Gabriel
Les yeux toujours clos, Gabriel s'étira longuement avant de relever la tête jusque-là enfouie dans l'oreiller, faisant craquer l'une de ses cervicales dans le mouvement. Il soupira en laissant retomber lourdement son visage dans le ballot de plumes bien trop moelleux pour son bien.
Sa nuit avait été peuplée de rêves, tous plus étranges les uns que les autres, et il avait la sensation de ne pas s'être suffisamment reposé, son esprit encore embrouillé par la présence de Matthew dans ses scénarios nocturnes.
Il s'extirpa difficilement de son lit si confortable, et avança d'un pas mal assuré, les paupières toujours à demi-fermées, vers la salle de bain. D'un coup d'œil rapide à son reflet dans le miroir, il repéra sans mal les marques sombres sous ses yeux, signe évident de sa courte nuit.
Par chance, Louise, l'une des maquilleuses de la série, lui avait conseillé un super anticernes, qui selon elle, faisait de véritables miracles même sur les visages les plus chiffonnés. C'était le moment ou jamais de le tester, en espérant que Heather ne l'ait pas glissé par inadvertance dans ses affaires lors de sa dernière visite. Comme aucune session de tournage n'était prévue de la journée, il n'aurait pas l'occasion de remercier la jeune femme, mais se promit de le faire dès qu'il la reverrait.
Le programme de ce début de week-end était assez léger. Il devait seulement récupérer sa charmante petite femme qui, contrairement à ce qu'il avait dit la veille, n'arrivait à l'aéroport qu'en toute fin de matinée. Il avait également un rendez-vous à l'autre bout de la ville pour une séance photo en compagnie de Matthew.
Il était neuf heures tout juste passé de trente minutes quand il sortit de la salle de bain, un nuage de vapeur dans son sillage. Il enfila des vêtements confortables. Un jean sombre accompagné d'un de ses éternels t-shirts blancs qu'il affectionnait tant.
Il n'avait pas mis longtemps à trouver ses repères dans cet appartement loué pour le temps que la série perdurerait. La décoration était simple, les couleurs utilisées avec parcimonie rendaient l'endroit chaleureux, et l'emplacement de chaque pièce avait été réfléchi et pensé pour être le plus fonctionnel possible. Un lieu de rêve, en plein cœur de New York, il fallait le reconnaître.
Malgré tout ce confort, sa maison en bord de plage et surtout le climat de Los Angeles lui manquait. Il n'avait que très rarement l'occasion de s'y rendre entre les tournages et les divers rendez-vous professionnels qu'il devait honorer. Mais il avait choisi cette vie et il n'oserait jamais se plaindre de la chance qu'il avait de faire le métier de ses rêves.
Il repassa rapidement dans la pièce d'eau pour mettre de l'ordre dans ses cheveux et masquer ses cernes, qui ne cessaient de le narguer de leur aura bleutée, et fila vers la cuisine pour se préparer un grand café noir. Une grande quantité du breuvage lui serait plus qu'utile pour tenir toute la journée.
Adossé au plan de travail, il consulta son téléphone et remarqua deux messages non lus.
Salut Sweetie, je monte dans l'avion. À dans quelques heures.
Hâte qu'on se retrouve, j'ai plein de choses à te raconter.
N'oublie pas la séance photo. Princess Park à 17h !
Le premier était de Heather et le second de Matthew. Il leur répondit entre deux gorgées de café, bien conscient que sa compagne, et meilleure amie, ne verrait son message que lorsque son avion aurait atterri sur le tarmac de l'aéroport de New York.
Un homme incroyablement beau t'attendra à ton arrivée !
Merci pour le rappel, mais je ne suis pas un poisson rouge.
Ce n'est pas la modestie qui t'étouffe toi !!!
Il resta un moment dubitatif face à la réponse de son collègue.
Il remonta distraitement le fil de la conversation, son mug toujours dans sa main droite et ne put retenir un rire face à la bourde monumentale qu'il venait de commettre. Il avait fait une légère inversion de destinataire et Matthew avait donc eu la missive destinée à Heather et vice-versa. Une chance que leur contenu n'avait rien eu de compromettant.
Erreur de destinataire, ne fais pas attention au message précédent.
Voilà le bon : Un homme incroyablement beau t'attendra à ton arrivée !
Oups... Je disais donc...
Merci pour le rappel, mais je ne suis pas un poisson rouge.
Je préférais l'autre finalement...
✭✭✭
Zone des arrivées de l'aéroport. Une heure que Gabriel répétait le même manège. Il se levait, faisait les cent pas et finissait par se rasseoir avant de tout recommencer cinq minutes plus tard.
D'aussi loin qu'il se souvenait, il n'avait jamais été capable de rester assis à attendre. Il ne tenait pas en place et ça lui avait valu quelques remontrances lors de sa scolarité. Il était passé pour un véritable cancre alors que son corps avait seulement besoin de s'exprimer, d'évoluer dans l'espace et non d'être contraint et forcé à l'immobilisme. C'était d'ailleurs cette nécessité qui l'avait poussé vers la danse.
Un homme d'une quarantaine d'années l'esquiva de justesse tandis qu'il déambulait sans s'en rendre compte au milieu du couloir de circulation. Il voulut s'excuser, mais l'inconnu s'était déjà évaporé entre les autres voyageurs. Il se faufila entre les rangées de sièges et se posta près de la baie vitrée pour contempler le ballet terrestre de ces immenses oiseaux de fer en perpétuel mouvement.
Une petite voix fluette, sortant des haut-parleurs, annonça enfin l'arrivée du vol en provenance de Los Angeles. Il extirpa son mobile de sa poche pour consulter l'heure et découvrit un nouveau message de Kasey.
Hey, juste un petit mot pour prendre des nouvelles.
Tu m'avais l'air préoccupé quand tu es parti hier soir.
J'étais juste un peu fatigué, rien de grave.
C'est gentil de t'inquiéter pour moi, mais tout va bien.
Il détestait mentir, plus que toute autre chose, mais il s'imaginait mal expliquer à sa collègue, aussi adorable soit-elle, les raisons de son trouble et de son départ précipité. Bien malgré lui, ce message fit remonter dans son esprit les souvenirs de la veille.
Adossé contre la cloison en verre épais, il laissa ses pensées dériver vers Matthew et le baiser qu'ils avaient partagé. Sa main accrochée à la nuque de Matthew, et surtout les pulsations rapides de sa carotide sous sa paume. Cette étrange sensation de chaleur qui s'était répandue dans tout son corps quand leur étreinte était devenue plus intime. La caresse si sensuelle de leurs langues et cet infime regret de devoir mettre un terme à ce moment si intense. Ce n'était qu'un simple défi. Pourtant, l'envie folle de recommencer et de retrouver cette chaleur envoûtante ne l'avait pas quitté depuis le soir précédent.
Noyé dans ses souvenirs, il ne remarqua pas tout de suite la silhouette présente face à lui. Seule la tendresse d'une petite main effleurant sa joue parvint à le ramener à la réalité. Il tomba alors nez à nez avec le visage lumineux et souriant de Heather, les phalanges de la jeune femme frôlant toujours sa pommette.
— Hey ! Sweetie est enfin de retour sur terre. Je ne sais pas à quoi tu pensais, mais ça fait cinq bonnes minutes que je suis là à observer l'immense sourire sur ton visage...
— Oh, excuse-moi, je devais dormir les yeux ouverts, j'ai eu du mal à trouver le sommeil cette nuit.
Et un mensonge de plus, même s'il n'était que partiel il commençait à les cumuler aujourd'hui.
— Ça a été ton vol ?
Elle lui répondit par l'affirmative tandis qu'il se penchait vers elle pour déposer un rapide baiser sur ses lèvres fines. Il passa ensuite un bras protecteur autour de ses épaules dénudées les guidant vers la sortie, entraînant derrière lui la valise de sa compagne.
Après un passage furtif par l'appartement pour se délester des bagages, ils décidèrent, d'un accord commun, de profiter du soleil de septembre en s'octroyant une petite balade dans les rues de la ville.
S'arrêtant, au gré de leur promenade, près d'un marchand ambulant pour contenter leur estomac, ils choisirent ensuite de poursuivre leur chemin vers les étendues, encore verdoyantes à cette époque de l'année, de Central Park.