Une amitié soudaine et profonde, chapitre 1

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Je m'appelle Sthénie et je dois à la vérité de vous dire que je n'ai jamais été très populaire. Avec mon teint gris, mes yeux couleur d'égout par temps d'averse, mes mèches qui pendouillent tristement, ma petite taille et mes lunettes énormes, je n'attire pas l'attention. Aujourd'hui, il faut être svelte, sportive, rieuse et un peu provocante pour remporter tous les suffrages.

Au collège, je me confondais avec les murs. À la limite, j'aurais pu postuler pour être la tête de Turc officielle. Mais les populaires qui se chargeaient de désigner certaines d'entre nous à la moquerie publique ne m'avaient sans doute pas trouvée assez intéressante pour le rôle.

Il faut dire que tout me glisse dessus. Quand on m'insulte, je hausse les épaules ; quand on me crache dessus, je sors un mouchoir et je m'essuie lentement. Je ne pleure pas, je ne m'indigne pas, je ne me plains pas. Ils n'auraient pas eu la satisfaction de me voir hurler ma rage.

J'ai cru que ma vie allait changer quand je suis entrée en Terminale. Le lycée de Perriers n'a rien de très original. Comme partout, l'objectif est de sortir avec les meilleures notes possibles.  Là aussi, beaucoup de jeunes évitent de parler avec des personnes qui leur semblent trop éloignées d'eux. Il y a des groupes qui ne se mélangent pas : les LGBT, les Gothiques, les footeux, les musicos... Comme je ne m'identifiais à personne, je me suis retrouvée très vite toute seule.

J'avais choisi la spécialité Humanité, littérature et philosophie. La semaine de la rentrée, un garçon s'est assis à côté de moi. On a commencé à discuter.

Il s'appelait Sylvère et me témoignait un intérêt que je ne m'expliquais pas. Assez vite, je suis tombée amoureuse. Deux ou trois fois, il m'a invitée dans un café de la Ville Haute. J'aurais préféré le Café de la Rotonde où on peut acheter des glaces à trois boules mais c'était le lieu de rendez-vous des lycéens et il estimait les avoir assez vus.

À proximité du Bar de Patricia se trouvait une verrerie sur le point d'être délocalisée. L'endroit était plutôt fréquenté par des ouvriers. Tout le monde était en colère car l'usine gagnait de l'argent. Sylvère me disait qu'il se sentait ragaillardi de se trouver en contact avec des prolétaires, et je l'admirais pour cela.

Au bout de quelques semaines, il m'a invitée chez lui et il s'est passé ce qui devait se passer. Une fois qu'il a obtenu ce qu'il voulait, il m'a jetée dehors en balançant par la fenêtre les vêtements que je n'avais pas eu le temps de remettre. J'ai alors compris qu'il s'était moqué de moi.

Pourquoi s'être comporté ainsi ? Je lui avais rien fait. Du reste, je n'avais pas forcément la prétention de nouer une histoire d'amour. J'étais simplement heureuse qu'il consentît à partager avec moi des moments de douceur.

Il aurait simplement accepté d'être mon ami, j'aurais été comblée. J'avais juste besoin de quelqu'un qui fût proche de moi. Peu importe la personne : si elle avait accepté de prendre de mes nouvelles ou simplement de me parler de temps à autre, cela m'aurait suffi et je lui aurais donné mon cœur.

Il semblait que mon destin était tout tracé : je n'aurais aucune satisfaction, ma vie serait grise et terne comme un soir de septembre après une rentrée scolaire où la petite souris se rend compte que tous les matous du quartier ont été regroupés dans sa classe.

Un jour, le prof de littérature s'est moqué de Wattpad. Agacée par le mépris qu'il avait manifesté pour les ados qui écrivaient des fan-fictions, j'ai décidé de m'inscrire. Je ne croyais plus en rien ni en personne, et faire précisément l'inverse de ce que nous demandait un prof ne me paraissait pas forcément une mauvaise stratégie.

Je ne le savais pas encore, mais ma vie allait s'en trouver radicalement transformée...


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