Une petite mélodie se fit entendre et il ne put faire autrement que de sourire en percevant le soupir de son voisin de siège. Il l'imaginait sans mal lever les yeux au ciel en découvrant la missive qu'il venait de recevoir. C'était un tic qu'il avait repéré assez rapidement chez Matthew et qui le rendait particulièrement adorable.
Bercé par le ronronnement de la voiture, et somnolent à demi, il fut soudainement happé par la sensation d'un regard posé sur lui. L'impression se confirma lorsque, poussé par la curiosité, il souleva les paupières de façon imperceptible.
Il surprit les prunelles de Matthew le scrutant avec attention. Il semblait à la fois ici et ailleurs, comme aux prises de pensées qui tentaient de le submerger.
Gabriel ouvrit un peu plus les yeux sans que son observateur n'ait la moindre réaction. Ce dernier, toujours perdu dans sa contemplation, mordillait distraitement sa lèvre inférieure.
Ce simple geste fit naître une douce et agréable chaleur qui prit instantanément possession de son corps. Il ne pouvait désormais plus rester aussi impassible. Cette lèvre pleine et légèrement humide lui donnait envie de retrouver la tendresse de son contact.
Son cœur eut un soubresaut quand il s'imagina se redresser et embrasser cette bouche qui l'appelait silencieusement. Il décida de parler, pour faire taire ses envies et chasser la tentation bien trop présente.
— C'est flippant de regarder les gens comme ça !
Il était loin de se douter de la réaction que provoqueraient ses mots. Matthew sursauta brusquement et, comme pris en faute, se détourna vers l'avant du véhicule.
— Tout va bien Matthew ?
— Oui, oui.
Il avait répondu sans se tourner vers lui, les prunelles rivées sur ses mains qu'il triturait nerveusement.
— On ne dirait pas, pourtant.
Matthew ne répondit rien et Gabriel pivota sur la banquette autant qu'il le put pour tenter d'accrocher le regard fuyant de son ami. Il sentit les muscles se crisper légèrement sous sa paume qu'il avait arrimée à son épaule.
— Matthew, je vois bien que tu n'es pas dans ton état normal.
Toujours aussi silencieux, il le vit fermer les yeux un court instant puis se tourner enfin vers lui, un sourire bien trop forcé pour être vrai sur les lèvres.
— Je t'assure que tout va bien.
Il ne fut pas dupe une seule seconde et ne se priva pas de le lui signaler.
— Va falloir bosser ton jeu d'acteur parce que je n'y crois pas une seule seconde.
— Hey !
Vu le sourire — sincère cette fois-ci — qui illumina les traits de son vis-à-vis, sa tentative d'humour avait eu l'effet escompté.
Matthew lui assena un coup de poing amical sur le torse et il se retint difficilement de rire face à la légère grimace de douleur apparaissant brusquement sur son visage. Ses muscles inconsciemment bandés avaient rencontré la main de son ami de façon un peu trop abrupte apparemment. Le malaise dont avait été victime Matthew semblait avoir disparu, et c'est donc rassuré que Gabriel descendit en premier de la voiture avant d'attendre l'acteur près du bâtiment.
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Le shooting se passa plutôt bien. Ils jouaient de leur complicité devant l'objectif, au plus grand bonheur de la photographe qui les laissait mener la séance. Matthew offrait sa bonne humeur aux flashs qui crépitaient et Gabriel ne pouvait s'empêcher d'être admiratif face à sa prestance. Lui si introverti dans la vraie vie, se révélait de façon magistrale sous l'œil de la caméra. Gabriel était d'ailleurs persuadé qu'il n'avait aucune réelle conscience de ses propres talents.
Ils enchaînèrent les prises de vues, sans se départir de leur jovialité, même lors des passages en solo. Ils étaient restés dans la pièce pendant que l'autre posait, plaisantant ou se moquant gentiment. Ils avaient sans doute donné un peu de travail supplémentaire à la photographe, mais celle-ci ne s'en plaignit pas, bien au contraire. Elle les avait même encouragés à interagir, cela permettant selon elle, un rendu plus naturel sur la pellicule.
Un dernier changement de vêtements effectué et ils se retrouvèrent dans un décor qui ressemblait à s'y méprendre à un véritable photomaton. Ils furent donc contraints, pour le besoin de réalisme, de se tenir vraiment proches l'un de l'autre. Leurs genoux se frôlaient et les mains prenaient place sur le corps de l'autre.
Plus les minutes défilaient et plus Gabriel pouvait sentir Matthew se crisper à son contact. Le malaise qu'il pensait disparu avait brutalement refait surface.
Il pouvait raisonnablement affirmer qu'ils étaient amis et la proximité que leur rôle leur imposait n'avait jamais semblé problématique. D'où pouvait donc venir ce brusque changement de comportement ?
Les connexions ne tardèrent pas à se faire dans son esprit et le ramenèrent à leur baiser de la veille. Ce moment d'intimité avait dépassé toutes les limites qu'ils respectaient lors des tournages. Gabriel n'avait à aucun moment imaginé qu'il déclencherait un tel sentiment de gêne chez son ami en acceptant de relever ce défi. Il ne l'aurait jamais fait sinon.
Il sentit un frisson parcourir le corps de Matthew quand il faufila sa paume dans le bas de son dos, pour enserrer sa taille, comme demandé par la jeune femme qui continuait son travail, bien aveugle à la tension effleurant leurs êtres enlacés.
— Tout va bien Matthew. OK ?
Il avait murmuré ces quelques mots en raffermissant son étreinte, après avoir posé le menton sur son épaule. Ce dernier se contenta d'un bref signe de tête affirmatif sans desserrer les mâchoires. Il semblait déstabilisé par les réactions de son propre corps à leur proximité et donnait l'impression de lutter contre celles-ci, comme s'il ne les acceptait pas.
Gabriel de son côté se surprit à inspirer discrètement les fragrances subtiles émanant de son partenaire à l'écran. Il fut presque déçu de devoir s'éloigner de lui quand la photographe les informa de la fin de la séance.
Tandis qu'ils rejoignaient la loge pour revêtir leurs habits personnels, Gabriel prit une décision. Lui n'avait eu aucun mal à accepter ce qu'il avait ressenti pendant leur baiser, mais cela avait l'air de déclencher un sentiment confus chez Matthew et il ne voulait pas le laisser seul face à ses cogitations. Il voulait l'aider à appréhender la situation et dédramatiser la portée de ce défi.
— Taylor n'est toujours pas rentrée si je me souviens bien ?
Il avait dû le sortir d'une profonde réflexion, car Matthew resta un moment les sourcils froncés et le regard légèrement perplexe avant de lui répondre.
— Heu... Taylor... oui, non... pas encore.
Son balbutiement incertain fit sourire Gabriel qui eut du mal à enchaîner sur sa demande. Il ne voulait pas prendre le risque d'aggraver les choses, mais il était évident qu'échanger sur ce qu'il s'était passé entre eux s'avérait nécessaire.
— À propos d'hier soir...
Il aurait presque pu entendre le cœur de Matthew louper un battement. Il s'efforça néanmoins de poursuivre.
— Il faut vraiment que nous en parlions. Tu pourrais m'inviter à boire une bière chez toi et nous en discuterions, tranquillement, sans pression.
Un rictus amusé apparut sur les lèvres de son interlocuteur qui s'empressa de réagir à sa réplique.
— Une bière, sans pression ? Et tu dis ça sérieusement en plus !
Ils partagèrent un éclat de rire avant que Matthew ne se reprenne et ne réponde à sa demande.
— Je t'avoue que ce soir ça ne m'arrange pas. La prise de tête avec Taylor hier m'a un peu gâché la nuit, du coup, je suis HS.
En d'autres termes, c'était une façon polie d'esquiver la conversation. Gabriel avait bien prévu cette éventualité, il ne pouvait pour autant pas le forcer à discuter s'il n'en avait pas envie. Peut-être que les choses se tasseraient, et redeviendraient comme avant, d'elles-mêmes.
— Comme tu veux Matthew. Mais tu sais que je suis là si tu as besoin de parler... de quoi que ce soit... et surtout si ça me concerne. OK ?
— Je sais, mais je t'assure, tout va bien, pas de malaise.
Il s'était alors avancé vers lui et l'avait pris rapidement dans ses bras.
Comme un peu plus tôt dans le parc, leur étreinte avait duré une seconde de plus. Chacun avait pu ressentir ce petit lien — qui semblait s'être noué entre eux depuis la veille — se resserrer encore un peu. Puis Matthew s'éloigna et se faufila dans le couloir sans l'attendre après un dernier signe de main.
Quand Gabriel rejoignit le rez-de-chaussée puis l'entrée du bâtiment, il avait déjà disparu.