7. Le Secret de Léon

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— Dans ce cas, dit Léon, installons-nous dans un coin discret.

Pour cela, il n'y avait pas de meilleur endroit que le Coney Island Cafe. Ils y trouveraient une arrière-salle dont l'ambiance tamisée et la musique en sourdine étaient propices aux confidences.

Ils se dirigeaient vers la sortie de Luna Park quand ils tombèrent sur un homme déguisé en extra-terrestre. Pouffant de rire, il les invita à entrer dans une baraque pour se régaler les yeux.

— C'est moi qui régale, dit Léon, entraînant Mélodie derrière lui.

C'étaient des monstres de foire : un homme sans bras ni jambes parvenait à s'allumer une cigarette sous les yeux ébahis des spectateurs, une femme à barbe fit une brève apparition ricanante, des nains effectuèrent de brèves acrobaties. L'obscurité les rendait plus vrais que nature mais ce n'étaient là que des créatures virtuelles et nos deux héros ne tardèrent pas à s'en apercevoir. Le temps était révolu, en effet, où l'on exhibait des lilliputiens, de fausses sirènes et des sœurs siamoises.

Quand ils sortirent, la brise de l'Atlantique s'était réveillée et elle souleva légèrement les mèches de Mélodie.

— Tu es jolie, dit Léon.

À cette heure, il n'y avait plus grand-monde au Coney Island Cafe et ils n'eurent aucun mal à s'isoler dans l'arrière-salle. Un couple de jeunes actifs se trouvait à l'autre extrémité de la pièce mais le golden boy était tellement occupé à se noyer dans les yeux de son vis-à-vis qu'on les imaginait difficilement écouter les conversations aux alentours ou se lever pour aller importuner les clients.

— Moi aussi je suis un freak, dit Léon après avoir bu une gorgée de son café.

— Pardon ?

— Je sais, je n'en ai pas l'air. Mais je ne suis pas comme tout le monde. J'ai une maladie grave.

Cette déclaration fit à Mélodie le même effet que si elle s'était trouvée dans un ascenseur et que celui-ci, un câble étant venu à rompre, s'était mis à dégringoler à toute vitesse.

— Wow, souffla-t-il. Je m'y attendais pas. Tu as mal ?

— Pas encore.

— Sans indiscrétion, qu'est-ce que c'est ?

— Le nom ne te dira rien mais je te le donne car j'ai décidé d'en parler ouvertement. On vient de me diagnostiquer un adénome hypophysaire. La maladie ne s'est pas annoncée. À part des maux de tête, des vertiges et de légères nausées, je n'ai pas vraiment eu de symptômes mais mon médecin a eu un doute. Le verdict de l'IRM m'est tombé dessus comme un coup de masse.

— Oooooh... je suis désolée...

— Tu n'y es pour rien.

— On va te soigner...

— Oui, on m'a proposé un traitement chirurgical. Mais il peut y avoir des séquelles, et je préfère ne même pas en parler.

Un silence s'abattit sur nos héros. Mélodie se sentait impuissante. Les mots qui auraient pu atténuer le désarroi de Léon lui échappaient.

— Ce n'est pas comme si j'allais mourir, dit Léon. Mais quelque chose me chagrine et j'aimerais ton avis là-dessus. Bianca, cela ne t'a pas échappé, est ma petite amie. Or, j'ai peur de lui révéler mon état de santé. J'ai peur qu'elle ne veuille plus de moi. Elle me parle mal, elle me frappe parfois, mais je suis accro à elle et je me vois mal poursuivre mon existence si elle n'est pas à mes côtés...

— Dis-le-lui.

— Vraiment ?

— Oui, insista Mélodie. Dis-le-lui et tu découvriras sa véritable nature. Si elle décide de rester à tes côtés et de te soutenir, cela voudra dire que tu as fait le bon choix. Dans le cas contraire, cela veut dire que cette meuf ne te mérite pas. Et ce ne sera pas une perte...

— Si tu le dis...

Ils achevèrent leur soirée en allant respirer l'air de la nuit sur la promenade Riegelmann. Léon questionna Mélodie sur la France. Il lui demanda quelles étaient ses passions, s'interrogea sur la raison qui l'avait conduite à intégrer l'école Summer. Flattée qu'un garçon lui manifestât un intérêt aussi marqué, Mélodie finit par oublier qu'il était sous le coup d'une révélation affreuse et se montra intarissable sur ses ambitions de devenir une grande compositrice. Loin de soupirer d'ennui, Léon souriait.

— Je te suis très reconnaissant, dit-il. Tu m'as fait oublier que j'étais malade le temps de tes confidences. Tu es une conteuse, tu as un petit quelque chose qui fait qu'on pourrait t'écouter des heures durant. Et puis, c'est la première fois qu'une meuf me témoigne une telle sollicitude. Je sais que j'ai tort, mais j'ai souvent eu l'impression que mes propos n'intéressaient pas les filles et que je devais les impressionner avec mes muscles et ma belle gueule si je voulais les séduire...

— Parce que tu cherches à me séduire ?

Léon se tut et Mélodie s'enfonça dans ses pensées. Elle avait peur pour lui mais n'en montrait rien. Ce garçon n'avait pas besoin d'une épaule pour pleurer mais de discuter de tout et de rien avec une fille, sans prise de tête. Et de telles conversations n'étaient probablement pas possibles avec Bianca, qui était du genre à monter au créneau pour un oui ou pour un non...


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