21 heures 05
West Yellowston, Montana
Je séchai mes cheveux avec une serviette.
Après l'échange avec Irina j'en avais profiter pour nettoyer ma peau des résidus des derniers jours.
En sortant de la douche, je me dirigeai vers l'armoire située en face de mon lit.
En l'ouvrant, je fus surprise de découvrir des vêtements pour femme, tous à ma taille, du tee-shirt au soutien-gorge.
Je saisis rapidement un pull et un jogging que j'enfilai. Les vêtements semblaient neufs, d'une qualité étonnante.
La réalisation que chaque détail de ma vie ici était soigneusement orchestré m'emplissait d'une inquiétude grandissante.
Le pull était doux contre ma peau, mais le confort qu'il procurait ne parvenait pas à apaiser le tumulte de questions qui tourbillonnaient dans ma tête. Alors que je m'observais dans le miroir, les traits de mon visage semblaient refléter une étrange mélange de confusion et de détermination.
Trois coups retentirent à la porte, puis elle s'ouvrit, révélant Yuri.
Il m'adressa un sourire étrange, pénétra dans la pièce sans attendre d'invitation, inspecta chaque recoin, puis m'examina de la tête aux pieds avant de déclarer
- Je vois que tu t'es bien installée. Te voir propre fait plaisir.
Je l'examinai à mon tour. Ses cheveux blond platine étaient plaqués sur le côté, il était vêtu d'un pull noir simple et d'un pantalon cargo gris. Je ne répondis pas à sa remarque.
Une atmosphère tendue flottait dans la pièce, chacun de nous mesurant l'autre du regard, comme des prédateurs évaluant leur proie.
Je ne répondis pas à sa remarque.
J'étais tendue, commençant à ressentir le manque de drogue. Les effets s'accumulaient, et je me mettais à suer toutes les 5 minutes. Il fallait que je trouve quelque chose à fumer.
- Heu... J'ai une demande à te faire, balbutiai-je, hésitante.
Un sourire se dessina sur son visage, et il pencha la tête sur le côté en attendant ma demande.
- J'ai besoin de fumer et je ne parle pas de cigarette s'il te plaît, j'en ai vraiment besoin, lançai-je, ma voix trahissant une certaine vulnérabilité.
Un ricanement s'échappa des lèvres de Yuri.
- Ça peut se négocier en échange de quelques services. Peut-être que tu pourrais me payer en nature.
N'ayant pas bien compris, je m'avançai vers lui et lui demandai ce qu'il entendait par "payer en nature."
- Tu me demandes de coucher avec toi en échange de drogue ?
- C'est bien ça, tu acceptes ? répondit-il d'un air franche
Est-ce que j'acceptais ? J'étais désespérée, mais pas au point de donner mon corps. Cependant, paumée au plein milieu de la forêt, peut-être que me donner à lui créerait un lien et qu'il m'aiderait à m'échapper, ou du moins, je l'amadouerais.
Alors que je m'apprêtais à répondre, une nouvelle voix me devança, interrompant cette transaction sombre.
- Bébé, t'en as pas marre de te foutre de sa gueule, laisse-la tranquille, lança Irina en s'approchant de Yuri pour lui déposer un baiser sur la joue.
Les deux en couple ? ils n'avaient rien à voir lui était complètement fou et elle totalement froide
Yuri lâcha un long soupir et secoua la tête.
- Entre toi et Clive, on ne peut même pas s'amuser. Ce n'est pas parce que vous êtes toujours aigris que je dois l'être aussi.
Il quitta la chambre d'un pas agacé.
Irina me fit signe de la tête pour que je la suive en dehors de la chambre.
Irina rejoignit Yuri, et je les suivis de près. Observant chaque recoin, je me concentrais sur mémoriser chaque pièce que nous traversions.
Chaque pas était calculé, chaque détail enregistré. Les pensées tourbillonnaient dans ma tête, cherchant à comprendre les motivations de chacun.
De temps en temps, je jettais un coup d'œil au couple. Ils se tenaient la main, s'arrêtèrent devant une porte. Yuri tourna la tête vers moi, comme s'il allait dire quelque chose, mais il se retint.
La porte s'ouvrit, et ils entrèrent dans la pièce, suivis d'Irina. Des éclats de voix me parvinrent.
Je m'approchai et découvris une salle à manger avec une cuisine ouverte. Les tons marron dominaient, et à côté de la cuisine se trouvait une table à manger entourée d'une dizaine de chaises. Quatre personnes étaient assises autour de la table.
Clive était assis à l'extrémité de la table, engagé dans une conversation animée. Il était vêtu d'un tee-shirt noir qui collait parfaitement à son corps, révélant ses muscles. Les manches courtes du tee-shirt laissaient apparaître des dizaines de tatouages.
Mon regard s'accrocha à ces marques sur la peau de Clive, tentant de déchiffrer les histoires qu'elles racontaient. Chaque tatouage semblait avoir une signification, un fragment de son passé gravé sur sa chair. Cependant, aucune réponse n'apparaissait sur son visage impassible.
Lorsqu'il remarqua ma présence, il tourna son regard vers moi et tira la chaise à côté de lui, me faisant signe de m'asseoir.
Une sensation de stress s'empara de moi à sa présence, créant un malaise palpable.
Yuri et Irina prirent place à l'autre bout de la table, côte à côte. Je m'avançai et tirai la chaise à côté de Clive, sentant son regard peser sur moi
Je levai les yeux pour observer la personne assise en face de moi et fus surpris de découvrir un visage assez jeune, celui d'un adolescent. Il remarqua mon regard et m'adressa un sourire timide avant d'ouvrir la bouche pour prendre la parole.
- Enchanté, je m'appelle Isaac. À ta droite, tu peux trouver Mya, ma sœur, et Aace. Puis, il y a Yuri et Irina, que tu connais déjà, il me semble. Énonça Isaac les présentations avec une politesse décontractée, son sourire s'étirant légèrement.
Mes yeux se tournèrent vers Mya, une jeune femme d'une vingtaine d'années avec un carré noir et des yeux d'un bleu perçant. Elle me salua d'un signe de la main.
En ce qui concerne le dénommé Aace, son visage ne laissait rien présager de bon. Ses cheveux étaient coupés courts, une barbe naissante accentuant son apparence peu engageante. Se rendant compte que je l'observais, il leva ses yeux vers moi, rouge, ses pupilles grises dilatées, Il semblait agité, tapant doucement sur la table.
Il se drogue.
Un sourire se dessina sur mon visage.
Il allait m'aider, c'était certain. Lui et moi semblions être dans la même situation délicate.
La voix imposante de Clive trancha net mes pensées.
- Maura... Face à toi se tiennent les personnes les plus influentes de cette demeure. Isaac est responsable de la cybersécurité, Irina de la sécurité générale. Yuri sera ton partenaire désormais, il était l'associé de Roy, et à partir de maintenant, il sera le tien.
Sa dernière phrase me gifla intérieurement, me rappelant avec brutalité que j'étais prisonnière de cette résidence, et que Clive détenait les rênes de ma vie.
- Quant à Aace, c'est mon bras droit. Il m'aide à gérer "la commission", déclara Clive.
Son bras droit ? Judy m'avait dit qu'Earl était son bras droit.
- Ce n'est pas Earl ton bras droit, Judy m'avait dit ça,répliquai-je.
Je vis plusieurs visages se crispèrent à l'entente du prénom de Judy, comme si elle était connue au sein de cette demeure.
- Ta salope de copine ne sait rien, lança Aace, rompant enfin son silence.
Je me tournai vers lui, surprise par sa soudaine prise de parole.
Quelque chose me chiffonnait autour de cette table ; personne ne semblait être inquiet de la disparition de Roy. Ils affirmaient qu'il travaillait avec eux, mais tout le monde s'en fichait.
Je me tournai vers Clive.
- Pourquoi personne ne semble inquiet de la disparition de Roy ? demandai-je, le fixant droit dans les yeux.
Ce dernier ne répondit pas tout de suite, observant chaque recoin de mon visage. Son regard descendit vers mes lèvres, puis remonta vers mes yeux. Un silence pesant s'installa
La tension dans la pièce était devenue palpable. Tout le monde gardait le silence, comme si ma question avait jeté un froid sur l'atmosphère.
Clive brisa le silence.
- La disparition de Roy est volontaire, déclara-t-il.
Mes sourcils se froncèrent brusquement.
Je ne comprenais pas pourquoi Roy aurait choisi de disparaître.
- Qu'est-ce que vous en savez ? questionnai-je Clive, le regardant droit dans les yeux.
- Et que connais-tu de la commission ? m'interrogea Irina à mon tour.
Je ne connaissais rien de "la commission". Je savais seulement que c'était une organisation criminelle.
Clive se racla la gorge, captivant toute mon attention.
- « La commission » est composée de 5 familles. Je dirige l'une d'entre elles, les Wilkerson. Chaque famille s'occupe d'un territoire et des groupes criminels locaux. Les 4 autres familles sont les Di Carlo, les De Angelis, les Marconi, et pour finir, la famille Maestriani."
Comme Roy Maestriani
Mon visage se décomposa.
Tout ce que je connaissais de Roy s'effondrait petit à petit. Je pensais le connaître depuis mes 14 ans, mais finalement, il menait une double vie. Je ne connaissais rien de lui, il n'avait fait que me mentir.
La pièce semblait rétrécir autour de moi alors que je digérais cette révélation choquante. Les fondations de ma confiance s'effondraient, laissant place à un abîme de doutes et de trahisons. Mon monde s'effondrait, laissant une obscurité nouvelle et inconnue.
Roy, mon meilleur ami, faisait partie intégrante de cette organisation criminelle.
Les mots de Clive résonnaient dans ma tête, créant un écho sinistre. La vie que je pensais connaître s'était transformée en un tableau complexe de mensonges et de mystères. Mes émotions oscillaient entre la colère et le chagrin, confrontée à la réalité brutale que Roy était bien plus qu'un simple ami.
Le regard vide, je me demandais comment j'avais pu être aussi aveugle. Roy avait partagé sa vie avec moi, mais tout ce que j'avais vu n'était qu'une façade. Maintenant, chaque souvenir était teinté d'une tristesse amère, et l'avenir s'étendait devant moi comme un abîme insondable.
- C'est impossible, murmurais-je à voix basse, reculant ma chaise pour m'apprêter à quitter la table.
Tout cela ressemblait à un cauchemar, comme si j'étais en plein rêve éveillé et que le réveil était imminent.
- Roy est l'héritier de la famille Maestriani, sauf qu'il n'a plus de lien avec elle depuis son adolescence. Comme tu le sais déjà, Roy et moi avons des liens de sang, c'est pour ça que je l'ai recueilli chez moi. Mais il savait qu'une fois son patriarche décédé, il devrait reprendre les rênes de sa famille. Sauf que ce petit fils de pute a décidé de disparaître dans la nature", expliqua Clive.
Aace, assis à ma gauche, posa sa main sur la mienne et lança d'une voix dénuée d'émotion,
- Mais il va réapparaître parce que nous t'avons toi, et il semble tenir à toi. Donc, il réapparaîtra.
Une tension palpable emplissait la pièce, et mes pensées tournaient en boucle, essayant de comprendre le piège dans lequel je me trouvais.
- Bon, fini les révélations, maintenant on passe à table ! ,lança la voix enjouée de Yuri pour annoncer le repas.
Des serveurs apportèrent les différents plats, mais je restais déconnectée tout au long du repas. J'avais l'impression d'être ailleurs, essayant de digérer les différentes informations. Je n'avais pas d'appétit, et de temps à autre, j'essayais de suivre les sujets de conversation autour de la table.
Yuri passait son temps à faire des blagues morbides, Irina ne faisait que le reprendre sur son comportement.
Aace se contentait de partager de temps à autres des informations avec Clive sur l'avancée de certaines marchandises. Quant à Isaac et Mya, les deux semblaient réservés. Ils n'avaient pas l'air d'être à l'aise autour de cette table.
Mon regard errait parmi les visages autour de la table, chaque expression dissimulant des secrets obscurs
Les discussions tournaient autour de l'univers criminel qui semblait régir la vie de chacun ici. Les détails sur les différentes activités de chaque famille et les transactions illicites occupaient l'espace sonore, mais pour moi, c'était comme si j'étais dans un autre monde. Les mots glissaient sur moi sans vraiment être assimilés.
Une pression sur mon bras me sortit de mes sombres pensées.
- Je te raccompagne dans ta chambre,me signala Aace en tenant fermement mon bras.
Je réalisai alors que nous n'étions plus que quatre dans la pièce. Isaac, Mya, et Clive avaient quitté la pièce sans que je m'en rende compte.
Yuri et Irina étaient toujours positionnés en bout de table, mais le couple était trop occupé à s'embrasser pour remarquer que je m'éclipsais.
Les pas résonnaient dans les couloirs silencieux alors qu'Aace me conduisait vers ma chambre. Le poids des révélations pesait sur mes épaules, et la maison elle-même semblait retenir son souffle dans l'ombre.
Arrivés devant ma porte, Aace me libéra d'un simple geste.
Prise d'un élan d'adrénaline, je saisis son bras et lui dis d'un air désespéré
-Je sais que tu te drogues. Je... j'ai besoin de quelque chose.
Il me scruta avec une expression indéchiffrable, un éclair d'émotion passa dans les yeux de Aace avant qu'il ne balayât ma main d'un geste et reculât.
- Tu ne sais pas de quoi tu parles, répliqua-t-il d'une voix grave.
-Je t'ai observé à table, tu es comme moi. Je t'en supplie, aide-moi. J'ai besoin de quelque chose pour m'évader, même si ce n'est qu'une illusion.
Un silence pesant flotta entre nous avant qu'il ne réponde d'une voix qui semblait porter le poids des abysses.
- Je ne me drogue pas pour les mêmes raisons que toi. Ce n'est pas une évasion, c'est un rappel constant de mes fautes, de mes péchés.
Il détourna le regard, comme si les souvenirs douloureux étaient inscrits dans chaque recoin de sa conscience.
- La drogue, c'est ma pénitence. C'est la seule façon de me rappeler ce que je suis et ce que j'ai fait. C'est un fardeau que je porte volontairement.
Il se retourna et s'engouffra d'un pas pressé dans le couloir, comme s'il voulait me fuir. Il me laissa seule avec mes pensées et mon manque insatisfait.
J'entrai dans ma chambre, sachant que cette nuit serait compliquée. Les ombres dansaient sur les murs, reflétant le tumulte intérieur qui tourbillonnait en moi. Les événements de la soirée avaient créé des fissures dans la réalité que je pensais connaître, et je me retrouvais à la lisière d'un monde sombre et inexploré.
La nuit avançait lentement, mais chaque minute était empreinte d'une tension palpable. Mes pensées tournoyaient, cherchant des réponses dans l'obscurité. Les choix difficiles s'étalaient devant moi comme des voies tortueuses, et je savais que le chemin que je choisirais laisserait des cicatrices indélébiles sur mon âme.