Björn
Un mouvement imperceptible...
Je baisse les yeux vers les doigts d'Arlun, le cœur battant à tout rompre soudain, la peur me vrillant les tripes quand je réalise qu'elle bouge doucement les doigts alors que la petite Ida a toujours les mains posées à plat sur ses joues et le front collé au sien. La gamine, les yeux fermés, répète encore et encore ses suppliques sans se rendre compte de ce qui ce passe, sans se rendre compte ni même réaliser le danger qui se prépare... Quand soudain tout s'accélère...
Avec une vitesse incroyable et avant même que je n'ai eût le temps d'éloigner la gamine, je vois les mains d'Arlun s'élever et venir se plaquer sur le dos de la petite, avant de refermer complètement ses bras sur le corps d'Ida comme pour l'étouffer. Je reste saisi d'effroi, le cœur battant follement, et réalise l'invraisemblable sans réussir à bouger, complètement paralysé malgré les cris d'avertissements que pousse Thorolf...
La gamine au lieu d'hurler de douleur, rit aux éclats en embrassant Arlun sur la bouche et finit par enserrer le cou de sa grand-mère avant de poser sa tête sur son épaule. Je croise alors le regard de ma femme et sens toutes mes peurs, tous mes doutes s'envoler d'un coup...
Son regard... Il n'est ni morne, ni absent, mais bien vivant et de grosses larmes coulent de ses yeux...
« Bonjour mon amour »
Je fronce les sourcils en la regardant, un frisson glacé me parcourant l'échine, réalisant qu'elle n'a pas ouvert la bouche et que sa voix résonne dans ma tête. Un peu choqué, même si ce n'est pas la première fois qu'elle me fait ça, je sens Henrik me bousculer dans sa précipitation et le voit se jeter aux pieds de sa mère pour l'entourer de ses bras tandis qu'elle pose une main sur ses cheveux, le caressant tendrement, baissant enfin les yeux vers lui alors que je reprends mon souffle. Je déteste entendre sa voix dans ma tête ! C'est terrifiant !
-Tu es revenue !!! Thorolf, Mama est revenue !!!! Hurle-t-il à l'intention de son frère qui le regarde avec des yeux ronds avant de se précipiter à son tour vers elle, Biarni dans les bras.
Revenu de mes émotions, je regarde en souriant mes enfants et petits-enfants entourés Arlun et l'embrasser avec effusion pendant de longues minutes, parlant tous en même temps en une joyeuse cacophonie entrecoupé de rire et de larmes de joie. Elle finit par lever les yeux vers moi avec un sourire rayonnant et murmure quelque chose aux enfants qui s'écartent presque aussitôt. Elle se redresse avec l'aide de Thorolf et je m'avance vers elle pour enfin à mon tour la prendre dans mes bras. J'ai envie de pleurer, envie de hurler et pourtant je me contente de lui sourire avant de l'embrasser doucement. Elle pose ses mains sur mes joues en plongeant son regard dans le mien et murmure doucement ;
-J'ai tellement de choses à te dire et tellement plus à me faire pardonner... Mais si peu de temps pour le faire...
Je la regarde sans comprendre alors qu'elle penche un peu la tête pour fixer un point par-dessus mon épaule. Je tourne la tête et vois un homme s'approcher de nous tandis qu'un soupir m'échappe. Jamais tranquille !
-Monseigneur... Fait l'homme en inclinant légèrement la tête. Nous lançons l'assaut sur Winchester. L'armée est déjà en route.
Je le remercie d'un hochement de tête et le regarde s'éloigner un instant avant de revenir à ma femme que je tiens toujours dans mes bras. Elle me regarde gravement, m'embrasse et finit par murmurer ;
-Il est temps que la vengeance de Ragnar ne prenne fin...
Nous sommes aussitôt parti rejoindre la grande armée, la retrouvant aux pieds des immenses palissades qui entourent la ville de Winchester, allant au petit trot, Arlun assise devant moi sur le cheval, le regard rivé sur la dernière base solide de l'Angleterre, ses doigts caressant mes bras. Nous n'avons échangé aucune parole, appréciant le simple fait de pouvoir se toucher, le simple contact de nos deux corps collés l'un contre l'autre...
En arrivant devant l'entrée principale, je jette un regard mauvais à Ivar qui fixe ma femme la bouche entrouverte et décide de continuer jusqu'à la cour intérieur sans m'arrêter tandis qu'Arlun ne le lâche pas du regard.
-Surprise pauvre con ! Murmure-t-elle en lui souriant méchamment tandis que je rigole doucement en voyant sa bouche s'ouvrir un peu plus quand il constate que les hommes me suivent sans même faire attention à lui.
Nous aurons des comptes à régler avec lui plus tard...
Je lève alors la tête pour regarder les tourelles de gardes puis le porche sous lequel nous passons et arrête ma monture pour poser enfin le pied dans la cour principale en regardant autour de moi, un peu surpris. Les lieux sont déserts...
-Ils ont fui... Sourit Ubbe en venant se placer à côté de moi, observant les quelques objets éparts répandu sur le sol de terre battue qu'ont oublié les saxons dans leur précipitation.
Je hoche la tête, songeur en tendant les bras à Arlun et entends Hvitserk s'approcher en rigolant.
-Ma sœur !!!! Tu es enfin de retour parmi nous !!!! S'exclame-t-il tout sourire, en venant prendre Arlun dans ses bras alors qu'elle pose pied à terre et qu'elle lui rend son étreinte.
Je me tourne vers Ubbe qui fanfaronne un peu devant les hommes pour une fois silencieux et lui conseille de faire moins de bruit, prétextant peut-être un piège.
-Pff tu parles ! Les saxons sont tous des trouillards !!! Il n'y a plus personnes ici !
-Peut-être, mais s'il n'y a plus personnes ici, cela veut dire que le roi Ecbert s'est également sauvé et que même si nous avons sa ville, nous n'avons pas sa tête !
-Nous le rattraperons plus tard !
Je hausse les épaules, septique et baisse les yeux vers Arlun qui vient poser sa main sur mon bras.
-Le roi... Le roi Ecbert est là... Murmure-t-elle en regardant à travers les hommes qui se sont répandus dans la place.
Je suis son regard et hausse les sourcils de surprise en voyant un vieillard vêtu d'une longue toge blanche s'avancer entre les hommes, les mains légèrement tendues devant lui, le regard fou tandis qu'un gros prêtre court derrière lui pour tenter de le ramener à la raison. Le vieux regarde chaque visage avec des yeux effarés, voulant caresser une joue, attraper doucement un bras, mais les hommes s'écartent en grognant, refusant d'être touché par lui, le repoussant parfois en le menaçant de leurs armes. Je lève aussitôt les bras en l'air en voyant un guerrier lever sa hache et le stoppe dans son élan alors qu'il allait l'abattre sur la tête du souverain.
-Non ! Ne le tue pas ! C'est le Roi Ecbert !
Le vieil homme se tourne alors vers moi et vient presque en courant poser ses mains sur mes joues, les larmes aux yeux. L'homme que j'ai face à moi n'a plus rien de ce roi que j'ai rencontré il y a quelques années. Le visage ridé et fatigué, amaigri, le dos courbé, il semble porter sur ses frêles épaules la défaite de son pays tout entier...
-Tu es son fils... Fait-il d'une voix faible. Tu lui ressembles tellement...
J'enlève doucement ses mains de sur mes joues et penche la tête sur le côté, mon regard dans le sien.
-C'est fini Ecbert, ton royaume est tombé. Nous avons gagné...
Une étincelle s'allume dans ses yeux verts et il hoche la tête avant de regarder lentement autour de lui pour finalement s'arrêter sur le visage d'Arlun qui le fixe sans rien laisser paraître.
-Oui... Je le sais, ma fin est proche, comme me l'a prédit cette femme...
-Mais avant, tu vas respecter tes promesses ! Je fais en ramenant son regard sur moi. Tu vas nous donner les terres que tu avais promises à notre père !
Le roi Ecbert qui accepte aussitôt, m'entraine par la main jusqu'à une vaste salle où il me fait asseoir devant une grande table. Mes frères viennent s'asseoir à leur tour à mes côtés, regardant le vieux roi s'agiter dans tous les sens, courant presque pour récupérer quelques rouleaux de parchemins qu'il vient étaler sous nos yeux tandis que le prêtre le regarde avec désolation en se signant.
-Monseigneur ! Prenez place et écrivez ! Ordonne-t-il soudain au prêtre qui refuse tout net.
Hvitserk se lève menaçant et s'avance en grognant vers le gros homme qui bondit littéralement jusqu'à la table, prenant aussitôt une plume, prêt à noter les paroles du roi, tandis que mon frère revient s'asseoir en rigolant.
-Notez les formules habituelles... Nous, noble Roi Ecbert du Wessex donnons aux seigneur Vikings les terres...
Ne comprenant que les bases de sa langue, je me retrouve vite perdu devant les formules soutenue qu'il emploi, plus complexes à déchiffrer les unes que les autres et tourne la tête vers Arlun, qui appuyer contre un poteau fronce les sourcils en le regardant. Je ne suis même pas sûre qu'elle comprenne elle aussi... Au bout de presque une heure à l'écouter palabrer tandis que le gros prêtre retranscrit ses paroles, il saisit enfin la feuille, y appose son seau et nous la tend en nous demandant de la relire et de la signer à notre tour, avant d'ordonner au prêtre qui blêmit d'en refaire quatre autres exemplaires.
J'ai l'impression qu'il se moque de nous, sachant très bien que les vikings n'ont aucune forme d'écriture mis à part quelques runes. Humilié soudain, je regarde mes frères qui fixent le parchemin sans savoir quoi faire et finis par me tourner vers Arlun. Elle me regarde en haussant les épaules et je frissonne en entendant sa voix résonner dans ma tête.
« Je ne peux pas t'aider, je ne sais ni lire, ni écrire ! Fais juste couler de la cire sur le bas du parchemin et comme lui, appuie une bague dessus. »
Je m'exécute et tend la feuille à Ubbe qui fait comme moi. Quand enfin tous ont apposé une marque sur le parchemin, Ivar sourit à Ecbert.
-Bien ! Maintenant tu vas crever !
-Si vous me tuez maintenant, seul l'un de vous pourra prétendre à ses terres ! Il faut mon seau sur chaque parchemin pour qu'ils soient valides!
-Et bien, nous l'y poserons nous-même ! Rétorque mon frère.
-Cela n'aurait aucune valeur ! Je dois le faire moi-même et devant témoin ! Affirme le roi, semblant ahuris de devoir expliquer une chose aussi évidente.
-Mettez-le dans une cage alors en attendant que ce foutu prêtre est fini ! Hurle Ivar, agacé au plus haut point. Et toi gros pourceau, fait-il en fixant l'homme d'église dans les yeux, toi tu crèveras dès que tu auras apposé le dernier point !
Quelques heures plus tard, alors que la nuit est depuis longtemps tombée, je me rends dans la salle où Ivar a fait enfermer le roi. Ecbert est suspendu dans une cage et s'accroche aux barreaux en me voyant, semblant encore plus fou, les lueurs des torches se reflétant dans ses yeux.
-Björn Côtes de Fer... Tu as la même allure que lui... Te voir ravive tellement de souvenirs ! Ton père était mon ami, mon égal. Je le considérais comme mon frère...
-Mais cela ne lui a pas empêché d'être livré au roi Aelle ! Et de mourir comme un chien ! Je lâche en allant m'asseoir sur les marches sous sa cage.
-Mais c'est lui qui l'a voulu ! J'ai tout fait pour l'en dissuader ! Contre-t-il d'une voix aiguë en se plaquant contre les barreaux pour continuer à me voir. Je voulais le relâcher ! Mais il a refusé ! Et je comprends pourquoi aujourd'hui ! Cela faisait partie de son plan... Ton père était un génie qui prévoyait plusieurs coups longtemps à l'avance... Même dans la mort sa victoire est éclatante ! Sa mine s'assombrit soudain lorsqu'il change de sujet. Mais je ne le reverrai jamais ! Il est en votre Valhalla et moi j'irais... J'irais sûrement en enfer... J'ai fait tellement de choses inavouable, tellement de choses horrible ! Et ce n'est qu'à l'heure de ma mort que je m'en rends compte... Le pouvoir m'a corrompu au point que j'en ai oublié pourquoi j'étais sur cette terre, pourquoi j'étais à cette place... Pour mon peuple... Et par ma faute et mon arrogance il souffre et se meurt... Finit-il avec des trémolos dans la voix.
-Le pouvoir placé en de mauvaises mains est source de souffrance et d'ignorance... Je murmure en pensant à mon père qui au contraire de beaucoup d'homme ne s'est jamais montré vaniteux ou arrogant... Il a toujours fait passer son peuple avant tout le reste.
-Oui, tu as entièrement raison ! Voilà pourquoi Björn Côtes de Fer, fils de Ragnar Lothbrock, je vais te demander une faveur... J'ai vécu comme un roi arrogant et calculateur, laisse-moi mourir en homme brave et fier...
Je pense à mon père, à son courage et sa bravoure, à sa vie et à sa mort. Je pense aux châtiments qu'il a infligés à ses ennemis et me rends compte qu'il ne les a jamais rabaissés. Il les a toujours traités dignement malgré leur faute...
Un hurlement strident se fait soudain entendre suivi de rires gras et je comprends que le gros prêtre à finit de recopier les parchemins et vient de mourir...
Je me lève et m'avance vers la porte avant de m'arrêter la main sur la poignée, tournant la tête pour regarder le roi qui sourit et incline la tête en entendant mes paroles.
-Roi Ecbert, tu mourras demain à l'aube et tu choisiras ta fin... En l'honneur de mon père qui a toujours traité ses ennemis avec déférence et respect.