Romuald nous fit un second sourire et déclara d'un ton enjoué qui m'irrita au plus haut point :
- Et si Romuald et vous tous aller ?
On se dévisagea surpris par sa bonne humeur et son mauvais, très mauvais latin. Kaïa le détailla avec curiosité, ce qui m'irrita plus encore. Nous commençâmes à le suivre hors de la pièce, car je suppose que c'est ce qu'il voulait dire. Dans les couloirs, il avançait d'une démarche bondissante et saluait gaiement tous les sans-visages.
- Tu n'es pas triste d'être retenu ici ? interrogea Kaïa pleine de sollicitude envers le géant.
- Romuald pas être retenir ici ! Romuald élever ici par Voroi. Parents à Romuald mourir pour Voroi, eux grands sans-visages ! Ici maison à Romuald.
Sa fierté en disant que ses parents étaient des grands sans-visages me le rendit tout de suite antipathique. Sa manière de parler n'arrangeait rien. Et pire que tout, il y avait sa bonne humeur qu'on sentait derrière chacun de ses mots. Dès qu'il ouvrait la bouche, je m'imaginais avec une épée, longue comme une corne de licorne, la plantant encore et encore dans sa poitrine, ou dans sa gorge.
- Tu peux sortir d'ici ? interrogea Nicolas.
- Romuald pouvoir aller chez démons. Romuald avoir le droit de se promener sur montagne, mais devoir éviter. Être dangereux aller trop loin.
- Tu veux dire que tu ne peux quitter la tour que pour aller chez les démons ? s'offusqua notre belle amie.
- Exactement.
- Tu n'as jamais vu les cités ! s'emporta la vampire.
- Non. Mais Le Consort dire cités belles. Cités manquer beaucoup à Le Consort.
Avant que je puisse en demander plus sur ce fameux consort, ou le corriger, au moins son « à Le » qui me faisait saigner les oreilles, Kaïa conclut :
- Donc tu es prisonnier au fond !
- Non ! Romuald être à la maison.
- Mais ta maison est une prison ! Quand je suis chez moi, mes parents me laissent sortir où je veux, avec qui je veux, tant que je rentre à certains moments. Et c'est pareil pour tout le monde dans les cités et même dans le monde extérieur.
Il se tourna vers elle, surprit, et lui demanda plus de détails sur ses sorties, qu'elle expliqua avec ravissement. On aurait dit un enfant à qui il fallait expliquer le monde. Et elle, elle semblait aux anges qu'il l'écoute attentivement. Il affirma avoir envie de voir les cités. La fille dont j'étais amoureux posa sa main sur le bras de notre guide en le fixant avec tristesse. Il se recula gêné, mais elle se montra compréhensive.
Je donnai un coup de pied dans le sol. Ce qui eut pour seul effet de me faire mal.
- Tu ne devais pas nous amener quelque part ? intervint mon meilleur ami.
Je lui souris avec reconnaissance. Il nous indiqua d'abord les chambres de Kaïa et Nicolas. Puis il nous amena à une autre suite.
- Tu nous amènes où exactement ? demanda mon meilleur ami.
- Chez une gentille dame.
Je pensai à ma mère. Il nous amenait à elle. Mon cœur battait à toute vitesse. J'allais la voir, enfin. Pour un peu, je me serais mis à sautiller avec lui. Il entra dans une suite décorée avec un certain raffinement, par des meubles du monde extérieur. Après l'entrée, se trouvait le salon, caché par un paravent, derrière lequel je pouvais apercevoir une ombre qui lisait.
- Visite pour la Dame ! annonça Romuald.
Une tête rousse, qu'on connaissait bien, se pencha derrière le paravent. Elle nous sourit, surprise. Mon cœur fit un bond. Ma petite sœur était là.
Camille courut vers nous. Elle bondit dans les bras de Nicolas, qui affichait un air de ravissement, qui s'évanouit aussitôt qu'il me regarda. Ma sœur me serra brièvement, son parfum envahit mes narines et mon cœur. J'en eus une joie immense. Elle passa ensuite dans les bras de la vampire.
- Comme je suis contente de vous voir ! C'est fou ce que vous m'avez manqué ! s'exclama-t-elle.
- Ça a l'air d'aller toi ? remarqua Kaïa.
- Ça va. Je viens de retrouver mes amis figure-toi. Mais vous, qu'est-ce que vous faites ici ?
- On est venus te sauver, déclarais-je.
- C'est réussi ! commenta-t-elle ironiquement. Si on s'asseyait ?
On s'installa dans le salon. Romuald nous suivit avec un sourire stupide. Kaïa commença à faire de la place pour lui, seulement Camille lui indiquait déjà la place à côté d'elle.
- Tu ne le fais pas sortir ? dis-je sans me préoccuper qu'il soit juste là et entende tout.
- Je n'en ai pas le cœur. Romuald est si seul ici ! Il a été mon unique ami pendant tout le temps où j'étais là. C'est quelqu'un de très gentil et très amusant en plus.
Il sourit à ma sœur avec une bonne humeur qui m'exaspérait.
- Camille amie à Romuald aussi.
Je me mis à raconter à Camille comment je l'avais retrouvé. En arrivant à la lettre, je commençai à me demander comment annoncer cela à ma sœur.
- La lettre disait que notre père est ...
- Le Grand Roi Émile je suppose, me coupa-t-elle avec amertume.
- Tu savais ?
- Jamais je ne t'aurais caché un truc comme ça ! C'est maman qui me l'a dit.
- Tu as vu maman ?
- Toi aussi tu la verras, si tu te décides à me finir cette histoire.
J'évoquai mon acharnement à la retrouver, qui lui provoquèrent un petit sourire timide, en évoquant la détermination de Nicolas, elle lui sourit avec reconnaissance. Et quand je lui racontai comment Kaïa avait retrouvé ses papiers, elles échangèrent un clin d'œil. Romuald demandait plein de détails, que Kaïa s'empressait de lui donner. Certains le fascinaient, d'autres le faisaient rire. Je restais assez évasif concernant la pierre, la présence de Romuald ne m'inspirait pas confiance et puis, j'étais incapable de la montrer à ma sœur. Elle avait autant de droit que moi sur elle, or je ne voulais aucunement m'en séparer.
Camille évoqua joyeusement sa vie ici. Elle avait passé beaucoup de temps avec notre mère, un peu avec Romuald, avait pu lire beaucoup. On lui apportait tout ce qu'elle demandait, du moment que ce n'était pas trop excessif. Voroï espérait ainsi s'en faire une alliée sans doute. Elle avait eu le droit à une séance de tests à son arrivée, mais avait refusé de les exécuter. Comme elle avait fini à l'infirmerie assez blessée, Voroï avait laissé tomber.
- Vous y aurez droit, vous aussi.
- Et tu as déjà rencontré Voroï en vrai, ou à chaque fois t'as eu sa marionnette ? interrogea la vampire.
- Jamais je ne l'ai vu lui. J'ai vu Joseph le Terrible et Le Consort à mon arrivée. Puis Joseph quand j'étais à l'infirmerie, parfois une femme, Evinya. Sinon, je n'ai vu personne. Maman et Romuald transmettent mes désirs à Joseph, ou Voroï lui-même, puisque eux le voient régulièrement. Mais avec la plupart des autres, il est prudent et refuse de se mettre en danger.
- Voroi prudent car Voroi avoir beaucoup d'ennemis.
- Ou alors Kamélia est trop occupée et trop surveillée pour faire cela elle-même, déclarais-je.
Un silence accueillit mes paroles. Camille me regarda incrédule.
- Tu ne penses quand même pas que c'est Kamélia ?
- Si. J'en suis certain.
- Voroï reste ici trop souvent. Kamélia ne peut pas s'absenter trop longtemps sans qu'on ne le remarque. De plus, le jour de ma disparition, il était là. Je ne l'ai pas vu, mais maman si. Est-ce que Kamélia s'est absentée alors qu'on venait de me voir disparaître ?
On dut avouer que non. Mais j'étais toujours persuadé que c'était elle.
- Que s'est-il passé le jour de ta disparition ? interrogea Kaïa. On t'a suivie un moment.
Le regard vert de ma cadette se perdit loin, dans la brume de ses souvenirs sûrement.
- Je dormais tranquillement et je me suis réveillée avec une envie puissante d'aller dans la forêt. Je n'étais plus maître de moi. Il fallait que j'y aille, que j'avance. Je voulais appeler à l'aide, mais je ne pouvais qu'obéir à ce sort. J'espérais que les professeurs qui faisaient leurs rondes me rattraperaient, mais je suis étrangement passée devant eux sans qu'ils me voient. Un sort sans doute. Bref, ce... Besoin m'a guidé jusqu'à Joseph. Il nous a ensuite transportés ici. Le Consort m'a accueillie, et amenée à maman pendant que Voroï lui-même s'est occupé du message qu'il t'a destiné.
Un silence s'installa un moment. Kaïa se leva et proposa à mon meilleur ami :
- On devrait aller dans nos chambres.
Il accepta d'un hochement de tête, après avoir regardé ma sœur.
- Et toi Romuald, tu n'as pas quelqu'un à appeler ? rappela la vampire.
Il se leva à son tour.
- Euh, on peut se promener dans le bâtiment ? interrogea Nicolas.
- Pourquoi tu veux venir me rejoindre ? affirma ma sœur avec un sourire qui démentait qu'elle plaisantait.
Romuald le tira de son embarras en répondant.
- La nuit interdiction. Mais quand être le jour pouvoir aller où vouloir à la tour. Sauf certaines pièces bloquer.
- D'accord, alors on se rejoint dans la chambre de Théophile ! ordonna Kaïa.
Et ils partirent, Kaïa discutant gaiement avec le fils de sans-visages. Une fois seul avec ma sœur, je me tournai vers elle. Celle-ci regardait le sol.
- Tu m'en veux encore ? demandais-je.
Je savais ma sœur rancunière, mais pas à ce point. Pourtant, elle m'avait à peine regardé et ne s'était vraiment adressé à moi que quand j'avais émis mon hypothèse sur Kamélia.
- T'en vouloir ?
- Quand tu es partie, toi et moi on se parlait plus vraiment....
- Tu crois que depuis tout ce temps, je pourrais encore t'en vouloir ? Je ne me souviens même plus pour quelle raison je ne te parlais plus. Tu l'avais sans doute bien mérité, mais j'avais d'autres sujets de préoccupation figure-toi ! Tu crois que j'étais heureuse enfermée ici ? Que je ne pensais pas à partir ? Et vu tout ce que tu as fait pour moi, ce serait injuste de t'en vouloir pour une broutille.
Je la coupai avant qu'elle continue sa tirade :
- C'est que tu es assez distante avec moi par rapport aux autres.
- On n'a jamais vraiment été très démonstratifs l'un envers l'autre, m'expliqua-t-elle avec un petit sourire.
Je me tus. Elle avait raison évidemment. Mais on avait été séparé si longtemps qu'on pouvait penser que ce serait différent.
- Et puis, vu les circonstances je ne vais pas exploser de joie.
- Tu veux que je donne la pierre ?
- Non ! De toute façon, cela ne changerait pas grand-chose.
Elle croisa les bras et se les frottas. Un geste qui lui était familier, quand elle était inquiète. J'aimais retrouver ses habitudes. Pendant des années cela n'avait été que des détails anodins mais aujourd'hui j'étais si content de les voir.
- Comment Xavier a géré la chose ?
Je la regardais, surpris qu'elle s'en souciât.
- J'ai pu réfléchir ici. Il a fait ce qu'il a pu. Il n'est pas parfait. Mais nos parents ne l'ont pas été non plus. D'ailleurs tu veux sans doute voir maman ?
Je hochais la tête, mais je me sentais fébrile.
Elle me sourit avec compréhension. Quelques mois plus tôt, elle aussi, elle avait dû ressentir cette appréhension mêlée d'excitation. Cette peur que notre mère ne soit plus la même qu'avant sa capture. Ou alors, qu'on ne soit pas les enfants dont elle rêvait.
Et voilà Camille est de retour et jeudi on découvrira leur mère. N'hésitez pas à me donner vos impressions, critiques, conseils sur ce mi-chapitre.