Mr. Jaln

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Accoudée à un mur, elle ricana. Son éclat de voix tonitruant fendit le silence nocturne. Elle essaya de se détacher de son appui. Elle tituba. Se rattrapant de justesse à un vieux poteau rouillé devant elle, son rire reprit de plus belle. Elle enserra ses mains autour de son ventre, mais son sourire joyeux tombait de temps en temps en grimace, comme si elle savait qu'il n'y avait rien de drôle. Bientôt, elle aurait des crampes, à force d'être trop secouée. Elle s'était accroupie au sol tant les saccades de son fou rire la déchiraient, et ses grimaces se firent plus accentuées et douloureuses. Alors elle enserra ses cinq doigts au poteau, pour garder une attache au monde réelle.

Son rictus fondit.

Ses larmes inondèrent ses joues.

Ses mains parcoururent son visage, agissant en éponge. Mais rien ne pouvait nettoyer sa peine. Elle voyait flou. Ou plutôt, elle voyait un monde tanguant. Un monde bancale qui roulait sous le contrôle de vagues invisibles.

Deux quarantenaires passèrent à côté d'elle, et descendirent du trottoir pour l'éviter, tout en lui lançant des regards curieux.

— Qu'est-ce que vous regardez, bande de c*nnards !, beugla-t-elle.

Elle se releva brusquement, et son sang plein d'alcool lui remonta à la tête. Celle-ci lui tourna un peu, et elle se retint une fois de plus à son fidèle poteau.

— Rentre chez toi, petite, lui conseilla l'un des deux hommes. Il est tard et... - il la détailla soigneusement du regard - ... tu ne me sembles pas en bon état.

Ces cinq verres d'alcool inconnu qu'elle avait bus en étaient peut-être la cause. Elle se contenta cependant de grogner.

— Je vais me garder de tes conseils, fils de p*te ! Toi, rentre chez toi !

Elle avança en trébuchant jusqu'à eux.

— Ah non ! Mince ! Ta femme t'a quitté et ta mère t'a renié depuis que t'as abusé de la fille de la voisine !

Elle hoqueta de rire, visiblement fière de son sarcasme.

— Dommage, espèce de vi*leur !

L'homme fronça les sourcils, et son ami lui attrapa le bras.

— Laisse-la, elle est complètements torchée. Elle tient même pas sur ses jambes...

— Ouais, et toi, elle tient comment ta... hips... conscience, depuis ce que tu as fait ?!, ajouta la jeune fille.

Un hoquet brisa sa phrase en deux, et les deux hommes partirent non sans la dévisager avec dégoût.

— Un conseil, répliqua l'ami de l'accusé, ne dis pas n'importe quoi comme ça. Tu devrais avoir honte, pense aux vraies victimes...

La fille appuya violemment son dos contre le mur.

— Ta gueule !, ordonna-t-elle.

Ils s'en allèrent, et elle se retrouva seule. Le poteau devant elle était en fait un lampadaire. Il éclairait de sa lumière jaunâtre la ruelle, qui était teintée d'une couleur moutarde. Elle se redressa, et avança en titubant jusque chez elle. Monter les trois étages de son immeuble pour arriver à l'appartement 304 fut l'étape la plus difficile de son périple. Elle s'affala devant la porte d'entrée, et sonna, en inspirant bruyamment. Bientôt, une femme d'une cinquantaine d'années vint lui ouvrir. Ses traits fins étaient retombées en minces rides avec le temps, et ses grands yeux noisettes fixèrent un instant la jeune fille étalée sur le paillasson comme une mourante. La femme en robe de chambre soupira, et attrapa sa fille par les aisselles, en murmurant.

Acharnement Où les histoires vivent. Découvrez maintenant