Décevante

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Décevante.

C'est ce que je suis.

Un peu comme ces biscuits entourés de chocolat que je rêvais d'acheter lorsque je faisais les courses avec mon père, le samedi matin. Ils étaient emballés dans un petit paquet bleu métallique, avec pour illustration un lapin blanc tacheté qui se léchait les babines.
Mon père détestait tout ce qui ne portait pas l'inscription « bio » sur son étiquette, une potentielle conséquence des documentaires alimentaires que sa femme mettait en boucle à la télé.

En tout cas, ce qui est certain, c'est que lorsqu'enfin, lors de mon année de quatrième, j'ai eu l'âge de traîner seule avec mes potes dans les rues de ma petite ville de banlieue, et qu'avec le peu d'argent que j'avais accumulé j'ai pu m'acheter ces fameux biscuits...

...j'ai été déçue.

La pâte était trop molle, comme mouillée, et le chocolat avait un goût de noisette industrielle que je détestais.

Vous comprenez maintenant, je suis comme ces biscuits.
Il n'y a rien de croustillant chez moi. Je suis molle. Ma personnalité est fabriquée de toute pièce, industriellement implantée par moi-même dans mon cerveau.

Ne vous fiez pas à mon emballage bleu métallique.

Parce que vous serez déçus.

De loin, j'ai tout de la fille parfaite. L'agréable mélange de tout ce qui constitue la beauté intérieure, un peu mais pas trop, mais quelque part trop de peu sûrement.
Je suis décevante parce que l'on s'attend à ce que je sois surprenante.

Vous serez surpris, oui.

Du fait que je suis tellement ennuyante.

Peut-être parce que je m'efforce de plaire à tout le monde. À force, je n'arrive à plaire à personne.
Toujours en train de donner un avis parfaitement calculé pour convenir à toutes les personnes qui m'entourent, avant de remarquer que cet avis, tout le monde s'en contrefiche.

Décevante parce que je n'arrive pas à savoir ce que je veux.
Décevante parce que j'aide les gens même lorsque je ne les apprécie pas, et que je les lâche ensuite par agacement.
Décevante parce que même lorsque je souhaiterais qu'il n'ait de relation avec aucune autre fille, j'ai trop peur pour vouloir qu'il soit avec moi.
Décevante parce que je ne suis reconnaissante que pour ce qui n'a pas de valeur.

Décevante parce que mon esprit est plat, commun, comme un copier-coller d'une intelligence artificielle négligée.

Je déçois tout le monde. De mes amis à ma famille en passant par mes amours.
Ce qui me fait le plus mal, tout de même, c'est de décevoir mes parents.

Mais au fond, je n'ai pas envie de devoir changer pour eux. J'aimerais pouvoir rester ainsi, et que ça n'ait aucune conséquence.

L'autre jour, j'ai tout arrêté.
Être Miss Parfaite ne me réussissait pas.

Ça ne m'a jamais réussi.

À 18 ans, j'étais toujours aussi décevante qu'à mes 14, et qu'à mes 6 ans.
Alors j'ai tout lâché.

Je suis allée en boîte pour la deuxième fois de ma vie, mais cette fois-ci seule, avec pour but de boire jusqu'à en mourir. Je ne l'ai pas fait, parce que j'ai rapidement rencontré un charmant jeune homme qui m'a invitée à aller se déhancher sur la piste de danse, puis à retourner le faire dans son lit.

Lorsque je me suis réveillée, je ne connaissais toujours pas le nom de ce garçon, mais je n'y ai pas fait attention.
Il y avait des photos sur le mur de sa chambre, avec une autre fille.

Ils semblaient amoureux.
Il l'avait sûrement trompée.

Alors je suis partie, comme une voleuse, ne demandant rien de plus que ce qu'il m'avait déjà donné.
J'ai même oublié le nom du quartier dans lequel il habitait.

Je suis tellement déçue. Je me suis déçue moi-même.
Même en voulant briser les règles que je m'étais imposées, je n'ai réussi qu'à me sentir humiliée et humiliante.
Et puis quelques jours après, je me suis rappelée qu'on ne s'était pas protégés.

Je suis allée acheter un test de grossesse à la pharmacie.
Bien sûr, il y a encore des vérifications à faire avec un spécialiste, mais bon, pour l'instant, je crois que le résultat est assez clair.

Je suis tellement décevante.

Là, je me tiens sur le seuil de la maison de mes parents, un paquet de biscuit à la main.
Lorsque ma mère ouvre, je lui apprends :

— Félicitation, maman, tu vas être grand-mère...

Et je lui fourre dans la main le paquet de biscuit, à l'emballage bleu métallique, et au lapin se léchant les babines dessiné dessus.
En les mangeant, elle sentira encore une fois le goût amer de la déception.

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