Regards

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Évidemment, il existe une multitude de différents regards.

Un regard ne peut même pas être vraiment défini, il est propre à chacun, et ceux qui savent percer leurs significations sont les plus attentifs des membres de l'espèce humaine.

Ne dit-on pas, après tout, que les yeux sont les miroirs de l'âme ? Et déchiffrer ce que cette âme nous cache, savoir lire à travers le reflet des prunelles, ça, c'est un véritable don.

Moi, je me sentais sans cesse observée.

Comme je vous l'ai déjà dit, il y a bien évidement une immense panoplie de différents regards, que je pourrais habilement vous décrire:

Les regards amoureux, ceux qui tracent un pont entre deux esprits, qui créent le lien sacré entre deux êtres s'aimant l'un et l'autre. En croiser un est une bénédiction, qui vous apportera la conscience de qui vous êtes et de ce que vous représentez au sein de ce monde, et surtout pour la personne qui vous aura envoyé cette œillade langoureuse. L'apercevoir, c'est s'ouvrir à l'acception d'avoir une vraie valeur pour l'autre, c'est enfin remarquer que vous valez plus que ce que jamais vous ne pourrez imaginer.

Il existe bien sûr, les regards joyeux. Une alternative de ceux amoureux, à moins que ça ne soit l'inverse. Ils sont de ceux qui réveillent l'âme et qui apaisent le cœur, l'énergie de la bienfaisance les accompagne. Ils apportent la paix à ceux qui les rencontre, et, tels un rayon de soleil matinal, ils réfléchissent la lumière incandescente de bonheur qui flotte dans l'esprit de leurs possesseurs.

Mais connaissez-vous les regards de désespoir...?
Tristes, attristants, attristés...
Gris.
Ils le sont, gris et malheureux.
Ils nous rongent et reflètent les poisons qui ensorcellent notre âme, qui la brûlent dans une lente agonie flamboyante.
Être insensible aux regards tristes est sûrement un vœux très cher à tous, car lorsque l'on ne l'est pas, la misère qui nous emplit l'esprit face à cette vision nous rongera à jamais de la culpabilité de ne pouvoir agir.
Voir quelqu'un de triste et l'ignorer est pour beaucoup plus douloureux que d'être malheureux soit-même.

Les regards de colère sont effrayants.
Ceux-là ne brûlent pas l'être qui les porte, mais celui qui les reçoit. Ils consument le cœur des personnes irritées, ils consument le corps des personnes irritantes.
Ils dévastent le monde et terrifient les esprits, la colère est le plus néfaste des sentiments, elle reste, elle persiste, et elle ne s'éteint jamais réellement.
C'est là que la vengeance nait.
La colère est mère de la vengeance, et les regards colériques sont pères de la terreur.

Car parlons-en, des regards effrayés.
Ce sont les regards torturés.
Les regards proscrits, creux, honteux, et affligeants.
Si vous croisez un regard de peur, soit vous en êtes la cause, soit vous aussi vous en possédez un.
Certains se délectent des pupilles terrifiées et du semblant de pouvoir qu'elles peuvent donner l'impression de posséder envers ceux qui les provoquent. Mais être une menace ce n'est que le moyen de s'immuniser contre la peur en la devenant.
Et c'est là la preuve de la crainte que vous inspire ce sentiment.
Alors voyez bien à quel point ce raisonnement est contradictoire.

Mais enfin, si je parle de tout ça, c'est parce que je me sentais observée.

Observée par un regard qui n'a rien de tous ceux que j'ai pu décrire, et même de tous ceux que j'ai rencontrés...

Je ne savais d'où il venait, ou qui le portait, mais je savais qu'il était posé sur moi.
Un jour, en allant dans les toilettes d'un restaurant, je l'ai vu.

À travers la vitre, près des lavabos, un regard vitreux, jaune, où pulsait en rythme des veines d'animal.
La créature humanoïde à qui il appartenait ne ressemblait à rien: des bras couleur charbon tels des os en lambeaux, un visage émacié et des dents brunies et écartées.
Seules deux fentes lui servaient de nez, et ses longs doigts fins se sont approchés de la vitre.

J'ai à nouveau fixer son regard.
Et j'ai compris.

Assassin.

C'était un regard de tueur.
Le regard qui allait me tuer.

Je suis sortie des toilettes silencieusement, j'ai terminé mon repas au restaurant, et je suis rentrée chez moi.

J'ai fermé la porte à clé ainsi que tous les volets.

Il existe une multitude de regards.
Et il y en a un...

...il y en a un que je ne veux plus jamais croiser.

J'attrape le couteau que j'utilise pour découper la viande, et l'approche de mes prunelles brunes.

De tous les regards du monde, c'est le mien que je sacrifie.

Le sang coule sur mes doigts, et je ne peux plus qu'imaginer sa couleur écarlate.

Je me ferme à tous les miroirs de l'âme du monde, car celui dans lequel j'ai regardé ne reflétait aucun esprit à l'intérieur.

Un souffle chaud vient me caresser la nuque.

Il est venu.


...mais il peut bien me dévorer, jamais plus je ne croiserai ses pupilles dénuées de vitalité.

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