[Point de vue de Roxanne]
Dans le passé – été 2009
Coucher avec Thérius était l'une des expériences les plus satisfaisantes de ma vie. J'avais eu l'impression de redécouvrir mon corps, ses limites, ses sensations mais surtout le plaisir.
Thérius, en me révélant ma vraie nature, m'avait ouvert une nouvelle voie. Une nouvelle destinée.
Mais est-ce que j'étais prête à l'assumer ?
« Roxy, tu pourrais aller me chercher L'anatomie des plantes dans la bibliothèque du rez-de-chaussée ? Mon dos me fait encore mal... » me demanda Anita alors que nous étions tranquillement installées dans le jardin de l'annexe.
Cela faisait une semaine que j'avais couchée avec Thérius et, même si elle était comme une sœur pour moi du fait de notre âge avancé, je ne lui avais pas révélé ce moment intime de ma vie.
J'avais peur que son esprit conservateur me juge sur cette relation sans amour et spontanée avec un démon.
Oui, c'était sûr qu'elle m'aurait jugé vu comme ça.
En route vers le manoir Hoffman, j'étais rassurée d'apprendre de la bouche d'Anita, qu'Hermine et sa famille étaient parties pour un événement mondain à Dublin et que je n'aurais à rencontrer personne si je me débrouillais bien pour esquiver les domestiques et l'intendante.
Arrivée à pas de loup devant la porte de la bibliothèque entrouverte et silencieuse, je me faufilais jusqu'à l'étagère lorsque je vis une silhouette penchée vers le canapé.
Une silhouette avec des cheveux familiers...
« Miguel ? » chuchotais-je, le faisant sursauter malgré tout.
Ce dernier, rouge comme une tomate et les yeux écarquillés, il mit quelques longues secondes à se rendre compte de qui j'étais. Il s'essuya négligemment la bouche et je remarquais ses mains trembler, comme si je venais de le prendre sur le fait d'un crime qu'il venait de commettre.
Intriguée, je m'avançais jusqu'au canapé pour ouvrir grand les yeux à mon tour et tout de suite comprendre la situation :
Zéphyr était là, allongé et encore en costume de témoin de mariage, les yeux cernés et plongés dans un sommeil profond.
Un sommeil que même le baiser d'un prince n'avait pu perturber.
Miguel et moi regardions Zéphyr comme s'il était un trésor étendu là, pour nous. Eux que je n'avais pas vu depuis trois ans, ils avaient changé physiquement et en bien.
Zéphyr avait perdu les quelques boutons de sa puberté, ses cheveux avaient poussé et méritaient une coupe et quelques poils commençaient à pousser sur son menton. Il était plus grand et plus musclé, ça, je l'avais tout de suite remarqué par sa carrure.
L'espagnol, quant à lui et malgré sa tête de poisson surpris, avant aussi gagné en taille et en muscle mais gardait cet air enfantin charmeur. Ses cheveux étaient moins longs et il avait déjà un début de barbe qui poussait en même temps que les poils de son torse tentant de s'échapper de sa chemise blanche ouverte.
— Salut, chuchotais-je en fixant toujours Zéphyr.
— Salut Roxy... Tu es là depuis longtemps ?
— Non je viens d'arriver. Je suis venue chercher un livre pour Anita... Et toi ?
— Je devais déposer Zeph ici. Le week-end du mariage de mon cousin a fait assez de ravage pour que le dieu de la foudre s'endorme comme une souche. Ahah...
— Ahah... Ouais... Dis euh... Ça te dirait qu'on parle un peu tous les deux dans le jardin ?
— ...Ok.
Le livre enfin trouvé, j'emmenais Miguel avec moi jusqu'à l'annexe où, en déposant l'ouvrage à Anita, je l'avertissais que je devais discuter avec l'espagnol. Quelques minutes de marche plus tard et un long silence gênant, nous étions assis dans l'herbe et les fleurs comme il y a trois ans, jusqu'à ce que je fasse le premier pas :
— Je ne savais pas que tu avais ce genre de sentiment pour Zéphyr.
— Quel genre ?
— Le genre où tu l'embrasses sur la bouche alors qu'il dort.
— Ouais... C'est bien ce genre de sentiment.
— Je croyais que... Enfin que tu avais un penchant plus pour les femmes.
— C'est le cas. Pour certains hommes aussi... Enfin un homme en particulier.
— J'ai une question : est-ce qu'il y a trois ans, quand on s'est embrassé, tu étais déjà amoureux de Zéphyr ?
— Non... Enfin peut-être que si. Je ne sais pas. C'était l'adolescence tu vois ? Après toi, je me sentais invisible et je n'arrêtais pas de draguer, comme un bon cliché Luna !... Et j'ai dû mettre au fond de moi certains sentiments. Mais avec le temps, on ne peut pas lutter indéfiniment.
J'approuvais en hochant la tête, la gêne entre nous disparaissant peu à peu grâce à la confidence de Miguel.
— Je ne pensais pas que tu étais encore sur le domaine Hoffman. Je croyais même qu'Hermine t'avait chassée.
— Anita l'a menacé de partir avec moi si on me chassait et comme c'est la doyenne ici, c'était impensable. Je n'ai pas le droit de pénétrer dans le manoir mais de temps en temps je suis obligée de m'y rendre, comme tout à l'heure.
— Ouais... Et tu ne rêves pas de plus ? De liberté ? Tu arrives à supporter d'être prisonnière de l'annexe ? La solitude ?
Je ne savais pas comment il faisait mais quand Miguel était sérieux, il arrivait à mettre les mots justes sur ce que ressentaient les autres.
Car même si Thérius m'avait apporté une révélation, je n'avais pas réfléchi à l'avenir.
Pourquoi est-ce que je restais au manoir des Hoffman ?
« Quand je suis arrivée ici, commençais-je, je ne savais pas ce qu'on allait me faire et la seule chose que j'avais à l'esprit c'était « je suis encore en vie ». Je n'avais pas de but, pas d'objectif... Et Anita m'a dit « convaincs-moi que tu es faite pour Zéphyr ». Elle m'a donné un défi à relever. Je n'ai eu cesse d'étudier et j'en suis même venue à apprendre des choses sur lui pour devenir sa « femme parfaite » ! Mais plus le temps passe et plus j'ai l'impression que tout ce que je fais est dénué de sens. »
Je sentais la main de Miguel me caresser la cuisse, une affection qui me touchait beaucoup trop à cause de ma solitude habituelle.
J'en avais marre de vivre à l'écart, marre de toujours être avec Anita même si je l'aimais beaucoup, marre de ne connaitre de l'Angleterre que le domaine des Hoffman... Marre d'être à nouveau déconnectée de la réalité, comme lorsque j'étais prisonnière du cirque de Mafate.
J'avais envie de retrouver la nature de mon pays, ses odeurs, ses gens, sa température, ses bruits...
— On est en compétition pour le cœur de Zeph, murmura-t-il en souriant. C'est comique je trouve.
— Miguel, je suis tombée amoureuse de Zéphyr bien trop rapidement pour faire partie de la compétition. Je ne connais de lui que ce qu'Anita me raconte. Je n'ai jamais tenu de vraie discussion avec lui et j'ai dû le voir à peine cinq fois depuis mon arrivée il y a quatre ans. Ce n'est peut-être que de la fascination ?
— Toi qui es vaudouiste, pourquoi tu ne lui as pas jeté un sortilège de charme ?
Sa remarque était plus que pertinente. Le rapport au corps et à la nature était la spécialité de la magie vaudou et seuls les vaudouistes avaient la capacité d'influer sur les gens et leur aura. Chance/Malchance, Bonheur/Malheur, Joie/Tristesse, Amour/Solitude, Vie/Mort, et j'en passe...
Alors pourquoi n'avais-je jamais fait tomber Zéphyr amoureux de moi ? Parce qu'Anita me l'avait fortement déconseillé. Mais pourquoi ?
Et soudain, un prénom me revenait en mémoire.
« Qui est Haley pour Zéphyr ? » avais-je soudain demandé à Miguel. Son visage reflétait maintenant de la tristesse et je sentais que la réponse n'allait pas du tout me plaire.
— Haley est comme une grand-sœur pour moi, commença-t-il. Je la connais depuis très très longtemps. Elle travaille au Marvelous Diner et s'occupait souvent de Zéphyr et moi mais eux deux avaient une relation différente. Quand il était avec elle, il n'était pas lui-même. Plus calme, plus attentif, plus... Bref, c'était un autre garçon. On a grandi et l'affection s'est transformée en amour. Des deux côtés.
— Tu veux dire que...
— Zeph et Haley sont amoureux. Ils sont officieusement en couple depuis qu'il a 17 ans mais officiellement... depuis ce week-end.
— Attends deux secondes, elle a quel âge cette Haley pour vous avoir élevé et finir en couple avec un mineur ?!
— Réellement ? Environ 80 ans. Physiquement, 24 ans. Niveau âge, tu ne peux pas faire de reproche.
— Mais est-ce qu'elle était aussi immortelle comme moi ?!
— Non, je pensais qu'Anita t'en avait parlé : Haley est un fantôme. Elle a été tuée au Marvelous Diner et est prisonnière du lieu pour l'éternité.
Une prisonnière, comme moi.
Miguel continua à me parler d'eux pendant une dizaine de minutes mais je n'écoutais plus. J'étais encore sonnée d'apprendre que celui que je pensais aimer était fou amoureux d'un fantôme.
Dès son jeune âge, il s'était engagé dans une relation qui deviendrait de plus en plus compliquée avec le temps. Il devrait renoncer à énormément de choses comme vivre avec elle, avoir des enfants et le mariage leur serait surement exclu vu le caractère d'Hermine Hoffman.
Il ne pourrait vivre son amour avec elle qu'entre quatre murs.
Zéphyr était lui aussi prisonnier.
— C'est triste... avais-je alors soufflé en posant ma tête sur mes genoux.
— On vit tous les deux un amour impossible.
— Non je veux dire, c'est triste pour eux. Ils vivent un amour impossible...
Miguel avait été surpris par mes paroles. Peut-être pensait-il que je serais en colère de voir celui que j'aime avec une autre mais il n'en était rien. Je me souciais plus du bonheur de Zéphyr que de mon propre bonheur.
Je voulais qu'il soit heureux, il l'était pour l'instant mais pour combien de temps encore ?
Nous avons continué à parler de l'amour, de nos sentiments fragiles et de nos cœurs malmenés par la destinée alors que le soleil déclinait de plus en plus. Je le raccompagnais vers le manoir mais avant cela, je devais poser « la » question que l'espagnol devait redouter :
— Tu vas lui avouer tes sentiments ?
— Pourquoi faire ? Il aime Haley et-
— Pas pour lui, l'interrompais-je, pour toi.
— Je ne sais pas... Je ne suis peut-être pas prêt à me prendre un râteau de la part de mon meilleur ami !
— Je pense que je vais lui dire. Ce soir.
Miguel s'arrêta de marcher, stupéfait par ma décision avant de s'agiter dans tous les sens.
— T'es malade ?! Pourquoi si tôt ?
— Ça fait trop longtemps déjà et puis... J'ai besoin d'avancer dans ma vie.
— Tu es drôlement mature.
— Je te rappelle que j'ai 176 ans, il serait peut-être temps que je sois mature. J'ai envie de repenser à mon avenir, mes objectifs, me recentrer et surtout partir d'ici. Sortir de la cage dont Anita m'a mise malgré elle.
— Je suis vraiment fier que tu aies été mon premier baiser ! s'exclama-t-il avant de m'attraper et de me soulever dans les airs. Allons-y maintenant alors ! Tu iras lui dire et je te soutiendrais de loin !
À ce moment précis, j'avais remercié le ciel d'avoir mis Miguel sur ma route car la joie constante sur son visage malgré la peine dans son cœur, me donnait du courage.
Il était mon shot de bonheur éphémère avant la tempête.
Arrivée devant la porte de la bibliothèque, j'entrais en la laissant entre-ouverte pour que Miguel soit aux premières loges de mon changement de vie.
J'allais tourner la page sur Zéphyr Hoffman.
Ce dernier venait d'émerger de son très long sommeil, l'étirement de ses bras pour preuve. Il se leva et se retourna vers moi avant de froncer les sourcils et de se frotter les yeux.
Allez, courage Roxanne ! Tu es déjà morte écartelée, ce n'est pas une déclaration d'amour foireuse qui doit te faire peur !
« T'es qui ? »
Je n'avais même pas ouvert la bouche qu'il venait de me tuer sur place. La mort la plus rapide que j'avais connue. Comme la foudre qui s'abat soudainement.
Une mort sentimentale.
Les larmes étaient soudainement montées et commençaient à couler sur mes joues et jusqu'à mon cou. Je n'avais pas pleuré comme ça depuis ma crise d'angoisse en arrivant au manoir.
Zéphyr lui, prenait peu à peu compte de la situation et cela se témoignait par ses yeux s'agrandissant... Enfin d'après ce que je pouvais voir avec les miens totalement brouillés par l'eau salée.
« Pardon » avais-je murmuré en entendant la porte de la bibliothèque s'ouvrir derrière moi.
Miguel l'avait entendu et semblait tout autant sous le choc. Les bras écartés vers moi pour me réceptionner dans ses bras, je fuyais la pièce en l'esquivant et en courant jusqu'à l'annexe.
« Roxy, qu'est-ce qu'il se passe ?! » s'était étonnée Anita en me voyant débouler dans la maison. J'ignorais sa question pour ranger le peu d'affaires m'appartenant dans mon vieux sac en toile.
Lorsqu'elle vit que je retirais ma robe noire pour mettre mon ancienne robe sale et en piteux état, elle répéta sa question avec plus d'inquiétude, me forçant à lui répondre.
« Je voulais avouer mon amour à Zéphyr mais il ne se rappelle même plus de qui je suis ! Pourquoi est-ce que j'ai fait tout ça hein ?! À quoi ça sert d'être digne à tes yeux ? À quoi ça sert de se battre pour avoir une chance d'être sa femme s'il ne reconnait même pas le visage de celle qu'il a sauvée de la mort il y a quatre ans ?! HEIN ?! Réponds-moi Anita ! Pourquoi est-ce que je continue à faire tout ça ?! »
« Parce que c'est ton destin. » m'avait-elle simplement répondu.
C'était mon dernier vrai échange avec elle. Quelques heures plus tard, avec son majordome comme accompagnateur, elle me renvoyait sur mon île d'origine.
On approche de la fin de l'introduction ! Est-ce que pour l'instant ça vous plait ?
Que pensez-vous des sentiments de Miguel et de Roxy envers Zéphyr ? De leur amour impossible ? De leur relation d'amitié et enfin des mots de Zéphyr et de la décision de partir de Roxy ?
Vos théories sur la suite ? On se retrouve samedi prochain pour encore deux chapitres de cette histoire électrique !
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[Miguel Luna, notre espagnol "hiiiiinnnn" national (Yon González)]