26. La forêt inversée

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Le plafond leur tomba dessus dans un craquement effrayant. Littéralement. Maelle poussa un cri. Quand elle ouvrit à nouveau les yeux, ce qu'elle vit lui fit perdre l'équilibre. Elle se retrouva sur les genoux, mains contre le sol et non plus sur le canapé.

Un sol transparent, comme une immense vitre. Un gouffre béant de trouvait sous ses genoux et ses mains.

Elle aperçut à gauche une montagne bleue, dont la crête enneigée paraissait presque toucher ses doigts tremblants. Sur la droite, une brume remontait massivement. Elle était formée en contrebas par une chute d'eau gigantesque qui tombait...en diagonale. Les lois de l'apesanteur ici étaient de toute évidence peu respectées. La montagne et la chute d'eau se rencontraient à des centaines de mètres plus bas, formant ainsi un gouffre en "V".

Maelle n'osait plus regarder sous elle. Par réflexe, elle leva les yeux au ciel. Il n'y avait pas de ciel. Non. Ce qu'elle vit était une forêt violette qui s'étendait à perte de vue. Les arbres pointaient leurs cimes vers elle. « Une forêt à l'envers ! » murmura Maelle, ne sachant plus où était le haut et le bas de cet univers.

- C'est la Forêt Inversée! dit Katya en tendant la main pour aider son amie à se relever. Moi aussi, j'ai eu la même réaction que toi la première fois.

Dean riait :

- Il y en a même qui vomissent... Pas toi ?

Il se moque de moi ! pensa Maelle en suivant Katya.

Maelle préféra marcher le nez en l'air, en regardant la forêt violette. Elle voyait parfois entre les branches touffues, un sentier ou un ruisseau apparaître sur le sol noir. Et surtout, elle se sentait moins nauséeuse qu'en regardant à travers le sol. On entendait, en bruit de fond, un léger son de cascade. C'était très léger. Pourtant la taille démentielle des chutes d'eau (qu'elle évitait de regarder), aurait dû produire un bruit assourdissant, rendant toute conversation inaudible.

Marhu les attendait un peu plus loin. Le sol passa de la vitre transparente à de la mousse puis de l'herbe. Une vaste prairie rouge et rose se dessina.

"C'est incroyable !

- Les lieux rêvés sont tous particuliers, affirma Katya.

- Pour moi, ce n'est pas franchement un lieu de rêve, tu sais.

- Pas un lieu de rêve, corrigea Katya, un lieu rêvé !

- Quelle différence ?

- Les "lieux rêvés" ont été créés par l'imagination d'une personne dotée d'une importante force magique. Plus la personne est puissante, plus le monde créé persiste dans le temps.

- Et ici, qui l'a créé ?

- Mes parents, Katya regardait au loin.

- Il y a longtemps ?

- Avant qu'ils ne nous quittent, moi et ma sœur. Je ne sais plus trop. J'étais trop petite.

Maelle se mordit la lèvre inférieure, car la question avait rendu Katya mélancolique. Elle n'osa pas lui demander ce qu'elle voulait dire pas "mes parents nous ont quittés". Étaient-ils partis ou décédés ? En y repensant, la maison de Katya était déserte et Maelle n'y avait vu aucune trace de présente adulte ou de souvenirs de famille. Elles restèrent silencieuses, le temps d'arriver à la prairie. Dean y jouait déjà avec Bidule.

***

Pendant ce temps, dans la banlieue de la capitale des Ecarlates

« Elle n'est pas normale, tu comprends ! » le mercenaire déformait ses lèvres sous la rage et le dégoût devant l'homme, qui l'écoutait sans mot dire depuis un long moment. C'était la première fois qu'on le payait pour raconter son histoire. A vrai dire, il l'aurait même fait gratuitement : un peu d'élixir de sorl lui aurait suffi pour parler sans fin. Le jeune homme devant lui, muet, lui souriait de manière étrange et hochait la tête de temps à autre, l'encourageant à continuer. Sa cape épaisse, qu'il gardait dans l'étouffante chaleur de la taverne, avait d'abord inquiété le mercenaire : que cachait ce type sous sa rapière ? Le jeune étranger ne semblait pas y prêter attention, pas plus qu'il ne paraissait souffrir de la chaleur produite pas les corps humains agglutinés dans ce lieu de perdition. Près de lui, un adolescent plus petit, plus fluet et tout aussi silencieux dissimulait son visage sous une large capuche noire.

La cité miroirWhere stories live. Discover now