10. Little Odessa

19 11 20
                                    

Mélodie courait. Elle avait toujours été très active mais elle s'était désintéressée du sport ces derniers mois et elle éprouvait le besoin de se dépenser.

Cela l'avait vexée que Bianca fût parvenue à être à égalité avec elle. En même temps, ce n'était peut-être pas plus mal. La star de l'école Summer lui avait fait un très bon accueil quand elle était venue lui apporter sa chanson. « Encore une comme ça et tu deviens ma parolière et ma compositrice attitrée », lui avait-elle dit avec un large sourire, et Cynthia qui se trouvait juste à côté d'elle n'avait pas manqué de lancer à notre héroïne un regard de haine pure, — jusqu'à présent, c'était elle qui composait et qui écrivait pour Bianca.

Mélodie se mit à courir encore plus vite. Amy lui avait donné rendez-vous au foyer, preuve qu'elle souhaitait afficher sa proximité avec Mélodie et que nouer cette amitié nouvelle ne lui posait aucun problème. Notre héroïne n'était pas si tranquille : en effet, elle avait une demande un peu spéciale à formuler et elle aurait préféré un endroit plus discret.

— Pourquoi tu as couru ? lui demanda Amy en l'invitant à s'asseoir en face d'elle. Tu es tout essoufflée. On n'était pas à une minute près.

— J'ai délaissé le sport ces derniers temps, se justifia Mélodie qui lui glissa la chanson qu'elle lui avait écrite la veille.

Amy prit de longues minutes pour apprécier les paroles et la partition.

— Wow, finit-elle par lâcher. Tu m'as gâtée ! Je ne sais comment te remercier.

— Tu peux peut-être faire quelque chose pour moi.

— Ah ?

À proximité, deux étudiants étaient en train de jouer au flipper. Le premier donnait des coups de rein, le second braillait des encouragements. Un peu plus loin, trois filles gloussaient autour d'un i-phone d'où s'échappaient des exclamations. Mélodie se dit qu'il devait s'agir d'une vidéo comique ou compromettante.

— Tu pourrais me donner le numéro de Léon ?

Amy arrondit les yeux.

— Mélo, tu peux pas me demander ça. Si je te le donne, Bianca me tue. Sans compter que tu peux l'obtenir autrement. Léon a du mal à rester longtemps séparé de sa meuf, il traîne souvent par ici. Demande-le-lui directement. Ah oui, parce que Bianca est la meuf de Léon, au cas où ça t'aurait échappé.

— C'est urgent. J'ai besoin de le voir.

Le visage crispé, Amy arracha une feuille d'un petit agenda qu'elle avait sorti de sa poche, y nota quelque chose, plia la page soigneusement et la tendit à sa nouvelle amie.

— Jure-moi que tu diras rien.

— Je te le jure.

Le cœur battant, Mélodie courut s'isoler sur la promenade Riegelmann. Elle commença par appeler Madison pour annuler leur rendez-vous. Puis elle appela Léon.

Il décrocha au bout de trois sonneries.

— Oui ?

— C'est moi. C'est Mélodie.

— ...

— Je m'inquiétais. Bianca m'a dit que tu étais souffrant.

— Pas faux, reconnut-il.

— Je voudrais te voir.

— Pour tout te dire, je ne suis pas en état de sortir. Je suis encore en pyjamas. Mais si ça te fait pas peur de venir chez moi, tu peux passer. N'aie crainte, j'habite pas loin. Je te ferai une tisane.

— Ton adresse ?

C'était à Little Odessa. Hérissé de synagogues, d'églises orthodoxes et de magasins proposant des produits typiquement russes, le quartier résidentiel de Brighton Beach émerveilla Mélodie qui ne s'attendait pas à être dépaysée à ce point. Léon habitait le dernier étage d'un immeuble moderne. Quand il lui ouvrit la porte, il s'était revêtu d'un pantalon à plis, d'un pull et d'une veste droite. L'appartement était vaste. De la pièce de vie, on jouissait d'une très belle vue d'où il était possible de voir un bout de Manhattan Beach.

— Mon père a fait fortune dans les pirojkis, expliqua Léon. Il possède plusieurs fast-food où la communauté russe a pris ses habitudes. Sans quoi, jamais il n'aurait pu acquérir cet appart.

Il la conduisit dans une petite pièce où se tenait une dame entre deux âges. Plongée dans la lecture d'un ouvrage dont la couverture était en caractères cyrilliques, elle se leva et s'empara des mains de Mélodie :

— Bienvenue, lui dit-elle. C'est gentil à toi de venir voir mon fils.

Puis nos deux amoureux s'isolèrent dans la chambre de Léon.

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Mélodie.

— Les symptômes s'aggravent, dit Léon. Les maux de tête sont devenus violents, les vertiges et les nausées se sont accentués d'un seul coup. Et je commence à avoir des troubles oculaires. La vision périphérique est devenue légèrement floue.

— Tu as peur ?

— Bien sûr. Avoir un cancer et affirmer ne pas avoir peur, c'est du bluff. Je veux vivre, si possible sans séquelles. Ils vont procéder à l'ablation de l'adénome en s'efforçant de respecter l'hypophyse. Il se peut qu'il y ait des modifications du visage mais ce sera temporaire. En revanche, il y a un net risque de méningite et ce risque est valable même plusieurs années après... Je ne parle même pas de l'embolie pulmonaire et des dangers auxquels je m'expose au niveau optique. En ce qui me concerne, les nerfs de la vision sont déjà comprimés par l'adénome. On pensait pas que j'en étais déjà à ce stade.

« Je saurai bientôt ce qu'il en est, ajouta-t-il après un silence. La décision a été prise d'avancer la date de l'opération. Dans une semaine, je suis sur le billard. Je ne connais pas encore le jour.

— Quoi ?

— Ne me plains pas, dit Léon. J'ai une chance inouïe. Mon père est pété de thunes, des tas de gens sont aux petits soins pour lui. S'il était Monsieur-tout-le-monde, il nous aurait fallu attendre des plombes avant d'obtenir une date. J'ai presque honte parce que ce n'est pas juste. Je ne vaux pas plus que les autres.

Un long silence s'abattit sur le couple. Mélodie but une gorgée de sa tisane,prit sa respiration et finit par s'emparer de la main de Léon qui écarquilla les yeux d'étonnement.

— Je suis avec toi, lui dit-elle.

Il ne put pas répondre car son téléphone vibra.

— Excuse-moi, dit-il. Il se peut que ce soit mon père et qu'il ait enfin obtenu la date précise de l'opération.

Aussitôt après avoir consulté son message, il dit doucement à Mélodie :

— Bianca m'écrit qu'elle arrive. Si elle te trouve ici, elle va faire un drame. J'ai déjà les nerfs en pelote et je préfère éviter une scène.

— O.K., dit Mélodie. Je m'en vais.

Elle revêtit en hâte son manteau et embrassa Léon sur la joue avant de s'engouffrer dans l'ascenseur. Quand les portes s'ouvrirent, Bianca apparut et écarquilla les yeux de stupeur.

— Qu'est-ce tu fous là ? hurla-t-elle.

Mélodie tenta en vain de franchir la porte de l'immeuble mais Bianca la retint par la manche :

« Ah non, poursuivit-elle. Tu vas pas t'en sortir comme ça. Tu caches bien ton jeu petite salope !

Comment devenir une starOnde as histórias ganham vida. Descobre agora