirs normaux relatifs à la lecture ou l'histoire-géo, et pas liés à un combat à l'épée géante. D'ailleurs, est-ce qu'elle devait se munir d'une claymore elle aussi pour survivre et comment allait-elle soulever une lame aussi épaisse d'une seule main ?

NON ! Trop de questions tournaient dans sa tête.

- C'est une mauvaise idée de rester ici, lui souffla Katya à l'oreille.

Maelle sursauta, dévisageant sa nouvelle amie au milieu des livres. Elle n'en touchait aucun et tenait ses mains fermées l'une sur l'autre, comme si elle portait quelque chose de fragile et de rond. Un « bi » strident et mécontent en sortit et brisa le silence du magasin. Le vendeur leur jeta un regard étonné.

- Pourquoi, dit-elle un ton plus bas, est-ce que ce serait dangereux. N'as-tu pas éliminé le somnia ?

- Bi !

- Son alarme de téléphone, ah ha ! commenta Maelle à l'égard du libraire avec un sourire crispé, en payant rapidement avant que Bidule ne se fasse repérer.

- Chut ! intima Katya à ses mains.

Maelle se plaça entre Katya et le vendeur.

- Il faut qu'on sorte d'ici, demanda-t-elle. Il y a trop de papier et Bidule est un peu fatigué.

- Quel rapport ?

Maelle les poussa vers la sortie.

- Quand Bidule est fatigué, il doit manger. Surtout après un combat.

- Sinon, il se transforme en monstre ? s'inquiéta Maelle en pensant aux Gremlins du film qui devenaient horribles lorsqu'on les nourrissait après minuit.

- Non, mais Bidule se nourrit de cailloux et de papier. Alors une librairie, tu penses bien que ce n'est pas une bonne idée, sauf si le libraire aime vendre des livres grignotés.

Une fois dans la rue, Bidule sauta des mains de Katya dans une de ses poches et un ronronnement léger se fit entendre. Ce truc ronflait ?

- Il dort, confirma Katya. Allons chez toi pour discuter.

Chez elle ? C'était suspect. Comme si sa mère allait accueillir une inconnue à bras ouverts et puis Maelle n'était pas naïve : décontenancée, certes, mais naïve, non.

- Pas question ! objecta-t-elle. Je ne te connais pas et même si tu m'as sauvée d'un somnia ou de je ne sais quoi, rien ne me dit que cette créature en avait après moi de son plein gré. Qu'est-ce qui prouve que tu n'es pas une ennemie ou celle qui lui a ordonné de me poursuivre ?

Après tout, avant l'arrivée de cette fille, elle n'avait jamais vu de monstre. Elle avait assez lu de romans de fantasy pour se méfier de la première venue. Comment savoir qui était de son côté et qui se faisait passer pour un allié ?

- Est-ce que... commença-t-elle à l'égard de Katya, je suis une princesse ?

- Quoi ?

- J'ai été kidnappée dans mon enfance et je suis l'héritière d'un royaume ?

- Non... Katya haussa les sourcils, visiblement étonnée de la tournure de la conversation.

- Alors je suis... Maelle posa un doigt sur son menton en réfléchissant, l'élue ! C'est ça ? Je dois sauver le monde ?

Katya secoua son visage de droite à gauche, ahurie par l'hypothèse.

- Est-ce que j'ai des pouvoirs magiques ? continua-t-elle.

- T'en as ? s'extasia Katya.

- Je viens de te le demander.

- Comment pourrais-je le savoir, je ne te connais pas. Si tu avais des pouvoirs, il aurait été plus intelligent de te défendre en les utilisant face au somnia.

- Logique...

- Ben, oui : logique ! la rousse haussa les épaules.

- Ni une princesse, ni une élue, ni détentrice de pouvoirs magiques, énuméra Maelle, visiblement très déçue. Pourquoi être venue me chercher, moi ?

- Je n'en sais rien. Je pensais que toi, tu le saurais, grimaça Katya.

Cette conversation était une farce. Ne pouvait-elle pas simplement recevoir une lettre d'invitation pour une école de magie (elle avait toujours rêvée d'avoir une chouette), être au cœur d'une prophétie millénaire, avoir des pouvoirs divins ou...

- Comment tu connais mon prénom au fait, s'étonna Maelle.

- Mon mentor m'a dit « trouve Maelle », elle sera près d'un somnia. Il y avait un somnia et toi à côté. Voilà !

Katya présenta ses paumes vers Maelle pour la désigner avec un air qui semblait dire « tadaaaa ».

- On devrait poser plus de questions à ton mentor, alors ! souffla Maelle. Où se trouve-t-il ?

- Dans mon monde. Tu vas vraiment me suivre là-bas ? C'est sûr ?

Suivre un inconnu était une mauvaise idée. Suivre une inconnue dans un autre monde pour rencontrer un deuxième inconnu : encore pire !

Maelle croisa les bras sur sa poitrine : jamais sa mère n'allait croire toute cette histoire. Elle soupira en fixant le ciel. Un nuage noir se forma au-dessus d'elles et quelque chose prit Maelle aux tripes : un sentiment de peur familier qu'elle n'avait pas ressenti depuis très longtemps. Un homme leur faisait face au bout de la rue. Il portait un très long manteau de laine, une écharpe couvrait son visage et un chapeau lui descendait jusque sous les yeux. L'homme qu'elle avait déjà croisé il y a quelques mois : celui du supermarché. Sa démarche floue et son balancement mou de droite à gauche avaient un aspect visqueux, comme s'il était constitué d'eau et entouré de brouillard.

La température chuta brusquement, provoquant des frissons à Maelle. Ses yeux ne pouvaient se détacher de cet homme qui s'avançait vers elle. Katya suivit son regard et s'interposa entre elle et l'inconnu. Les voitures de la rue se mirent à ralentir et le son de leur moteur fut étouffé, comme un lointain vrombissement. Contrairement à ce que Maelle avait vécu avec le somnia, le temps n'était pas figé mais se ralentissait progressivement. Un moineau s'envola du trottoir en diagonal vers le square voisin et passa devant Katya. Elle pu distinguer chaque mouvement lent de ses ailes.

- Maelle, murmura Katya en sortant Bidule de sa poche. Quand je te le dirai, tu vas courir aussi vite que tu peux jusqu'à chez toi. Ne te retourne pas.

- Mais toi, s'inquiéta la jeune fille.

- Quoi qu'il se passe, ne te retourne pas et cours comme si ta vie en dépendait. Promets-le moi.

- Je ne...

- Jure le !

Le ton de Katya était sans appel.

- Je le jure.

- Quand tout sera réglé, je viendrai te retrouver, elle lança Bidule en l'air et celui-ci ouvrit soudain ses petits yeux ronds et poussa un petit « bi », visiblement mécontent d'être interrompu dans sa sieste. Maintenant ! COURS !

Bidule se transforma aussitôt en épée immense et à double tranchant. Katya s'en saisit et se mit à courir vers l'homme au chapeau, tandis Maelle se précipita dans le sens opposé.

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À demain, 20h !

La cité miroirWhere stories live. Discover now