Journal d'une Confidente - Ca...

Da OrielClancy

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Lors d'une soirée pluvieuse, Camila Cabello arrive sur la petite île de Genova. La jeune citadine originaire... Altro

Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5 - Partie 1
Chapitre 5 - Partie 2
Chapitre 6
Chapitre 7 - Partie 1
Chapitre 7 - Partie 2
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12 - Partie 1
Chapitre 12 - Partie 2
Chapitre 13 - Partie 1
Chapitre 13 - Partie 2
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16

Chapitre 1

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Da OrielClancy


Île de Genova, État du Michigan

Il pleuvait à torrents en ce samedi soir. Elle rechigna à sortir de son taxi, mais elle ne pouvait plus reculer : aujourd'hui, elle avait trouvé un travail et, en ces temps si difficiles, elle ne pouvait se résoudre à refuser cette offre providentielle.

–  Vous descendez ? insista le conducteur, tapotant nerveusement sur son volant.

Comme si ces quelques minutes supplémentaires sur son compteur allaient le déranger, pensa-t-elle hargneusement. Elle déglutit, espérant une accalmie avant que le chauffeur ne la jette dehors.

–  Ça fait quatre-vingts dollars, conclut-il, impatient.

Que croyait-il ? Que parce qu'elle était vêtue comme une vagabonde, elle n'avait pas l'argent pour le payer ? Elle haussa un sourcil avant d'ouvrir son sac et d'en sortir ses derniers billets. Malgré l'attitude de l'homme, elle le gratifia de cinq dollars de pourboire. Elle lui tendit les billets qu'il attrapa sans ménagement. Il les recompta avidement avant de s'arrêter sur le pourboire qu'elle venait de lui laisser. Il haussa un sourcil et fit une moue mi-déçue, mi-boudeuse. À présent, il n'attendait qu'une chose : qu'elle sorte de son taxi afin qu'il puisse dépenser cette maigre récompense dans le premier bar venu. Elle leva les yeux vers le ciel qui semblait s'assombrir de plus en plus, pour son plus grand malheur.

– Bon alors ! s'impatienta le chauffeur qui, s'il n'avait pas eu aussi peur de se mouiller, serait lui-même sorti pour lui ouvrir la porte et la mettre hors de son véhicule.

Elle soupira et ouvrit la portière, laissant s'engouffrer une brise fraîche qui la fit frissonner. Elle sortit et se hâta de prendre sa valise dans le coffre, de grosses gouttes s'immisçant dans son col de veste, collant ses cheveux sur son visage et réduisant sa vision à un mètre seulement. Avec difficulté, elle extirpa son bagage et, ce dernier à peine libéré, la voiture démarra en trombe, éclaboussant la jeune femme au passage en mouchetant son pantalon de taches de boue.

–  C'est pas vrai ! maugréa-t-elle, essayant d'atténuer les traces en passant sa main dessus, ce qui eut pour résultat d'étaler les éclaboussures. Parfait, soupira-t-elle sarcastiquement.

Elle se posta devant les immenses grilles de l'entrée. Jamais elle n'avait vu pareil portail. Elle chercha un interphone, mais ne trouva rien. Elle pria alors pour que les portes soient ouvertes et qu'elle n'ait pas besoin de s'époumoner pour demander l'autorisation d'entrer. Elle tenta de pousser les lourdes grilles et, avec soulagement, constata que ces dernières n'étaient pas fermées.

Elle ne prit pas le temps de regarder autour d'elle, et aperçut à peine l'immense allée devant le manoir. Elle courut aussi vite qu'elle put en traînant sa valise jusqu'au porche d'entrée. Elle observa pendant de longues secondes la grandeur de la demeure devant laquelle elle se trouvait. De larges portes en bois massif, sculptées aux armoiries de la famille vivant ici. Elle n'avait jamais vu de manoir auparavant. La bâtisse semblait tout droit sortie d'une autre époque : du lierre et des lézardes au mur témoignaient de l'érosion et des années passées.

En l'absence de sonnette, elle se résigna à frapper à l'entrée. Mais ses faibles poings semblaient ne faire aucun poids face à l'épaisseur de la porte. Elle prit l'anneau dont le métal était rouillé pour marteler lourdement le battant.

Sanglotant de froid, elle pria pour que quelqu'un se presse pour l'accueillir, imaginant trouver chaleur, réconfort et salut dans ce manoir. Au bout d'une trop longue minute, la porte s'ouvrit dans un grincement lugubre. Elle pencha sa tête et sursauta lorsque celle d'un homme âgé émergea.

– Bonjour.

– Wow ! Bon... bonjour. Je... Je suis Camila... Camila Cabello, je suis att...

– Entrez, dit-il en se poussant.

Elle hésita quelques secondes avant qu'un éclair et un coup de tonnerre ne la fassent entrer d'un bond dans la demeure. Quand la porte claqua derrière elle, elle se sentit soudainement étouffée : à l'intérieur, le hall de l'entrée était gigantesque avec d'immenses tentures bordeaux accrochées aux murs, représentant tantôt des scènes de chasses, tantôt des batailles meurtrières. Des colonnes de boiseries sculptées donnaient à l'intérieur un état plus ancien. Au sol, le parquet usé craquait sous ses pas. Si la personne qui vivait là paraissait assez fortunée, elle se désintéressait visiblement totalement de la tenue de la maison. La poussière s'accumulait sur les meubles et le bois n'avait pas été ciré et lustré depuis des années, donnant une couleur terne aux marbrures qui, à l'époque de leur gloire, devaient être la fierté de cette bâtisse. Pour assombrir encore plus le tout, les lourds rideaux aux couleurs sombres ne semblaient pas avoir été lavés depuis longtemps et les fenêtres étaient presque opaques de saleté.

Quand elle leva les yeux, les lustres, en cristal sûrement, semblaient figés dans le temps, immobiles, éclairant à peine cet immense hall. Puis son regard croisa celui du vieil homme qui la détaillait sans vergogne : assez mince et fine, elle avait des épaules carrées témoignant d'une bonne condition physique. De longs cheveux châtains, qu'il imaginait teints, bouclaient légèrement sur les pointes. D'immenses yeux marrons, un petit nez en trompette et quelques taches de rousseur discrètes sur ses joues, lui donnaient un air mutin et malicieux.

Camila se sentit soudain épiée sous toutes les coutures, presque gênée que ses pas aient déposé au sol de l'eau et de la boue agglutinées sur ses bottes. Peu farouche, elle fixa son nouvel interlocuteur et son style assez « vieille école » : il était habillé d'un pantalon gris passé, d'une chemise n'ayant visiblement jamais vu un fer à repasser et d'un gilet bordeaux aux coutures usées. L'homme aurait pu avoir un visage avenant, presque aimable, s'il n'avait pas eu un regard aussi dédaigneux. Camila aimait observer les gens. Elle essayait de deviner leur vie, leurs pensées : ici, cet homme était grand et sec, le crâne habillé de courts cheveux gris, allant avec son menton mal rasé. Son regard était doux pourtant, comme s'il subissait la lourdeur de cette demeure de tout son poids. Oui, cet homme semblait fatigué et malheureux.

–  Je vais prévenir Madame, dit-il sur un ton monocorde et lugubre allant parfaitement avec le décor.

Elle ne prononça aucun mot, faisant seulement un petit geste de la tête. Elle n'osait bouger par peur d'étaler la boue sous ses bottes, mais, piquée par la curiosité, elle s'avança tout de même. Devant elle, un immense escalier d'une trentaine de larges marches se scindait en deux en haut, pour partir d'un côté à gauche, et de l'autre à droite. En haut des marches se trouvait un mur nu, vraisemblablement orphelin d'un immense tableau qui avait laissé une légère trace jaunie rectangulaire. Qui l'avait enlevé ? Que représentait-il ? Camila pouvait s'imaginer de multiples scénarios tous plus rocambolesques les uns que les autres.

De chaque côté de l'escalier s'enfonçait un corridor avec une porte au bout de laquelle Camila imagina les cuisines et les chambres des domestiques. Parce que domestiques il devait forcément y avoir dans une telle demeure.

Elle progressa et découvrit une pièce à sa gauche. Celle-ci semblait être une immense salle à manger. En son centre trônait une table en bois massif entourée de huit chaises. Aux murs s'alignaient d'immenses cadres dépeignant des scènes d'un autre temps et des meubles massifs renfermant certainement des verres en cristal et de la porcelaine raffinée.

Camila fit deux pas en arrière et tourna la tête à sa droite. Cette salle avait tout d'un salon avec son piano sans âge, sa harpe qui semblait faire de la figuration, et ses larges fauteuils qui, s'ils n'avaient pas été si poussiéreux, auraient presque eu l'air moelleux et confortables. Bien sûr, il devait y avoir d'autres pièces adjacentes, et en haut, les chambres et les salles de bains. Y avait-il un sous-sol ? Sa chambre de bonne y serait-elle ?

Une bonne... Jamais elle n'avait envisagé cette profession. Jamais. Oh bien sûr, il n'y avait pas de sot métier, mais ses études l'avaient plutôt promise à un brillant avenir dans le droit. Cependant, les temps durs et le rude marché du travail avaient eu raison de ses envies. Seattle regorgeait d'emplois certes, mais rien qui pouvait faire d'elle quelqu'un de financièrement indépendant.

Elle avait donc pensé à des jobs qu'elle appelait « deux en un » : qui requéraient qu'elle soit sur place, logée et nourrie et, évidemment, payée. Elle s'était tournée vers le travail de nourrice ou de fille au pair, mais les familles exigeaient des compétences qu'elle n'avait pas, quand ce n'était pas l'âge qui posait problème.

Alors, non sans une pointe de regret, elle avait envisagé celui de femme de ménage. Elle avait sillonné les lieux où ce genre de demandes d'emploi pullulait, mais rien ne répondait à ses attentes. On ne lui proposait que des salaires de misère et aucune garantie sur le fait d'être logée.

Puis vint cette offre d'emploi, sortie de nulle part alors qu'elle faisait les courses. Le panneau qui invitait les gens à y mettre leurs annonces de vente d'objets ou de véhicules, de demandes d'emploi en tout genre, attira son regard par une offre atypique : posée sur un papier ressemblant à un parchemin, l'écriture semblait calligraphiée et disait ceci « Cherche jeune femme pour tenir une maison à Genova, Michigan. Nourrie, logée. Deux jours de congé par semaine. Discrétion et silence exigés. Salaire : Deux mille dollars par mois. »

Le Michigan n'était pas sa destination privilégiée, mais soit ! Payée aussi bien tout en étant logée et nourrie, Camila ne demandait pas mieux. Quant à la discrétion et le silence exigés, elle devrait faire avec. Elle avait donc arraché le bout de papier et avait téléphoné au numéro donné au bas de l'annonce. Une voix masculine taciturne et lasse lui avait répondu. Elle appartenait certainement à l'individu qui lui avait ouvert. Pas de référence demandée, il la recontacterait dans les jours à venir. Finalement, c'est le lendemain que l'homme l'avait rappelée en lui donnant l'adresse ainsi que l'heure du rendez-vous.

Elle avait tout misé sur ce job : peu importait sa nature, il payait bien, il la faisait partir loin... C'était tout ce qui comptait. Elle rendit sa cage à lapins, fit ses bagages et partit à bord de sa vieille Ford qui l'avait suivie depuis l'obtention de son permis à l'âge de seize ans. Quand elle prit une carte du Michigan, quelle ne fut pas sa surprise de découvrir que Genova n'était pas une ville, mais une minuscule île à l'ouest de l'état. Pour y accéder, il fallait prendre un petit ferry qui l'avait obligée à abandonner son véhicule à Lake Shore, le seul port qui desservait l'île.

Curieuse, elle avait mis les pieds dans ce ferry sans rien savoir de son futur employeur. Dès que le bateau avait quitté la côte, elle avait frissonné comme si elle quittait son ancienne vie, ce qui était littéralement le cas, à vrai dire. Durant la courte traversée, elle avait eu l'occasion de surprendre quelques échanges entre des habitants discrets et méfiants au possible, ce qui n'avait pas vraiment rassuré la jeune femme. De ce qu'elle avait pu entendre, l'île abritait le village de Genova, une cité qui vivait en quasi autarcie grâce à ses commerces, notamment portuaires. Il semblait qu'une famille en possédait la majorité des terrains, une famille qui suscitait les messes basses et les quolibets des dits habitants. Camila ne s'était pas penchée plus sur la question, son regard étant attiré par les contours de l'île qui se dessinait au travers de la brume.

D'un caractère rêveur et audacieux, Camila s'était soudain imaginé les centaines d'histoires et légendes créées sur cette île, une île mystérieuse, retirée de tout, où le crime parfait pouvait être commis sans le moindre problème. La perspective de tout quitter et de changer de vie l'excitait au plus haut point. Aventurière dans l'âme, cette expérience pouvait changer sa vie, il le fallait, elle en avait besoin.

Elle était là aujourd'hui, tremblotante, dans le hall de cette immense maison. Elle comprenait à présent pourquoi le salaire était si élevé : une telle surface requérait une patience et un savoir-faire qu'elle n'avait probablement pas. En quelques jours, le propriétaire s'en rendrait compte et la mettrait dehors sans ménagement. Elle n'aurait ainsi profité que de quelques jours de chauffage, d'un lit et d'un toit sur sa tête avant de retourner à une vie de misère. Elle devait cependant s'accrocher. Elle avait tout quitté pour ce travail et il était hors de question qu'elle soit à la rue à présent que l'hiver approchait à grands pas.

–  Miss ?

Elle sortit de ses pensées et vit l'homme en haut des marches.

–  Oui ?

–  Suivez-moi, dit-il mollement.

Elle hésita un court instant et se déchaussa avant d'enlever sa veste et de la suspendre à ce qui ressemblait à un portemanteau. L'homme haussa un sourcil, perplexe, avant de la conduire à l'étage. Il ne lui proposa même pas de porter ses bagages. D'ailleurs, qui l'aurait voulu ? Un sac à dos et deux grosses valises mouillées tout comme devaient l'être les vêtements qu'elles contenaient.

Ils prirent l'escalier de gauche et montèrent au premier étage donnant sur un large couloir : d'un côté les balustrades laissaient voir, en contrebas, le hall d'entrée, et de l'autre, on apercevait un mur avec quatre portes en bois identiques.

– Vous me conduisez où ? lui demanda fébrilement Camila qui s'attendait à dormir au sous-sol.

– À votre chambre, voyons, lança le vieil homme comme si cela allait de soi.

Il la conduisit à la porte la plus éloignée, au fond du couloir. Il l'ouvrit et lui laissa le passage. Elle qui s'attendait à une cage à poules ou, au mieux, une chambre de bonne, en fit tomber ses valises de stupeur.

– Wow, souffla-t-elle, subjuguée par l'immense pièce qui était à présent la sienne.

–  Que se passe-t-il ?

– Non rien c'est juste que... Cette chambre est deux fois plus grande que mon ancien appart'. Enfin si on pouvait appeler ça un appart', s'amusa-t-elle.

– Certes, dit-il avant d'entrer. Voici votre salle de bains, indépendante bien sûr.

– Sérieux ? pouffa Camila.

Elle s'avança et découvrit une salle de bains en marbre blanc avec dorures, une baignoire d'angle, une double vasque, un immense miroir. Elle n'avait jamais eu de baignoire ni de double vasque, d'ailleurs, elle n'avait jamais eu de marbre dans aucune des pièces dans lesquelles elle avait pu vivre. Elle ouvrit quelques placards et découvrit un ensemble de serviettes, gants et peignoirs allant parfaitement avec la décoration intérieure, comme si elle était dans une chambre d'un grand palace parisien.

– Cela vous convient-il ?

– Si ça me convient ? Mais... Pourquoi cette chambre ? interrogea-t-elle, un peu perdue.

– Que voulez-vous dire ?

– Je suis pas censée être une bonne et dormir dans un clapier au fin fond des entrailles de cette maison ? lança-t-elle comme si cela paraissait être une évidence.

– Je ne comprends pas, dit-il en haussant un sourcil interrogateur. Vous n'êtes pas la bonne ici.

– Ah oui ? Je suis quoi ?

– Vous êtes la dame de compagnie de Madame, conclut-il.

– La dame de... Attendez... C'est pas un terme politiquement correct pour dire prostituée, hein ? Parce que je fais pas ce genre de choses, s'offusqua-t-elle, imaginant soudain le pire.

– Il ne s'agit en rien de cela. Votre tâche sera essentiellement de divertir Madame par votre présence ou simplement d'être là pour elle, de répondre à ses envies, besoins et demandes, expliqua-t-il.

–  Ouais. En somme, je suis la bonne perso de Madame... Avec bénéfices ?

L'homme fronça plus franchement les sourcils et tourna les talons. Avant de quitter la chambre, il s'arrêta :

– Si vous ne souhaitez pas le poste, nous pourvoirons à votre retour en ville.

– Quoi ? Non, non. C'est okay, vraiment, répondit-elle rapidement.

– Bien. Je vous laisse donc vous installer.

– Attendez ! s'exclama-t-elle.

– Oui ?

– Comment je dois vous appeler, votre prénom ?

–  Simon, murmura-t-il. Le dîner sera servi à vingt heures, ajouta-t-il avant de tourner les talons.

– Ok Samy, merci ! lança-t-elle avant de se laisser tomber sur le lit.

Simon haussa un sourcil perplexe avant de refermer la porte. Camila se retrouva seule dans cette immense pièce aux couleurs bois et bordeaux. D'un côté trônait le lit à baldaquin sur lequel elle venait de s'échouer. Il était surmonté de grandes tentures de velours bordeaux, comme on ne pouvait en voir que dans les films d'époque. De grands tapis au sol, des rideaux aux lourdes tringles, d'immenses vitres, et même, constata-t-elle, un grand balcon rien que pour elle. En s'avançant en direction de ce dernier, elle réalisa qu'il donnait sur un jardin à l'image de la maison : défraîchi, non entretenu, laissé presque à l'abandon. Elle pouvait y voir les vestiges de quelques pommiers, ou encore d'une fontaine en pierre, en ruine et asséchée.

En se retournant, elle laissa vagabonder une nouvelle fois son regard dans la pièce. Elle nota la présence d'un bureau, d'armoires, de commodes, mais aussi de tableaux et autres objets de décoration venus d'un autre temps. Des pendules ou encore des statuettes qui n'étaient, pour elle, que des nids à poussières. Elle soupira, imaginant que pour bien nettoyer sa chambre, il lui faudrait une journée entière. Elle ouvrit chaque placard et chaque tiroir avant de dézipper sa valise. Elle vida le contenu de celle-ci dans ses nouveaux meubles ce qui, elle le constata, ne les remplissait qu'à moitié.

Puis elle sortit d'un de ses sacs à dos quelques objets fétiches qu'elle parsema dans sa chambre : un lecteur MP3, des mini-enceintes, quelques peluches, témoins d'un passé lointain, des photos et un petit carnet à la couverture en cuir abîmée qu'elle plaça dans le tiroir de sa table de chevet. Elle se laissa tomber sur son lit, les yeux fixés sur les tentures la surplombant. Elle l'avait fait ! Elle avait changé de vie, changé de ville, changé de futur. L'avenir irrémédiablement monotone qui lui était promis était terminé.

Elle avait toujours cette peur caractéristique au creux du ventre. Cette peur de l'inconnu. Cette peur liée au fait d'avoir tout quitté pour découvrir le monde avec rien d'autre en poche que quelques dollars, de vieilles photos et en héritage une vieille carcasse roulante. Cette peur de se dire « et maintenant, je fais quoi ? », elle qui avait toujours su ce qu'elle voulait, du moins selon l'idée que son entourage s'en faisait. Maintenant, elle était face à son destin, dans cette immense maison où elle se sentit soudainement seule.

Tant de choses s'offraient à elle à présent et elle avait hâte de découvrir ce que pouvait lui donner ce nouvel environnement. Elle jeta un œil à sa montre : elle avait devant elle encore deux bonnes heures avant de rejoindre le dîner. Elle s'empressa de se déshabiller et de s'engouffrer dans un bain chaud et relaxant... Oui, elle semblait être tombée sur le boulot du siècle.

***

Après avoir laissé la jeune femme dans sa chambre, Simon se rendit d'un pas pressé vers l'autre aile de la maison, descendant l'escalier pour prendre celui d'en face. Il traîna les pieds comme pour éviter de faire du bruit et se posta devant une porte sur laquelle était gravé un cœur couronné. Il toqua doucement une fois, puis deux avant qu'une faible voix ne l'invite à entrer. Il poussa le lourd battant qui s'ouvrit dans un grincement lugubre et entra de quelques pas dans la pièce plongée dans l'obscurité. Elle était simplement éclairée par quelques chandelles ici et là, avec un feu crépitant dans la large cheminée sculptée dans la pierre. Devant l'âtre, un fauteuil imposant tournait le dos au majordome. Ce dernier n'avait pas besoin de savoir où parler, elle était toujours dans ce fauteuil.

– Madame... Elle est dans sa chambre, murmura-t-il.

Une voix rauque s'éleva alors de derrière le fauteuil.

– Comment est-elle ?

– Assez jeune, de taille moyenne, brune. Ses manières ne sont pas des plus nobles, mais... Je pense qu'elle fera l'affaire.

– Vous pensez ? siffla la voix.

– Je... Elle n'est pas mauvaise.

– Est-elle curieuse ?

– Elle n'a, pour l'instant, posé aucune question, répondit-il en espérant qu'elle continuerait ainsi.

– Bien. Gageons qu'elle reste plus longtemps que la précédente, grinça la femme.

Simon se mordit l'intérieur de la joue, se refrénant de ne pas dire le fond de sa pensée.

– Souhaitez-vous dîner ce soir ?

– Comme d'habitude, répondit-elle sobrement, mais d'un ton visiblement las.

Il savait que la conversation était finie pour l'instant. Il la salua, même si elle ne pouvait le voir, et fit le chemin inverse, discrètement, sans un bruit. Il referma la porte et se rendit en cuisine.

Dans la chambre, le feu commençait à doucement mourir. Une longue main s'empara d'un tisonnier et taquina les bûches, faisant crépiter de plus belle les flammes en quelques étincelles rougeoyantes.

– Bien... Il semblerait que nous ayons une nouvelle venue, murmura-t-elle alors qu'une des bûches se fendait en deux dans un craquement sec qui fit jaillir quelques étincelles hors de l'âtre.

Au coin de sa bouche se dessina un léger et discret sourire :

– Intéressant...

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