3. La fille à l'épée

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Le surveillant observa Maelle d'un œil blasé en lui donnant son emploi du temps. Il ne fit aucun commentaire avant de lui indiquer la salle où elle devait se rendre, mais insista sur le fait qu'elle devrait mettre les bouchées doubles si elle voulait rattraper son retard : intégrer une classe en cours d'année ne serait pas facile. Surtout compte tenu de son dossier atypique. Avoir fait quatre collèges différents avant celui-ci ne jouait pas en sa faveur.

Maelle serra les dents sans répondre. Sa dernière année au collège ne se présentait pas très bien. Était-ce sa faute à elle, si sa mère décidait à chaque fois qu'on devait déménager ? Cela pouvait arriver du jour au lendemain, sans prévenir. Parfois, il y avait des signes annonciateurs chez Anissa. Maelle avait appris à les reconnaître. Sa mère pouvait par exemple détruire ses derniers tableaux en date ou consommer du café de manière ahurissante et ne plus dormir du tout avant de décréter : « fais tes valises, on part ».
D'autres fois, penchée sur son travail d'artiste peintre, Anissa relevait les yeux alors que Maelle lisait près d'elle et, soudain, sans raison apparente, elle lui prenait la main avec douceur et affirmait d'un ton sans appel : « Il est temps ! ».

Dans les deux cas, l'issue était la même : des cartons faits à la va-vite, Maelle et son sac sur le dos, sa mère au volant de leur petite voiture et leur tante Lyne au téléphone qui s'occupait de toutes leurs démarches administratives, tandis que mère et fille traversaient le pays vers une destination inconnue.

Jamais Anissa n'avait expliqué à Maelle la raison de leur fuite perpétuelle. La seule fois où Maelle avait demandé des justifications, sa mère lui avait répondu que c'était une question de survie.

Depuis, la jeune fille s'était imaginée toutes sortes de scénarios. Son préféré était que sa mère faisait partie du programme de protection des témoins ou qu'elle était une espionne internationale. Néanmoins, rien ne laissait penser que cela soit le cas. Tout ce qui restait à Maelle était la certitude que sa mère fuyait quelque chose d'incroyablement angoissant et puissant.
Même Lyne, la sœur d'Anissa, ne répondait jamais autrement à ses coups de fils que par un « je m'en occupe » entendu.

Toutefois, comment expliqué à ce surveillant la situation ? Maelle soupira en quittant le secrétariat. Dans son poing, qu'elle tenait serré de frustration, la feuille d'emploi du temps se froissa. Elle frappa à la porte du cours d'anglais avant d'aller s'assoir à une place libre au fond de la salle.

Personne ne lui parla, mais elle sentit les regards glisser sur elle. Son cœur martelait chacun de ses pas, jusqu'à ce qu'elle s'asseye près de la fenêtre du fond. Ses camarades baissèrent la tête sur leurs cahiers et continuèrent à noter ce que la prof écrivait au tableau.

Maelle sortit un cahier et sa trousse pour les imiter. Un rayon de soleil se refléta sur la vitre à sa gauche et quand elle regarda vers le ciel, la vue d'une ombre la fit sursauter.

De l'autre côté de la cour intérieure du collège, sur le toit du bâtiment, elle aperçut une fille avec des cheveux rouges bondir sur les tuiles à la poursuite d'une espèce de serpent noir gigantesque.

Elle cligna les yeux de surprise et en laissa tomber son stylo sur le sol de la classe. La fille ne devait pas être plus âgée qu'elle, et sa taille était minuscule en comparaison de l'énorme épée qu'elle brandissait. Une épée aussi large que deux mains d'adultes côte à côte et aussi longue que Maelle était grande. Le serpent noir se faufila à une allure démentielle avant de glisser du toit jusqu'à l'étage inférieur. Il sengouffra par la porte entrouverte d'une salle plongée dans l'obscurité. L'adolescente qui le poursuivait se pencha alors au-dessus du rebord. Elle hésitait visiblement à suivre le même chemin.

À l'étage inférieure, quelque chose apparu à la fenêtre. Deux yeux dorés semblaient briller et fixer Maelle avant de disparaître. Le serpent !

Maelle se leva et posa ses mains sur la vitre. Pouvait-elle prévenir la fille à l'épée ?

La cité miroirWhere stories live. Discover now