Chapitre 5 (partie 1/4)

318 44 8
                                    


Matthew


Le réveil fut des plus compliqués pour Matthew. Il n'avait cessé de se tourner et se retourner dans son lit. Des rêves tous plus insensés les uns que les autres avaient morcelé sa nuit tel un puzzle déconstruit.

Il s'extirpa ensuite des couvertures avec le besoin urgent d'apaiser son esprit. Quoi de mieux qu'un moment passé en compagnie de sa confidente de toujours pour ça ? Son téléphone lui annonça d'ailleurs l'arrivée d'un nouveau message d'Alexa. Timing parfait.


Hey, mon petit colibri !

Je viens de voir ton message.

Tout va bien ?


Oui. Non. Je ne sais pas trop.

Un pique-nique à Central Park ça te dit ?


Toujours.

À tout à l'heure petit frère.


Un petit émoji cœur en réponse au smiley qui envoyait des bisous de sa sœur, puis il déposa son mobile sur le plan de travail, brusquement nerveux. Il ne pouvait rien lui cacher. Elle, qui lisait en lui comme dans un livre ouvert, devait évidemment se douter que quelque chose le préoccupait. La nuit ne lui avait été d'aucun secours et les souvenirs de ce baiser partagé avec Gabriel s'étaient imposés à lui dès le réveil.

Il avait besoin de cette conversation. Il ne pouvait cependant occulter le fait qu'il la redoutait tout autant qu'il la désirait. Il était conscient que cet échange marquerait un tournant décisif dans sa vie. Était-il réellement prêt pour cela ? Il n'y avait qu'un moyen de le savoir.

D'aussi loin qu'il se souvenait, il n'avait jamais été doué en cuisine, à une exception près : le crumble aux myrtilles. C'était également devenu au fil des années une sorte de rituel quand il voulait avoir une discussion sérieuse avec Alexa.

Il songea brièvement à Gabriel qui était sûrement en route vers l'aéroport — ou bien avait-il déjà retrouvé Heather — et faillit se laisser happer une fois de plus par les images de leur défi. Il s'ébroua toutefois pour chasser les ébauches de couleurs de son esprit, il ne les avait que trop ressassées depuis qu'il avait posé le pied au sol. Il fallait que cela cesse.

Il était surtout nécessaire qu'il s'active s'il voulait avoir le temps de préparer le repas avant de rejoindre sa sœur. Arriver après elle n'était pas une option envisageable. Elle avait une sainte horreur d'attendre — cela expliquait sans doute sa propension à toujours être en retard — et il avait vraiment besoin qu'elle soit dans les meilleures dispositions possible pour l'aider à éclaircir ses pensées confuses.

Il fit l'inventaire de ses placards et constata qu'il n'avait malheureusement pas tous les ingrédients nécessaires à sa préparation. Il se pressa donc de faire un rapide aller-retour dans l'épicerie qui occupait le coin de sa rue.

De retour chez lui, il s'affaira tout d'abord à l'élaboration des sandwiches puis s'attaqua au crumble. La recette n'était pas complexe, mais prenait du temps. Il ne pouvait s'empêcher de surveiller régulièrement l'heure sur l'écran de son Le mets sucré enfin déposé dans le four, il profita des vingt-cinq minutes de cuisson pour filer prendre une douche rapide.

La minuterie, qu'il n'avait pas oublié de régler pour une fois, sonna juste au moment où il enroulait une serviette autour de ses hanches. C'est donc dans cette tenue, la peau encore humide de son séchage express, qu'il se faufila jusqu'à la cuisine pour admirer son œuvre culinaire dont il fut particulièrement fier.

Il diminua le thermostat du four et laissa la porte entrouverte pour conserver la chaleur, et se précipita vers la chambre pour finir de se préparer. Il se décida pour une tenue simple et décontractée : un jean sombre et surtout la chemise hawaïenne que sa sœur lui avait rapporté de l'un de ses voyages.

De retour dans la cuisine, il rassembla les victuailles dans un panier à pique-nique qui ne servait que pour les repas en famille, Taylor préférant une table dans un restaurant chic à la frivolité des pelouses d'un parc.

Il fut assez satisfait d'être le premier arrivé sur le lieu de rendez-vous. Il s'installa tranquillement, étalant l'immense couverture sur l'herbe verdoyante et s'y allongea. Les bras repliés sous la tête, il observa le bleu du ciel à travers ses lunettes de soleil qu'il avait chaussées un peu plus tôt en sortant de chez lui, et profita de ces quelques minutes d'accalmie avant l'arrivée d'Alexa.

Il ne put ignorer son air, à la fois surpris et inquisiteur, quand elle lui fit enfin l'honneur de sa présence, avec une bonne vingtaine de minutes de retard, bien évidemment. Elle remonta nonchalamment sa paire de solaires sur le haut de son crâne et le toisa de son regard océan.

Il se redressa tandis qu'elle se penchait pour faire claquer un bisou sur chacune de ses joues. Elle s'installa ensuite face à lui et, avec une impression faussement pensive sur les traits, lança enfin la conversation.

— Tu arrives avant moi.

Elle leva l'index puis désigna son torse du menton en haussant effrontément son sourcil gauche en poursuivant.

— Tu as mis la chemise que je t'ai offerte.

Son majeur rejoignit le premier doigt, formant ainsi le signe de la victoire, puis elle marqua une pause dans son décompte pour jeter un œil au contenu du panier à pique-nique. Une douce odeur, agréablement sucrée, s'en échappa et elle inspira lentement, un sourire gourmand dessiné sur les lèvres.

— Et tu as fait un crumble aux myrtilles.

Elle ponctua sa phrase en levant son annulaire, son pouce retenant avec difficulté son auriculaire qui peinait à rester contre sa paume.

— Qu'est-ce qui se passe Matthew ?

Il avait bêtement imaginé qu'il aurait un petit temps de répit avant qu'elle ne lance les hostilités et ne lui demande de cracher le morceau. C'était bien mal connaître l'impatience de sa sœur. Il n'était pas prêt. Pas maintenant. Pas comme ça.

— Matty ! Respire et parle-moi. Tu sais que tu peux tout me dire ?

Son cerveau se mit à tourner à plein régime. Il ne pouvait pas lui parler du défi. Il ne pouvait pas lui parler du baiser. Il lui fallait trouver autre chose. N'importe quoi !

— J'ai eu Taylor au téléphone hier soir.

— Ah ! C'est cool. Elle t'appelait pour s'excuser de t'avoir laissé en plan jeudi soir ?

Il ne se risqua pas à répondre à la question de sa sœur qui était bien évidemment rhétorique. Il se pencha vers le panier et lui tendit l'un des sandwiches qu'il avait préparés avec amour — enfin surtout avec de la dinde, des tomates et de la salade — dans une vaine tentative pour distraire son invitée. Il en prit un aussi, mais se contenta de jouer avec le film alimentaire, l'appétit n'étant pour le moment pas au rendez-vous.

Alexa eut le temps de terminer son en-cas sans qu'il ne parvienne à reprendre le fil de la conversation. Elle posa une main délicate sur les siennes, libérant par la même occasion ce pauvre sandwich sans défense qui n'avait rien demandé.

— Raconte-moi.

— Elle m'a juste annoncé avoir pris contact avec des agences pour mettre son appartement en vente et a piqué une crise quand j'ai osé mentionner le fait que nous n'avions pas planifié de vivre ensemble. Apparemment, notre vie n'est rien de plus qu'une liste de choses à faire pour elle...

À quoi bon noyer le poisson, les lubies de Taylor n'avaient rien d'inédit et ne constituaient pas le fond du problème. Il prit une profonde inspiration pour trouver le courage de se lancer, les yeux rivés sur ses mains, incapable d'affronter le regard attentif de son aînée.

— Mais ce n'est pas pour ça que je voulais te voir.

— Ah non ?

Le ton faussement étonné d'Alexa lui arracha un sourire discret.

— Je... Ça a recommencé.

— Quoi donc Matty ?

— Tu... Tu te souviens de... Tobias ?

Perfect Illusion ( Nouvelle version)Where stories live. Discover now