Pingouin

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— Tu es un pingouin.

Je regarde l'enfant. Oui, c'est bien moi qu'il interpelle. Sa tête me dit quelque chose. Je pose ma main sur l'épaule de Lucas, tandis que le petit répète.

— Tu es un pingouin.

Il m'adresse un grand sourire, et je le lui rends, bien qu'en un peu plus hésitant.

— Lucas a été très sage aujourd'hui, mais il est tombé à la récréation. On a désinfecté la plaie et mis un pansement, me raconte la maîtresse.

Je détourne mon attention de l'étrange enfant, et soulève le coude de mon fils sur lequel un bandage Cars trône fièrement.

— Ça t'a fait mal ?, lui demandé-je, inquiète.

— Non, affirme-t-il.

— Bon, très bien.

Je lui ébouriffe les cheveux avec affection, et la maîtresse me rappelle :

— La chorale de l'école aura lieu le 15 décembre, et elle est gratuite ! J'espère que vous serez là !

— Nous avions prévu d'y aller, mon mari et moi, affirmé-je. Je suis sûre que les élèves chanteront superbement bien.

Nous blablatons quelques temps encore, et après avoir échangé deux ou trois banalités, je sors enfin de la salle de classe. Lucas enfile ses chaussures en me parlant de la leçon sur les sons qu'ils ont fait aujourd'hui, et je l'écoute attentivement. Le couloir est vide, mais j'aperçois un enfant qui passe la tête dans l'entrebâillement de la porte.

Le même que tout à l'heure.

— Tu es un pingouin, assure-t-il.

Je le scrute avec incompréhension. Essaie-t-il de me dire quelque chose ou est-il simplement stupide ?

— Enzo ! Laisse la maman de Lucas tranquille, et retourne dans la classe, l'appelle la maîtresse depuis l'intérieur. Tes parents vont bientôt arriver.

Sa tête disparaît, et la porte se referme.

Les paroles résonnent encore dans ma tête.

« Tu es un pingouin... »

•••

— Tu le connais bien, Enzo ?

Lucas me répond à peine, en dessinant des flocons sur la vitre embuée de la voiture.

— Bof, c'est pas mon ami.

— Il est gentil ?, je réessaie.

Un embouteillage devant moi me force à ralentir. Je soupire. Je déteste rentrer en voiture les soirs d'hiver, la nuit est déjà tombée, la neige crée des bouchons, et tout le monde est plus fatigué.

— J'en sais rien, il est toujours tout seul.

— Pourquoi ?

— Il aime pas les gens. Il dit qu'on est bête.

— Tu es sûr que c'est pour ça ?

Lucas ne me répond pas, il ricane. Je détourne un instant mon attention de la route devant moi, et je vois qu'il s'est amusé à dessiner une immense crotte sur la vitre arrière.

— Lucas !, protesté-je.

Il rigole de plus belle.
Au bout d'un moment, nous arrivons enfin aux origines de l'embouteillage. La police est en train de disperser des manifestants qui brandissent des pancartes, sur lesquelles on peut lire l'inscription : « rends-nous notre travail, Savildes ! »

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