Journal d'une Confidente - Ca...

By OrielClancy

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Lors d'une soirée pluvieuse, Camila Cabello arrive sur la petite île de Genova. La jeune citadine originaire... More

Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5 - Partie 1
Chapitre 5 - Partie 2
Chapitre 6
Chapitre 7 - Partie 1
Chapitre 7 - Partie 2
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 11
Chapitre 12 - Partie 1
Chapitre 12 - Partie 2
Chapitre 13 - Partie 1
Chapitre 13 - Partie 2
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16

Chapitre 10

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By OrielClancy


–  J'ai été heureuse.

Ce fut ainsi que Camila commença son récit.

–  Mes parents étaient de bons chrétiens... Mon père, comme vous le savez déjà, était pasteur... Il l'est toujours d'ailleurs... bégaya la jeune femme avant de prendre confiance et de se laisser emporter par ses souvenirs. Ma mère était institutrice et, le week-end, elle enseignait le catéchisme. J'ai une sœur, Maritza, Ritza. De trois ans mon aînée. Elle était protectrice, trop. Elle m'étouffait sans cesse. J'étouffais dans cette famille.

–  Pourquoi ?

–  Une pression que mes parents exerçaient, sans même s'en rendre compte. En tant que représentants de notre paroisse, ma sœur et moi étions les modèles à suivre. Ceux qui ne devaient pas faire de vague. Nous devions être irréprochables tant par nos comportements que par nos résultats scolaires. C'était pesant. Mes parents étaient justes, mais sévères.

–  Je peux comprendre, répondit Lauren en se souvenant de la pression exercée par sa propre mère toute son enfance.

–  J'ai grandi dans un cocon idéal où rien ne dépassait, rien n'allait de travers. Mais les choses ont changé quand je suis arrivée au lycée. Un lycée privé bien sûr.

–  Bien sûr, répéta Lauren face à cette évidence qu'elle avait elle-même vécue.

–  Et puis j'ai rencontré quelqu'un, c'était mon premier flirt, j'étais... perdue. Dans ma religion, du moins celle de mes parents, les relations sont quelque chose de sérieux. On ne se met pas avec n'importe qui, on ne s'affiche pas officiellement sans l'accord des parents ou l'aval de l'église. On ne se fiance pas et on ne se marie pas avec quelqu'un de non conventionnel.

–  Et j'imagine que la personne que vous aviez choisie n'était pas conventionnelle... murmura doucement son interlocutrice pour l'encourager.

–  Loin de là. Mais je savais qu'en en parlant à mes parents, je risquais de les mettre en boule, genre... vraiment ! Alors j'ai vécu mon premier flirt à l'abri des regards, dans le plus grand secret.

–  Et qu'en pensait la personne avec qui vous étiez ? questionna Lauren, avide de curiosité.

–  Cette personne était dans le même état. Nous sommes sorties quelques semaines, avant que l'on ne rompe, la peur de se faire prendre étant bien trop grande. Mais cette relation m'avait confortée dans l'idée que j'étais... différente.

–  Différente ? répéta Lauren sans comprendre la portée du terme employé.

–  Je ne sais pas ce que vous en pensez, je n'ai même jamais songé à l'éventualité de vous en parler un jour. Après tout, ça ne rentre en rien dans mes qualités de dame de compagnie...

–  De quoi parlez-vous ?

Lauren pouvait sentir la tension monter chez Camila, ainsi qu'une nervosité qui semblait la ronger.

–  Si je vous le dis, j'ai peur que vous me regardiez d'une manière différente... J'ai peur de perdre ma place... commença à dire la jeune femme prisonnière de ses propres insécurités.

–  Dites-moi Camila, l'encouragea Lauren qui n'avait jamais vu la jeune femme réagir de la sorte.

–  Je... Ce qui est arrivé chez moi, à Seattle, j'ai peur que cela arrive ici, et je n'ai pas envie de partir. Je tiens à cette place. Je suis bien ici, avec vous, expliqua maladroitement la brunette pour gagner un peu de temps.

Lauren s'approcha et prit sa main pour l'encourager et l'inviter à se confier.

–  Racontez-moi, l'invita doucement sa patronne sans la brusquer.

–  Je... Je suis lesbienne, Lauren.

Lauren lâcha soudainement la main de son employée et fronça les sourcils. Ce qu'avait craint Camila venait d'avoir lieu. Elle avait effrayé Lauren, elle l'avait perdue à la minute même où elle avait prononcé ces mots.

–  Vous êtes dégoûtée, soupira-t-elle vaincue.

–  Non, non. Bien sûr que non. Je... Continuez, s'il vous plaît, lui répondit Lauren en tentant de digérer sa surprise.

–  Vous êtes sûre ?

–  Absolument, répondit avec assurance la plus vieille.

–  Je... J'ai toujours su que j'étais différente. Je regardais avec plus d'insistance les filles que les garçons ; dans les films je me mettais toujours à la place de l'homme imaginant embrasser sa femme... J'ai toujours cru que j'étais... malade. Mais au lycée, je suis tombée sur cette fille, cette Jade, une belle métisse aux yeux noisette. On était amies mais... Un soir, on... On s'est embrassées. J'ai cru que c'était une erreur, mais elle m'a rassurée en me disant qu'elle ressentait la même chose. Mais son père était aussi un fervent religieux et elle avait peur qu'il le découvre.

–  Cela a dû être difficile à vivre, j'imagine, fit remarquer Lauren avec empathie.

–  Très. On avait constamment peur d'être surprises... que nos parents sachent et fassent un scandale. Pour eux, l'homosexualité est contre nature. C'était une maladie qui peut se guérir, mais dont il faut avoir honte. Quand notre relation a pris fin, j'étais confortée dans l'idée que je n'étais pas malade, que je vivais la chose la plus étrange, mais aussi la plus excitante qu'il m'avait été donné de vivre. Je savais que c'était mal pour mes parents, mais je ne pouvais renier ce que j'étais, ce que je ressentais.

–  Cela a-t-il duré longtemps ?

–  J'ai réussi à finir le lycée sans éveiller les soupçons. Une fois à la faculté de Droit, les choses se sont accélérées. C'était un univers plus libre, moins strict. Je n'avais pas à faire attention à mes arrières, mes parents et ma sœur n'étaient pas là à me surveiller. J'ai eu plusieurs relations, plus ou moins sérieuses... Cela a duré deux ans environ...

–  Et ensuite ?

–  Ensuite... J'ai décidé de l'annoncer à mes parents. Ils ne comprenaient pas pourquoi je voulais rester à Seattle, ne pas revenir à la maison. Mais pour moi, revenir chez nous c'était oublier qui j'étais réellement, c'était jouer un rôle usant. Je n'étais plus heureuse avec eux. C'est horrible de dire ça non ? D'arriver à un point où on ne supporte plus ses parents, sa famille.

–  Je peux comprendre, croyez-moi.

–  Enfin bref... Un soir, j'ai... Je sortais avec une fille à l'époque, on avait des projets. On voulait terminer nos études et emménager ensemble, c'était du sérieux. Alors, la veille de recevoir mon diplôme, j'ai parlé à mes parents. Je m'en souviendrai toujours... On était à table... Ma mère était élogieuse sur le parcours sans faute de ses enfants... Ma sœur faisait une brillante carrière dans la police de Seattle et leur deuxième fille allait recevoir son diplôme qui allait lui ouvrir les portes des meilleurs cabinets d'avocats de la ville. Quelle déception hein, soupira-t-elle, le regard voilé d'une tristesse qui contamina Lauren.

–  Continuez...

–  Je me souviendrai toujours de cette soirée... Du bruit du verre qui s'est brisé quand ma mère l'a lâché après avoir compris. Le couteau que mon père a enfoncé dans le rôti... Ils se sont regardés, perdus. Ma sœur... Il s'est mis à rire nerveusement avant de comprendre que ce n'était pas une plaisanterie. Le pire a été le silence... J'aurais préféré qu'ils me hurlent dessus. Mais ils ont préféré le faire quand je suis partie me coucher. La dispute a été violente, je distinguais quelques mots comme « outrage » ou encore « secret », « ruine » ou « déshonneur ».

–  Que s'est-il finalement passé ? demanda Lauren, touchée.

–  Le lendemain... Mes parents m'ont posé un ultimatum : soit je cessais cette abomination, je me faisais aider, ou alors... Je devais quitter la maison, la paroisse pour... réfléchir. Je n'étais pas malade, ça faisait des années que je me le répétais...

Lauren baissa le regard.

–  Je suis partie. Du moins, je n'ai pas eu le choix.

–  Vos parents vous ont chassée de chez vous ? l'interrogea la jeune femme, outrée.

–  En quelque sorte. J'ai fait mes valises et j'ai repris le chemin de la fac, juste le temps de recevoir mon diplôme. C'était la fin de l'année, alors je n'avais même plus de chambre étudiante.

–  Et votre amie ?

Camila gloussa, dépitée.

–  Quand je lui ai dit ce qu'il s'était passé, elle a eu peur. Je lui ai dit que je n'avais plus de toit, plus de ressources... Elle n'imaginait certainement pas devoir se mettre en ménage si vite. Elle a pris peur, elle est partie. Comment aurais-je pu lui en vouloir ?

–  Camila... murmura doucement Lauren.

–  Et vous, racontez-moi votre vie, coupa Camila avec un sourire de façade.

–  Ce n'était pas le marché, répondit Lauren, faisant croire qu'elle était sur la défensive.

–  Je sais, mais j'ai envie d'en apprendre un peu plus sur vous.

Lauren comprit que le sujet concernant le passé de Camila était clos, elle n'insista pas.

–  Que voulez-vous savoir que vous n'avez déjà appris de la bouche de Josy, Ashley ou de Simon, s'amusa-t-elle.

–  J'aimerais l'apprendre de votre bouche, déclara-t-elle en la fixant plus que sérieusement.

–  Bien. Que dire ? Je suis issue d'une famille assez aisée. Du moins elle l'était avant que le krach boursier ne la ruine. Je suis fille unique et ma mère... était une femme autoritaire dont la soif de pouvoir était à la hauteur de ses ambitions. Mon père n'a toujours fait que de la figuration. Ma mère cherchait à tout prix un moyen de refaire la richesse de ma famille. Lorsqu'elle a appris que le riche meilleur ami de mon père venait de devenir veuf, elle n'a pas hésité : elle nous a présentés et s'est chargée... de tout.

–  Pousser sa fille dans les bras d'un homme aussi vieux que son mari... reformula Camila en comprenant la portée des propos de Lauren.

–  Sans l'once d'un remord. Elle ne cessait de me marteler que c'était pour le bien de la famille, et que, de toute manière, il fallait que je me trouve quelqu'un un jour. J'avais dix-huit ans. William était un homme bon et gentil, mais surtout riche. J'ai tout de suite accroché avec sa fille, Victoria.

–  Si ce mariage avait pour but de redonner richesse et importance à votre famille, qu'en retirait ce William Jauregui ? questionna Camila, intriguée par les termes de ce mariage arrangé.

–  Une femme jeune et en pleine forme, mais surtout une compagne pour sa fille.

–  A-t-il été votre... premier homme ?

–  C'est une question bien personnelle ! rétorqua Lauren. Mais non, il n'a pas été le premier. Je l'ai voulu ainsi.

–  Alors, vous vous êtes mariée avec lui, soupira Camila pour changer de sujet.

–  Oui, moins d'un an plus tard. Bien évidemment, ma mère a trouvé inutile que je commence des études, car, selon ses dires, « je n'aurai plus à me soucier de l'avenir à partir de maintenant ». Et à l'époque, cet argument était très convaincant vu la hausse du chômage... J'étais moins une femme qu'une sœur de substitution pour Vicky... Et William ne me touchait pratiquement jamais.

–  Le « pratiquement » est déjà assez glauque, croyez-moi, grimaça Camila en fronçant le nez.

–  Notre mariage n'était qu'une farce. Je n'étais qu'une poupée que l'on exposait lors des meetings ou des soirées, mais de retour à la maison, j'étais seule. William passait le plus clair de son temps à son bureau et lorsqu'il partait pour affaires, il emmenait souvent sa fille avec lui. Le spectre de sa défunte femme flottait dans ce manoir comme si elle était toujours là. Il n'a jamais cessé de l'aimer et ne l'a jamais oubliée. Je n'ai jamais pu la remplacer dans son cœur, si toutefois je l'avais vraiment voulu... Une vie de solitude m'attendait... Ce n'a pas changé...

–  C'est clair... Enfin, avant que je n'arrive, s'amusa la brunette pour lui faire retrouver le sourire.

–  Cela semble évident. Toujours est-il que William et moi ne nous aimions pas... Je le soupçonnais d'ailleurs d'avoir des relations extraconjugales, mais peu importe. Finalement, être seule ici m'était égal tant que j'étais loin de lui. Nos dissensions étaient si fortes que les dernières années nous les avons passées dans des chambres séparées. Cette chambre était la mienne, celle de mon mari était à côté, ainsi que son bureau. Depuis, j'ai condamné ces pièces.

Camila avait enfin la réponse à certaines de ses questions. Ne pouvant détruire ces pièces, véritables témoins d'un passé qu'elle n'aimait plus, Lauren les avait tout simplement condamnées.

–  Donc, vous ne dormiez plus ensemble, en conclut Camila.

–  Et William ne voulait pas que cela se sache. Il avait peur des rumeurs d'impuissance et du fait qu'il ne pouvait pas être à la hauteur de sa jeunette de femme... C'est d'ailleurs cette situation qui a été en partie à l'origine des bruits qui ont couru...

–  C'est-à-dire ? demanda Camila sans comprendre.

–  Ce jour-là, comme tous les matins, je me suis levée, habillée et je suis descendue prendre mon petit-déjeuner... Dans l'indifférence la plus totale de la part de mon mari bien entendu. Sauf que ce matin-là, William n'est pas descendu. J'ai bêtement cru qu'il avait fait la grasse matinée après avoir passé la soirée à travailler, et donc je n'ai pas cherché plus loin. Quand, en fin de matinée, Simon m'a indiqué qu'il ne l'avait pas vu, j'ai été surprise. Alors je suis montée dans sa chambre et je suis entrée. C'est là que je l'ai vu : il était froid, raide, la bouche semi-ouverte. Il était mort depuis longtemps, il n'y avait plus rien à faire. Lorsque j'ai appelé un médecin, il n'a fait que confirmer mes dires.

–  Et, évidemment, comme tous pensaient que vous partagiez votre lit...

–  Ils se sont demandé comment je ne m'en étais pas rendu compte avant. Le médecin avait déclaré la mort vers trois heures du matin... Évidemment, même dans la mort, je ne pouvais bafouer sa mémoire. Et les gens auraient, de toute manière, pensé que je mentais.

–  Je commence à comprendre, soupira Camila.

–  Puis les choses se sont enchaînées à une vitesse que je n'ai pas pu contrôler : ma venue en ville, pour des courses ou de simples balades, devenait de plus en plus pénible pour les habitants qui commençaient à faire courir des rumeurs et des surnoms tels que la « veuve joyeuse », ou la « veuve noire ». Ma jeunesse me desservait et les gens ont bien vite cru que je ne m'étais mariée avec lui que pour l'argent, ce qui était en partie vrai.

–  Et vos parents ?

–  Ma mère est morte quelques années après mon mariage. L'ironie a voulu qu'elle ait à peine le temps de profiter des bienfaits de ce mariage imposé. Mon père est décédé un an après William. Ça a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase pour moi. Il était mon seul lien avec un semblant de réalité. C'est lui qui me poussait à me lever tous les matins, à affronter la journée. Du jour où ces rumeurs ont commencé à gangrener la ville, ma vie a été un enfer. Je n'osais plus sortir par peur de me faire attaquer verbalement ou physiquement...

–  Et c'est le même principe que le serpent qui se mord la queue : vous ne sortiez plus à cause des rumeurs... Les rumeurs s'intensifiaient parce que vous ne sortiez plus, comprit Camila.

–  Exact. Les seules personnes qui me faisaient encore confiance étaient les employés qui m'avaient côtoyée, des années durant et qui savaient... Et Victoria. Cependant... Les années passant, elle a aussi été touchée par ces rumeurs et les on-dit. Elle était devenue distante et parfois intolérante. Quand elle a atteint ses dix-huit ans, elle a quitté la maison pour partir étudier sur New York, aidée par la découverte de ma relation avec le jardinier. Elle n'a jamais remis les pieds ici.

–  Vous... Vous n'avez plus de ses nouvelles ?

Bien évidemment, Camila connaissait la réponse, mais elle voulait savoir si Lauren allait être franche avec elle.

–  J'en ai eu, il y a quelques années. J'ai reçu un appel m'invitant à son mariage, mais... je n'y suis pas allée. J'étais... en colère qu'elle m'ait abandonnée elle aussi. Je voulais la punir par mon indifférence. Depuis, je n'en ai plus.

–  Je vois... C'est dommage, si vous vous entendiez bien.

–  La vie est faite de désillusions et défaites, soupira Lauren, en remuant une bûche ardente dans l'âtre de la cheminée.

–  Elle est aussi remplie de joie et de petits bonheurs quotidiens comme un chocolat chaud au coin du feu lors d'une belle nuit d'hiver.

–  Je suis fatiguée, Camila, soupira Lauren brusquement, avec toute la franchise dont elle était capable.

–  Je vous laisse. En tout cas, je vous remercie d'avoir été franche avec moi... annonça Camila en faisant mine de se lever.

–  Merci...

–  Oh juste... Je voulais savoir.. Pourquoi avez-vous si peur que vos employés vous trahissent ? Parce que, quand on regarde Harry... Je veux dire, il pourrait partir, mais...

–  J'ai peur qu'en les laissant partir ils me trahissent, oui. Parce que ça a déjà été le cas par le passé.

–  Comment ça ? l'interrogea Camila en fronçant les sourcils.

Lauren sourit tristement et déclara.

–  Il semblerait que cette chère femme de chambre ne vous ait pas tout raconté.

–  Qu'est-ce que vous voulez dire ?

–  La seule raison pour laquelle je veux garder mes employés ici c'est parce qu'à l'extérieur, ils pourraient être susceptibles de divulguer des choses ou encore d'en inventer. Et qui mieux que des gens de l'intérieur pour nourrir un peu plus les rumeurs... J'ai fait la bêtise de renvoyer l'une d'elles parce qu'elle me volait de l'argenterie. Une fois dehors, elle n'a cessé de propager son venin et de renforcer les idées fausses que se faisaient les gens. Ils pensent que je suis une sorcière qui a envoûté son mari avant de le tuer d'un mal inconnu.

–  Qui... Qui avez-vous renvoyé ? demanda Camila, consciente de l'horreur de la situation.

Lauren soupira et fixa son regard sur le feu.

–  La mère d'Ashley.

***

Le lendemain, Camila se réveilla assez tôt, avec l'impression que des papillons flottaient tout autour d'elle. D'où venait cette gaieté soudaine ? Elle n'en savait rien. La seule chose dont elle était sûre, c'est qu'elle était heureuse. Heureuse et sereine. Elle en avait appris bien plus sur sa patronne, et cette dernière en savait maintenant bien assez sur elle. Elle avait eu peur d'un énième rejet, mais il lui avait semblé que ce qu'elle avait vécu avait touché Lauren bien plus que prévu. Camila ne craignait maintenant plus de perdre sa place, elle ne craignait plus d'être ce qu'elle était ici. Elle s'habilla et descendit dans la cuisine.

–  Hey ! salua-t-elle la cuisinière.

–  Bonjour, lança Josy. Vous semblez bien guillerette ce matin ?

–  J'ai passé une bonne nuit.

–  On se demande bien pourquoi, murmura Josy, amusée.

–  Hein ?

–  Non rien. Tenez, voilà le petit-déjeuner de Madame, dit-elle en lui tendant le plateau garni.

–  Merci !

Puis Ashley arriva, cueillant une orange au passage.

–  'Lut, lâcha-t-elle sans émotion aucune.

–  Ash ? tenta timidement Camila pour attirer son attention.

–  Hum ? répondit cette dernière sans plus de cérémonie.

Camila jeta un œil vers Josy qui s'éclipsa dans ses appartements, laissant les deux jeunes femmes seules.

–  Je suis au courant... commença alors à expliquer la dame de compagnie.

–  Au courant de ? demanda Ashley quand son interlocutrice arrêta sa phrase avant d'avoir terminé.

–  Pour ta mère...

Ashley se figea et la fixa.

–  Que... Comment tu sais ? C'est Lauren qui te l'a dit ?

La brunette opina.

–  Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?

–  Tu crois quoi ? Que j'en suis fière peut-être ? Pas une journée ne passe sans que je lui en veuille de ce qu'elle a fait. C'est à cause d'elle tout ça, ou du moins, en grande partie.

–  Tu aurais pu me le dire, j'aurais compris, tu sais.

–  Comment ? Tu es devenue si proche de Lauren en si peu de temps... J'avais peur qu'en apprenant la vérité, tu m'en veuilles.

–  Mais pourquoi ? Tu ne reflètes en rien les actions de ta mère ! Ce qu'elle a fait n'est dû qu'à sa jalousie et à sa stupidité. Raconte-moi, dit-elle en l'invitant à s'asseoir. Ashley inspira lourdement.

–  Ma mère... Ma mère est entrée au service de Monsieur Jauregui alors qu'il était encore marié à sa précédente femme, Evy. Elles s'entendaient très bien toutes les deux. On peut même dire qu'elles étaient amies et confidentes. Puis quand elle est morte, ma mère a été dévastée. Quand elle a appris qu'il allait en épouser une autre, deux ans après, et qu'en plus cette nouvelle femme avait quasiment l'âge de sa fille... Ma mère l'a prise en grippe tout de suite. Elle ne lui a pas laissé une chance. Les choses se sont dégradées quand Monsieur Jauregui est mort.

–  Je vois, soupira Camila.

–.m. Elle a tout de suite cru que Lauren y était pour quelque chose. Puis elle a commencé à rendre sa vie infernale : dès qu'elle sortait, elle parlait d'elle dans son dos. Puis... Elle la volait. Ce qui était idiot parce qu'elle nous payait bien assez pour que ma mère puisse se payer elle-même l'argenterie qu'elle volait. Lauren l'a découvert et l'a limogée sans attendre.

–  Normal...

–  Je trouve aussi. Et ma mère est partie sans se retourner. Quand ma grand-mère a décidé de rester, j'ai dû faire un choix. Faut comprendre que ma mère n'a jamais vraiment été destinée à être une mère modèle. Elle m'a eue jeune et ne s'est quasiment jamais occupée de moi. Ma grand-mère travaillait pour cette famille depuis des années, et quand ma mère s'est retrouvée sans emploi, elle lui a proposé de venir bosser ici. Ma mère a accepté et m'a emmenée dans ses bagages. J'avais onze ans. J'ai grandi ici et ma grand-mère a fait office de mère de substitution. Donc quand un choix a dû être fait... Je me suis tout naturellement tournée vers ma grand-mère. Ça a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase pour ma mère, qui s'est sentie vexée et flouée. Quand elle est partie, elle a répandu ces rumeurs affreuses sur les suspicions de la mort de Monsieur Jauregui. Les gens tout autour ont commencé à parler... Et la rumeur a enflé jusqu'à prendre des tournures plus dramatiques. En quelques mois, Lauren est devenue une meurtrière, adepte de la magie noire, qui aurait empoisonné son mari afin de récupérer sa fortune. Tu savais qu'on a eu les flics ici ? Ils sont venus fouiller la maison quand ma mère est venue leur dire que Lauren avait toutes sortes de drogues et poisons dans sa cave. Évidemment ils n'ont rien trouvé et sont repartis sans preuve, mais ça n'a pas empêché ma mère de continuer sur sa lancée...

–  C'est injuste. C'est cette femme qui devrait être enfermée pour diffamation ! Comment Lauren a-t-elle appris la chose ?

–  Tout bêtement... Elle sortait toutes les semaines pour faire quelques courses jusqu'à ce que les commerces, un par un, lui ferment la porte au nez et la mettent de côté. Seul Simon a su lui dire la vérité et c'est à partir de là qu'elle s'est renfermée comme une huître et qu'elle a presque interdit à ses employés de partir d'ici. Non pas pour les contrôler dans ses murs, parce que nous avons une relative liberté, mais pour empêcher que les autres, ceux de la ville, nous tombent dessus en nous harcelant afin de nous tirer les vers du nez.

–  Mon Dieu... murmura Camila prenant conscience de la portée des rumeurs.

–  Tu sais, j'aurais voulu te le dire, mais... C'est un fardeau si lourd à porter. Heureusement, Lauren été plus intelligente et n'a jamais reporté sur moi ou ma grand-mère les rancœurs qu'elle avait envers ma mère.

–  Tant mieux, répondit son interlocutrice, rassurée.

–  J'en serai toujours reconnaissante à Lauren de nous avoir gardées. Non seulement nous avons un toit sur la tête, mais aussi une bonne paie à la fin du mois. Tu sais, je ne sais pas ce que nous serions devenues si elle avait décidé de nous renvoyer. Ma grand-mère, vu son âge, n'aurait jamais retrouvé de travail et moi... Bah, j'ai jamais fait assez d'études pour prétendre à autre chose qu'un poste de serveuse dans un bar. Alors qu'aujourd'hui, avec toutes mes économies, je pourrais m'acheter ma propre maison, et la voiture allant avec, et ça, c'est grâce à Lauren.

Camila se pinça les lèvres.

–  Bien alors... Si tu lui es si reconnaissante... Tu pourrais faire une chose pour moi ? demanda la brune d'un ton intéressé.

–  Laquelle ?

–  J'aimerais sortir les décos de Noël pour pouvoir les mettre dans la maison.

–  On ne fête pas Noël, lança Josy qui venait de revenir dans la cuisine. Ça fait des années d'ailleurs.

–  Eh bien, ça va changer. Lauren est d'accord, on avait parié le bonhomme de neige !

Ashley et Josy échangèrent un regard puis un sourire.

–  Quoi ? lança Camila.

–  Non rien, répondirent-elles en cœur.

–  Je vais aller chercher ça, affirma Ashley en hochant la tête de manière affirmative.

–  Merci ! Bon allez, je monte !

Camila prit le plateau et sortit de la cuisine. Une fois qu'elle eut disparu, Ashley se tourna vers Josy.

–  Je te l'avais dit, cette fille est spéciale.

–  Je ne pensais pas que ce serait si rapide... murmura sa grand-mère en confirmant implicitement.

–  Tu les as vues dans la neige hier ? C'était flagrant, constata Ashley avec sérieux.

–  Mais Camila ne semble pas s'en rendre compte.

–  La période de Noël est idéale pour ça. Faisons en sorte que ça aide.

–  Tu ne penses pas que ça fera... trop ? l'interrogea Josy en se concentrant sur l'idée.

–  Trop quoi ? répondit sa petite-fille qui ne comprenait pas où elle voulait en venir.

–  Lauren est recluse ici depuis des années parce que les gens l'ont condamnée en la traitant de meurtrière et de sorcière... Quelles seront leurs réactions s'ils la voient en compagnie... d'une femme ? questionna la vieille dame soucieuse du bien-être de sa patronne.

–  Et c'est là que Camila entre en action. Elle changera les choses, elle a déjà commencé. C'est une femme particulière, exceptionnelle... Et surtout extrêmement optimiste. Elle nous pousse en avant, elle fait sortir le meilleur de nous. Aurais-tu imaginé voir un jour Lauren s'amuser dans la neige ou autoriser les décorations de Noël ? Attendons encore un peu. C'est dans un peu moins de deux semaines... La magie de Noël agira peut-être sur elles.

***

–  Hey, toc, toc. Vous êtes levée ? demanda Camila en entrant doucement dans la chambre de Lauren.

Elle déposa le plateau sur la petite table avant de presque sauter sur le lit et de rejoindre la jeune femme en s'asseyant en tailleur.

–  Alors, prête ? lança-t-elle alors pleine d'enthousiasme.

–  Prête ? s'étonna Lauren en ne comprenant pas à quoi cette dernière faisait référence.

–  Pour décorer ! Vous n'avez pas oublié ?

–  Visiblement, vous non, lança Lauren avec un sourire.

–  Ça va être fun, je le sens !

–  Si vous le dites, tenta de s'enthousiasmer la brune.

–  Oh, ne soyez pas si ronchon... Mon bonhomme de neige était indéniablement le meilleur, vous n'auriez rien pu faire. J'ai été médaille d'or du meilleur bonhomme de neige quand j'étais gamine !

–  Ah vraiment ? s'étonna Lauren en observant la jeune femme d'un œil curieux.

–  Vraiment, confirma Camila, malicieuse.

Lauren sourit avant de boire une gorgée de café.

–  Vous savez... C'était cool hier, je me suis bien amusée, précisa Camila avec sincérité.

–  Moi aussi, concéda la jolie brune.

–  Et... Je vous remercie de... D'avoir été aussi franche avec moi.

–  Vous l'avez été avec moi, ce n'est qu'un juste retour des choses.

Camila eut soudainement de la peine pour elle : une femme aussi belle, intelligente et touchante ne pouvait pas rester seule, c'était inhumain.

Le regard de Lauren plongea dans le sien et Camila frissonna en se rapprochant petit à petit de la brune. Elle se rendit compte qu'elle n'avait jamais été aussi proche de sa jolie patronne. Elle détailla son visage, remarquant les reflets de ses iris. Lauren se recula, déglutissant difficilement.

–  Je... Je vais me préparer. Merci pour le petit-déjeuner.

Camila sourit, avant de se lever à son tour.

–  De rien...

Elle jeta un dernier coup d'œil à la silhouette de Lauren qui venait d'entrer dans la salle de bain.

Lorsque la porte claqua, elle se tourna vers le petit-déjeuner à peine touché, et sourit. Leur relation avait réellement évoluée, de distante et froide à complice. Aujourd'hui, Camila n'avait plus à faire à une femme murée dans sa solitude et son silence. Celle qui l'accueillait tous les matins pour le petit-déjeuner, celle avec qui elle avait joué dans la neige ou planté des fleurs par centaines...
Cette femme-là...

Cette femme-là lui plaisait...

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