Comment devenir une star

Le Vieillard Hiver, chapitre 1

Sylphide habitait le soixante-seizième étage d'une tour qui en comptait soixante-dix-sept. L'appartement au-dessus de chez elle n'avait jamais été occupé et elle ignorait pourquoi.

Le quartier où se dressait la tour était d'une tristesse indicible. Il n'y avait que du béton à perte de vue. Les coups de feu, les rixes, les agressions sexuelles étaient tellement ordinaires que même la presse régionale s'en désintéressait.

L'immeuble où résidait Sylphide avait fini par être baptisé la tour des oiseaux. À l'arrivée du soir, un nuage d'étourneaux enveloppait les derniers étages. Ils tourbillonnaient, virevoltaient ; parfois ils s'écrasaient sur les vitres. La petite fille ne s'était jamais habituée à leurs petits cris stridents.

Elle restait souvent à sa fenêtre, guettant le moment où il neigerait. Quand le tierquar se couvrait de neige, elle avait le sentiment qu'une feuille se tournait : c'était désormais une page blanche qui se présentait sous ses yeux. Un sentiment d'exaltation lui faisait battre le cœur. Non, la tristesse, la frustration, la violence n'étaient pas une fatalité ; cette blancheur était une invitation à écrire elle-même sa propre histoire.

Elle attendait avec impatience l'heure où elle serait en âge de faire ses études à Rouen. Elle sortirait de la tour, elle quitterait Souillanges, elle se mêlerait à la vie culturelle rouennaise. Pour finir, elle se marierait avec Séraphin. Mais ce temps n'était pas encore venu : elle se contentait de rêver à la fenêtre de sa chambre.

Elle était en effet tombée amoureuse d'un garçon tout blond et presque aussi léger qu'une feuille d'automne. Il habitait au trente-troisième étage. Leur désir de se retrouver était si fréquent qu'il leur était arrivé plus d'une fois de se heurter de plein fouet entre le vingt-et-unième et le vingt-deuxième étage, elle dévalant les escaliers, lui les grimpant quatre à quatre. Mais depuis quelque temps, il semblait la bouder...