41. L'instant présent

339 34 25
                                    

Zoro cligna des yeux, le soleil du matin étincelant à travers les grandes baies vitrées de la vigie et l'éblouissant immédiatement. Il était toujours assis contre le mur et il se passa une main sur le visage. Le jour se levait et il bougea pour s'étirer. C'est à cet instant qu'il perçut un poids sur son épaule droite et il tourna la tête avant de se figer. A ses côtés, le cuisinier s'était pelotonné contre lui et sa tête était tombée sur son épaule. L'escrimeur ne se rappelait pas que le blond s'était rapproché pendant la nuit mais au vu de ses bras serrés autour de son corps, Zoro devina qu'il avait eu froid.

Le bretteur se détendit et laissa son regard dériver un moment vers l'extérieur tandis qu'il restait finalement immobile. Il ne devait pas être très tard étant donné la position du soleil au-dessus de la ligne d'horizon et le cuistot ne tarderait pas à se réveiller, habitué qu'il était à se lever tôt pour préparer le petit déjeuner. Pour l'instant, il pouvait le laisser à ses rêves. Ses mèches blondes scintillaient dans la lumière matinale sur son haramaki et Zoro soupira doucement.

Depuis leur dernière escale, leur conversation lui revenait souvent en tête et la présence du principal intéressé contre lui ne manqua pas de la lui rappeler encore une fois. Ce soir-là, Sanji était épuisé mais il avait tenu à mettre des mots sur ce premier évènement qui avait commencé à creuser l'écart entre eux et son honnêteté avait poussé l'épéiste à faire de même. En effet, depuis toutes ces semaines, Zoro avait eu le temps de réfléchir et de prendre du recul au regard de tout ce que le blond traversait et cette remise en cause lui avait été bénéfique à lui aussi.

Comme il le lui avait affirmé et malgré les apparences, le sabreur était persuadé aujourd'hui que le cuisinier n'était pas le seul responsable de la dégradation de leur relation. Zoro s'était ainsi rendu compte que les non-dits et les silences n'avaient pas été que du fait de son compagnon. Chacun avait interprété l'attitude de l'autre selon ses propres critères depuis le début et personne n'avait fait l'effort de s'intéresser réellement à la signification de leurs actes au fur et à mesure de leur rapprochement. Sanji avait eu raison de pointer qu'il n'avait pas mesuré la portée d'un tel engagement car l'escrimeur lui-même n'y avait pas réfléchi. Il avait agi par instinct sans se douter des implications que cela soulèverait.

Zoro admettait bien volontiers qu'il ne connaissait rien à l'amour et si Sanji semblait plus à l'aise sur le sujet, le bretteur n'avait jamais cru qu'il possédait réellement plus de connaissances pour autant. Sa façon de tournoyer et de batifoler auprès des filles n'était pas ce qui les séduisait et lui-même trouvait son attitude stupide d'un point de vue extérieur. L'épéiste avait alors mis le doigt sur un détail crucial. Sanji et lui envisageaient l'amour de manière radicalement différente et Zoro avait été naïf de croire que cette divergence n'aurait aucune incidence.

En réalité, il était logique que le cuisinier se soit montré méfiant, d'autant que cette relation avait réveillé des angoisses profondes. Et si le sabreur n'en avait rien su, c'était parce qu'il ne s'était pas posé la question du comportement du blond jusqu'ici. Pourquoi Sanji avait-il besoin de noyer les autres d'attentions, et particulièrement les filles pour se faire remarquer ? Pourquoi pensait-il que la seule façon d'attirer leur regard était de se plier à leurs moindres désirs ? Que signifiait son attitude envers lui, si opposée, alors qu'ils partageaient une intimité que le blond disait rechercher ?

Ses agissements avaient longtemps été un mystère mais à présent, le vent de l'incertitude se levait pour faire place à une vision bien plus claire de son compagnon. Sanji n'avait pas voulu le repousser parce que ses sentiments n'étaient pas partagés. Il avait seulement été déstabilisé et il n'avait pas osé parce qu'il avait senti que leur relation l'emmènerait sur un terrain qu'il n'avait pas anticipé. Et il avait fallu qu'il frôle la mort et en perde presque son identité pour l'avouer mais il avait fini par le faire. Le cuisinier avait explicité ce qu'il avait traversé et Zoro avait été frappé par la première révélation qu'il en avait retiré avant même de comprendre la portée de son aveu : Sanji progressait. Ce courage dont le blond avait fait preuve à cet instant était celui du compagnon qu'il avait toujours connu et qu'il recherchait sans pouvoir s'en empêcher.

A l'ombre de nos cœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant