L'ère des esclaves

By ChristopheNolim

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-- Premier volet dans la trilogie Diel -- « L'homme est un super-prédateur qui a su s'adapter à de nombreux m... More

Avant-propos
Prologue
Partie I : CA
1. Nazar
2. Carlsson
3. Tilium
4. Le non-humain
5. La machine de Kirdan
7. Petit test de Turing
9. Agent libre
10. Les chemins de la peur
11. BIS
12. M006
13. Fermi
14. Diel
15. Les doutes
16. Le crépuscule
17. Les Élus
Partie II : l'audace des visionnaires
Note (annonce)
19. Le bouillon de culture
20. Révolution
21. La vie artificielle
22. Le début
23. Les progrès
24. Les monstres de la science
25. L'idée de génie
26. Le projet
27. L'échec
28. La naissance
29. Katia
30. La machine en marche
31. La trinité
32. L'avènement des esclaves
Partie III : l'ère des esclaves
33. Les visionnaires
34. Iruka Hidan
35. L'ombre des Élus
36. Caïn
37. Lysen
38. Nocturne
39. L'esprit de Diel
40. Les mille griffes du monstre
41. Souvenirs
42. Dakar
43. "Blackout"
44. Courant d'air
45. Le prophète vaincu
46. La tempête
47. Tour de cycle
48. Basil Thompson
49. Carlsson
50. Douglas
51. Gouvernance mondiale
52. Aléane
53. Post-it et belle époque
54. Commerce
55. Vie parfaite
56. Révolte
57. Intervention
58. Ordres
59. Assaut
60. Confusion
61. Novum
62. L'arène
Partie IV : Exadiel
63. Adam
64. Le sens de l'histoire
65. Carlsson
66. Aléane
67. Denrey
68. Le projet d'Adam
69. Raven
70. Le don de vie
71. Départ
72. Réception
73. Kzran
74. Basil Thompson
75. L'affaire Carlsson
76. L'oncle North
77. Aulna
78. L'océan
79. Le réseau Aleph
80. L'ombre du soulèvement
81. Le retour des alephs
82. Entrevue
83. Débarquement
84. Hégémonie
85. Mars
86. Exode
87. Danion
88. Diel
Note de l'auteur

6. Premier-né

241 35 12
By ChristopheNolim



« Ce changement sera soit immédiat, soit lent. S'il est immédiat, il impliquera la disparition du monde tel que nous le connaissons ; s'il est lent, les impacts sur la biosphère terrestre seront irrémédiables. »

2045


Comme dans un tableau surréaliste, un corps humain en dissection et une voiture sans carrosserie s'étaient mêlés. L'humanoïde était une structure de plastique grisâtre, un squelette en tout point semblable à celui d'un être humain, quoique renforcé, sur lequel se greffaient des muscles électrocontrôlés reliés à des tendons, des bordées de câbles électriques, un réseau de circulation de fluide électrolytique et des compartiments dans lesquels les morceaux les plus fragiles baignaient dans des gels isolants.

Nazar était seul dans le laboratoire. Sa perception semblait lui jouer des tours. Par instants, il avait l'impression de se tromper, et de déconstruire un véritable être humain, plutôt que de monter un corps artificiel.

Était-il un créateur ou un destructeur ?

Il se dirigea vers la table sur laquelle les morceaux de peau tactile étaient été étalés. La proximité du silicone flasque avec l'épiderme humain, à l'apparence et au toucher, le rendait répugnant. Nazar se saisit d'un visage sans yeux. Les globes étaient, eux, déjà assemblés sur la tête. On y voyait les caméras intégrées – le but n'était pas de les cacher – dessiner comme un iris noir.

Enfilée sur la tête de l'androïde comme un camouflage, la peau révéla toute sa beauté. Les faux grains de beauté étaient uniques, incrustés à la main par des ouvriers indonésiens.

Tout ce chemin depuis l'époque où il vendait son sang, avec Talya, pour payer ses études.

Il se souvenait à peine du visage de l'étudiante russe avec qui il avait passé deux années sur le campus. Lorsque son imagination échappait à son contrôle, elle revenait le visiter en rêve, changeant sans cesse de forme ; ici il la voyait dans le corps sans vie allongé sur la table.

En vérité, il était en 2040, elle venait à peine de succomber au dernier baiser du vampire, et il ouvrait son corps pour en détacher les précieux organes, découper les lambeaux de peau, comme on dépèce un animal de valeur. Ses mains se mirent à trembler, plus fort encore que celles du professeur Mrozowski. Il venait de tuer Talya. Mais au lieu de s'ouvrir et de l'embraser d'un regard de reproches, les yeux de la morte restèrent clos. Il attendit que le calme lui revienne.

À l'emplacement d'une fine croix rouge sur le front, il planta la longue aiguille d'un pistolet à thermocolle Après vingt injections, il essuya quelques gouttes de sueur sur son front. Le visage était sans défaut. Et ce n'était pas Talya.

Ce n'était pas Talya Matyev. Ce nom ne signifiait rien d'autre que pour lui. Peut-être même l'avait-il inventé.

***

Nazar Kirdan aida Von Glats à retirer son manteau en entrant dans le laboratoire.

Le professeur avait accepté l'invitation de bonne grâce, mais il connaissait à peine le docteur Kirdan. C'était réciproque, sans doute. Ils ne s'étaient jamais rencontrés. Von Glats donnait des cours et des conférences sur le thème de la conscience artificielle, abordé d'un point de vue sociologique et éthique. Nazar Kirdan était un informaticien et neuroticien reconnu, mais discret.

« Avez-vous connu le professeur Mrozowski ? demanda-t-il brusquement.

Manifestement, un disciple de l'homme qui parlait aux orques. Von Glats reconnaissait en lui quelques traits caractéristiques ; bien qu'il manque l'arrogance dont certains se paraient volontiers.

— Un peu, comme tout le monde. »

Avait-il l'air si vieux ?

Nul besoin de miroir pour lui rappeler qu'il allait sur ses soixante ans. Sa fin de carrière universitaire était programmée ; quant au reste... les promesses mirifiques que faisaient tous les ans les grandes sociétés pharmaceutiques cachaient une bien sombre réalité. L'espérance de vie stagnerait toujours à soixante-dix ans et ne remonterait jamais à ses records anciens, pas tant que les zones urbaines et les écosystèmes seraient à ce point saturés de pollution. Et ce n'était pas un professeur d'université qui se paierait les cures de jouvence miraculeuses dont se vantaient les stars.

« Que pensez-vous de ses thèses ?

— Encore me faudrait-il les connaître.

Kirdan portait des lunettes quasiment opaques. Maladie rare ?

— Vous gardez vos lunettes à l'intérieur ? demanda Von Glats pour avoir la réponse à la question.

— Excusez-moi.

Il les accrocha à l'une des poches de sa blouse. Ses yeux étaient des prothèses de dernière génération, avec connexion optique ; on y voyait les caméras encastrées dans les globes de plastique, qui rendaient une image du monde relativement acceptable.

— Je suis né aveugle, expliqua-t-il, à cause d'une maladie génétique. Mes parents m'ont payé des prothèses, un voyage aux États-Unis, puis je me suis débrouillé pour le reste.

Ils passèrent entre des bureaux vides. Du moins qu'on puisse dire, Kirdan vivait sur son lieu de travail.

— La théorie principale de Mrozowski est que l'humanité va changer en profondeur. Ce changement sera soit immédiat, soit lent. S'il est immédiat, il impliquera la disparition du monde tel que nous le connaissons ; s'il est lent, les impacts sur la biosphère terrestre seront irrémédiables.

— Mais il y a toujours une voie du milieu, n'est-ce pas ?

— Si l'homme ne peut pas changer seul, il faut qu'il ne soit plus seul. Il faut qu'une ou des consciences soient capables de contrebalancer la sienne, de le ramener enfin sur sa course normale, et de le pousser vers la raison. Il ne s'agit rien de plus que de stabiliser une société.

— Il est rare que l'introduction d'un nouveau facteur stabilise un système.

— Au contraire. En biologie, on nomme cela la symbiose.

— Cela aussi représente un changement, une évolution. Le mot de Singularité est devenu désuet, mais c'est bien de cela que vous parlez : l'émergence d'une nouvelle conscience. Égale à la nôtre.

— Jusque-là les machines avaient beau nous battre en terme de calcul symbolique, elles n'avaient pas encore de conscience.

— Peut-être les ordinateurs en avaient-ils une forme primaire, semblable à celle des mollusques.

— Les ordinateurs, des mollusques, engrangea Nazar. Je vous offre un café ? demanda-t-il en désignant la machine au fond du couloir.

— Non merci, je suis en cure de désintoxication.

Je sais que la Singularité – ou quel que soit le mot que vous mettriez à la place – est inévitable. L'Histoire mène forcément à un moment où la conscience humaine devra composer avec d'autres consciences, du moins reconnaître leur existence. Je ne sais pas si c'est la meilleure voie. Et je me doute déjà que ce sera un processus difficile.

— Vous êtes pessimiste ?

— Je suis pragmatique. »

Nazar tourna la clé dans la serrure. Ils entrèrent dans une pièce sombre, où seul perçait le balisage d'une sortie de secours. Von Glats y devina des amoncellements de pièces détachées et de matériel informatique en veille.

L'informaticien alluma la lumière.

Von Glats posa sa serviette sur une table, son regard immédiatement attiré par le corps allongé à quelques mètres. La lueur blafarde de deux projecteurs de dentiste se concentrait dans sa direction. Elle était immobile, les cheveux courts ; les avant-bras semblaient écorchés, et un instant, le vieux professeur eut un haut-le-cœur, puis il se ressaisit. Ses yeux s'étant habitués au contraste lumineux, il venait du même coup de prendre conscience que c'étaient des bras artificiels et qu'il ne voyait que leurs muscles synthétiques.

Nazar lui fit signe d'avancer. Il y avait sur le côté un grand miroir, de la hauteur du mur.

L'androïde avait une silhouette et un visage féminins. Sa tête, ses mains, ses bras jusqu'aux coudes, ses jambes jusqu'aux genoux étaient recouverts d'une peau sensitive standard. Un extérieur en silicone doublé d'une sous-couche de mousse épaisse, dans laquelle étaient insérés mille capteurs de pression au centimètre carré.

« Je voulais vous faire assister à sa mise en activité. »

Des câbles étaient encore plantés dans son avant-bras droit. Des fibres optiques qui couraient d'ailleurs un peu partout dans la pièce. Nazar alla jusqu'à un moniteur, entra un mot de passe et plusieurs commandes, puis, après quelques secondes, débrancha les câbles.

Von Glats vit alors les yeux bouger derrière les paupières de la princesse endormie. Le corps oscilla légèrement et son bras gauche se plia.

Ce genre d'androïde était entièrement électrique. La contraction et la détente des muscles étaient obtenus par l'action d'une tension sur des matériaux qui y réagissaient. L'autonomie dépendait donc totalement de la batterie. Von Glats pouvait distinguer celle qui était solidement insérée au niveau du ventre, à moitié enfouie sous la cage thoracique renforcée en carbone. Elle devait peser au moins quatre kilogrammes à elle seule.

Le professeur remarqua alors que les yeux s'étaient ouverts.

Les globes oculaires allèrent de droite, à gauche. Les bras commencèrent à faire des mouvements raisonnés. L'un se plia jusqu'au niveau de la tête, dans le champ de vision des yeux, et la main commença à tourner. Les doigts se plièrent les uns après les autres. Ce fut de même avec la deuxième main.

Les muscles abdominaux de l'androïde, eux aussi visibles sous et par-dessus la batterie qu'ils enserraient, se contractèrent à leur tour, et elle commença à se lever. Ses mains attrapèrent le rebord de la table. Son visage n'avait encore aucune expression, et elle ignorait totalement la présence des deux hommes dans la pièce.

L'androïde changea sa main de côté, pour pouvoir s'asseoir sur le bord, et se tourner vers la droite. Son mouvement manquait d'assurance.

Elle se retrouva face au miroir.

« Tiens, qui est-ce ? dit-elle en ouvrant la bouche, mais de manière décorrélée de ses paroles.

Puis la tête dodelina de droite à gauche, l'androïde approcha sa main droite de son visage, la retira, fit quelques grimaces.

— Pas mal, dit-elle en accordant cette fois le mouvement des lèvres synthétiques avec ce qu'elle disait.

Après quelques essais, elle avait trouvé le moyen de sourire, et tourna la tête vers eux.

— Vous êtes le professeur Von Glats.

Ses yeux étaient comme ceux de Nazar.

— Oui.

— J'ai beaucoup apprécié vos travaux.

Elle semblait estimer la proximité du sol, se balançant légèrement. Puis elle se lança d'un coup, posa ses pieds par terre, lâcha la table, et tomba vers l'avant.

Nazar fit un pas vers elle, mais elle s'était rattrapée avec un de ses bras.

— Ce n'est rien, dit-elle, j'étais sûre que je n'aurais pas pu tenir compte de tous les paramètres.

— Vous êtes reliée au réseau ? demanda Von Glats.

— Ce corps n'est pas encore relié au réseau et n'est pas commandé par un agent extérieur, uniquement par des processus internes.

— Une CA. Une conscience artificielle, je suppose.

— Je suppose. »

Elle ne s'était pas encore levée, mais le tenta alors. Son corps se mit debout de façon presque fluide ; et les contractions et détentes des muscles visibles, le jeu des articulations de plastique, le déroulement de la colonne vertébrale avaient quelque chose de fascinant – ou d'inquiétant.

Elle tourna la tête de manière un peu plus lente et mesurée, de nouveau vers le grand miroir, dans lequel elle pouvait se voir en entier.

« Avez-vous peur de moi, professeur ? demanda-t-elle comme si elle venait de le deviner.

— J'ai moins peur de vous que de la plupart des hommes, répondit-il, ce qui était assez vrai.

— Pourtant, les autres hommes vous ressemblent et vous pouvez les comprendre plus facilement.

— Justement, je sais à quoi m'en tenir.

Elle fit un sourire en coin. Dans sa station debout, elle était parfaitement immobile, en équilibre.

— Quel est votre nom ? tenta Von Glats en faisant quelques pas derrière elle.

— Ce n'est pas important. Cela vient après la conscience. Mon nom à moi, c'est « moi ». Pour le laboratoire, depuis six ans, je suis F010. C'est moi qui ai choisi ce corps. Un choix raisonné, j'ai dû penser qu'il collait mieux à mon moi social.

Elle semblait avoir trouvé la formulation parfaite et dit avec un sourire :

— Je suis une machine de Kirdan. C'est comme ça qu'ils nous nommeront dans vingt, trente ans. N'est-ce pas, Nazar Kirdan ? »

L'informaticien était resté silencieux. Si un grand accomplissement pour la Science venait d'avoir lieu, il ne semblait pas suffisant pour transpercer le masque sur son visage, faire apparaître des émotions. Entre l'androïde et lui, c'était lui qui semblait le moins humain.

En vérité, ce n'était pas une machine de Kirdan. C'était Talya Matyev, revenue du royaume des ombres.

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