"Tu es entrée, par hasard, dans une vie dont je n'étais pas fier, et de ce jour-là quelque chose a commencé à changer. J'ai mieux respiré, j'ai détesté moins de choses, j'ai admiré librement ce qui méritait de l'être."
Albert Camus
L'avion s'ébranla. Je dus me retenir in extremis au bras de Seth pour ne pas tomber.
-Nous arrivons, dit Sam d'une voix lugubre.
Je leur jetai un œil paniqué.
-Nous arrivons ? Où ça ? Vous ne m'avez pas dit où nous étions censés aller.
-Lévana... commença la voix de Seth.
Il ne put finir sa phrase, ou se reprendre sur mon prénom, un vrombissement assourdissant envahit l'habitacle. Sans plus attendre, nous nous attachâmes. Un seul regard vers Seth m'apprit tout ce que je voulais savoir, nous étions en train d'atterrir.
Je serrai Hélios contre moi. Je m'attendais à ce qu'il pleure, mais non, il me regardait tranquillement, ses grands yeux argentés fixés sur moi avec une totale confiance. J'étais le seul rempart entre lui et la mort, je devais devenir un roc inébranlable, sinon jamais il ne pourra vivre et grandir comme un petit garçon normal. Par les Créateurs, après l'avoir fait naitre dans un tel monde, je lui devais au moins ça.
Je m'inquiétais pour Anna, qui depuis que je lui avais annoncé la vérité sur ses origines, était introuvable. Elle m'avait simplement regardé fixement dans les yeux, avait hoché la tête, puis s'était levée et avait rejoint le pilote sans un mot, s'isolant volontairement de nous tous. J'avais voulu la rejoindre, mais Ilyana m'avait conseillé de lui laisser du temps. Anna avait à affronter plusieurs vérités : celles de ses origines, et celle de la mort récente sa mère, qu'elle affectionnait déjà avant de savoir que le même sang coulait dans leur veine.
En un sens, nos histoires étaient similaires, j'avais moi-même aimé une femme, à un tel point que j'aurais aimé qu'elle soit ma mère, puis je l'avais perdu, pour apprendre qu'elle était ma génitrice. Qu'elle m'avait menti. Elle, en qui j'avais tant confiance. La seule différence, mais non moins majeure, entre Anna et moi, était que ma mère était toujours en vie. Pour l'instant, du moins.
Je fermai les yeux, essayant de contenir mon angoisse.
Les Émeraudes étaient en guerre, et selon Galaad, entrain de tout perdre. Ma mère était là-bas. Je refusais qu'elle meure avant de la revoir en sachant la vérité, cette fois. Je voulais pouvoir la regarder dans les yeux et me dire, lui dire, qu'elle était ma mère. Que j'avais une mère, qu'elle m'avait aimé. Ce dont je n'avais jamais eu le droit avec Magdalena. Quelle joie immense, qu'elle soulagement de savoir que cette femme détestable n'avait en vérité aucun lien avec moi, que je pouvais la savoir morte sans sentir ce petit sentiment de culpabilité, savoir que ma mère venait de mourir et que j'avais le droit de ne rien ressentir.
Magdalena Eléazar n'était pas ma mère. Je n'avais pas à l'aimer.
Quant à Azel...
Je l'avais aimé. Je l'aimais. Pas comme on aimait un père, pas vraiment, plutôt comme on aimait un fantôme, un spectre de ce qui a été. De ce qui aurait pu être. J'avais toujours senti son amour pour moi, malgré son cruel manque d'empathie et d'humanité.
Apprendre qu'il était en vérité mon frère me laissait un gout amer dans la bouche. Soulagement parce que, comme pour Magdalena, j'étais heureuse de ne pas être leur engeance, de ne pas avoir de parents aussi tyranniques. Mais d'un côté, cela me rendait presque mélancolique. Peut-être était-ce parce que je m'étais faite à l'idée de ne jamais connaître l'amour maternel, mais que je savais que j'aurais toujours un géniteur qui m'aimait, et maintenant, je me retrouvais pour toujours sans père...
J'échangeais un frère complètement ravagé pour un autre doublement plus dangereux... je ne savais pas ce qui était le pire, finalement.
L'avion se stabilisa soudain dans un brut mat.
Je poussai un soupir de soulagement. La tête me tournait.
Visiblement, ni le bateau ni l'avion ne me convenaient... Étonnant pour une fille née à des milliers de kilomètres au-dessus du sol.
-Allez-vous maintenant me dire où nous sommes ? m'énervai-je.
-Là où tu dois être, me souffla Seth.
Je me tournai vivement vers lui, venant de comprendre ce qu'il insinuait.
Mon visage du perdre toute couleur, car il me prit la main.
-Non, chuchotai-je. Tu te moques de moi... C'est impossible.
-Galaad a jugé que c'était le seul endroit où tu serais en sécurité, et je dois avouer que je suis d'accord avec lui.
-Mais nous ne les connaissons pas...
-Pour ma part, fit soudain Samael en se relevant d'un bond comme si nous ne venions pas d'être ballotés en tous sens, peu m'importe où nous allons, tout sera mieux que la tour.
-Je l'espère, murmura Ilyana.
-Où est Anna ? demandai-je.
Ce fut à ce moment-là qu'Anna ouvrit la porte en trombe, les yeux agrandis par l'effroi, le teint encore plus pâle qu'à l'accoutumée.
-Mort, lâcha-t-elle dans un souffle. Il est mort. Le pilote s'est suicidé à peine nous avons atterri.
-Comment est-il mort ? demandai-je, stupéfaite.
-Poison, balbutia-t-elle.
Ilyana et Sam réagirent vivement, mais je n'entendais pas le reste de leur conversation. Prise d'un pressentiment, je me tournais vers la seule personne qui n'avait rien dit.
Seth tourna ses yeux verts vers moi. Il ne semblait ni surpris ni attristé. Sur ces traits ne transparaissait qu'une calme détermination.
-Tu savais, lui dis-je à voix basse.
-Oui.
-Tu as laissé faire ça, insistai-je.
-Galaad et moi avions convenu que c'était la meilleure solution, expliqua-t-il d'un ton froid. Si le soldat revenait dans la Tour, il serait automatiquement interrogé. Il aurait risqué de tout révéler.
-Donc sa vie vaut moins que la nôtre ?
Ses mâchoires se serrèrent.
-Ce n'est pas ce que j'ai dit.
-Pourtant, mon frère et toi avez décidé qu'il devait mourir pour que nous puissions nous échapper.
-Galaad n'est pas ton frère. Et oui, tout comme tu as accepté que les derniers Souffleurs de Rêves meurent pour que tu puisses t'enfuir.
-Ce n'est pas pareil ! m'exclamai-je, outrée.
Il haussa un sourcil surpris.
-Ah bon ?
Agacée, je me détournais.
Au fond de moi, je savais qu'il avait raison, et je refusais de devoir regarder en face l'énormité de mes crimes.
Plus tard... pour l'instant, la priorité restait de mettre Hélios à l'abri.
Des bruits nous parvinrent de l'extérieur, nous tirant tous de notre torpeur. En quelques secondes, nous furent debout, armes aux poings. Une petite dague et un revolver pour moi, une épée pour Seth et deux revolvers pour Ilyana et Samael, ils allaient vraiment falloir leur apprendre à se battre comme ceux d'En Bas.
-Je vais y aller, annonça soudain Seth.
-Toi ? Mais pourquoi ? commençai-je avant de stopper net.
J'avais été tellement obnubilée par ce que Galaad m'avait annoncé que je n'avais même pas pris le temps d'observer Seth plus en détail. Si ses traits restaient tirés par la fatigue et le manque d'alimentation, ses cheveux avaient cependant été taillés, quant à ces vêtements, ils ne laissaient aucun doute quant à son statut. Même si les vêtements de la Tour ne ressemblaient en rien à Ceux d'En Bas, Galaad avait tout de même réussi à rendre à Seth son apparence de Roi Émeraude. Il portait une fine chemise beige et un pantalon richement orné de couleur kaki, sur ses épaules étaient jetés un élégant manteau de cérémonie d'un vert éclatant. Il ne lui manquait plus que la couronne.
Ilyana me prit Hélios des bras tandis que Seth me prit la main.
Samael se chargea d'appuyer sur le bouton pour ouvrir la porte de l'avion.
Le soleil nous éblouisse d'abord, mais j'étais si curieuse de découvrir d'où je venais que je tentais d'apercevoir la moindre parcelle de ce nouveau monde.
L'accueil ne fut pas très chaleureux, je devais bien l'avouer. Mais comment les blâmer ? Ils venaient de voir atterrir sur le territoire un avion militaire de la plus grande puissance du monde...
Nous avançâmes, paumes tournées vers le ciel, bien en évidence pour montrer que nous venions en paix.
Je foulais pour la première fois de ma vie le sol de la Nation d'Argent. Le sol de la Nation de mon père. Le sol de la Nation où mon père fut roi. Où j'étais moi-même princesse de sang royal.
Ils étaient une vingtaine, armés jusqu'aux dents, ils nous encerclaient, l'air aussi menaçant qu'abasourdis. Il ne devait évidemment pas voir tous les jours des étrangers arriver par avion.
Un homme se détacha alors de cette masse de soldats et s'avança vers nous.
À son oreille brillait le symbole des ambassadeurs. Ainsi, les Argents n'avaient pas tout oublié de leurs traditions.
Seth me lâcha la main et fit un pas en avant, les rangs des soldats s'agitèrent.
Je savais que l'instant que nous vivions était historique.
Un roi Émeraude s'avançait pour la première fois depuis des centaines d'années face à un haut dignitaire Argent. Nous étions les premiers, mis à part les Ivoiriens, à fouler leur terre depuis bien longtemps, depuis qu'ils avaient décidé de s'isoler du reste du monde. D'ailleurs, je ne comprenais toujours pas 'exactement pourquoi et comment ma mère avait pu venir ici et rencontrer mon père.
L'ambassadeur devait avoir dans la cinquantaine. Grand, mince et pâle, il possédait une épaisse chevelure noir coupée court et des yeux tout aussi sombres. Ses yeux étaient soulignés d'un épais trait de Kohl et ses lèvres peintes en argent. Je n'avais pas encore vu d'hommes maquillés dans le monde d'En Bas, bien que cela se fasse parfois en Tour d'Ivoire, mais jamais aussi prononcé que chez cet homme.
Je constatais alors que les soldats étaient également maquillés, hommes comme femmes, mais de manière plus discrète que l'ambassadeur.
Je les trouvais mystérieux, et incontestablement élégants et raffinés. Mais cela me rappelait bien trop la Tour d'Ivoire pour que cela m'apaise vraiment.
L'ambassadeur nous regarda tour à tour, l'œil vif et scrutateur.
Un sourire tout sauf amical étira ses lèvres.
-Mais que vois-je... Un Émeraude en personne...
Il nous regarda rapidement, Ilyana, Samael et moi.
-Et des Ivoiriens, cela va sans dire... Je suis Varok Domitius, que me vaut cette... visite surprise ?
Son ton était ironique, mais sentit la menace à peine voilée derrière ses propos moqueurs.
-Je suis Seth Sarkis, Roi de la Nation d'Emeraude, et voilà mes compagnons ; Ilyana et Samael Desrose ainsi qu'Era Eléazar et son fils, Hélios.
-Eléazar, répéta l'homme... mais comment...
L'homme devint soudain suspicieux, il jeta un œil vers l'avion.
-Allez voir ce que cet engin contient, dit-il à ses hommes. Que faites-vous ici ? demanda-t-il en se tournant à nouveau vers nous. Vous n'avez rien à faire sur ces terres.
-Nous nous sommes échappés de la Tour, expliqua calmement Seth.
-Impossible.
La réponse claqua, dure, implacable.
-Personne ne s'échappe de la Tour, continua Varok. Personne.
-Mais Era Eléazar oui. Et nous aussi.
-Des armes, hurla un soldat, l'avion contient des dizaines de caisses remplies d'arme de guerre Ivoirienne.
Merci, Galaad, pour ton idée brillante, pestai-je intérieurement.
Varok devint soudain livide, et vrilla son regard aux nôtres.
-Galaad Eléazar nous a aidés à nous échapper, fit soudain Seth.
Un silence total se fit entendre.
-Et pourquoi un homme tel que lui vous aurait aidé à vous échapper ?
La voix de l'Argent devenait trop douce, trop dangereuse.
-Par intérêt personnel.
-Continuez, fit Varok.
-Nous sommes venus parce que la vie d'Era Eléazar et de son fils sont en danger. Nous pensions que vous pourriez les protéger tous deux.
Varok se mit à rire.
-Et pourquoi donc aiderions-nous des Ivoiriens ?
-Parce qu'elle n'est pas qu'une Ivoirienne. Regardez-la, regardez-là vraiment. Ses yeux, ne vous rappelle-t-il pas quelqu'un ? Mis à part les Ivoirines qui sont venus vous rendre visite il y a des décennies de cela, les Ivoiriens ne vous ont jamais laissé voir le visage de leur haut dignitaire, vous ne les connaissez que de nom, je me trompe ?
Ce fut alors que les soldats et Varok se mirent à me regarder vraiment.
Les yeux de l'ambassadeur s'agrandirent, devenant deux grandes billes noires. Ses bras retombèrent le long de son corps.
J'entendis des armes tomber au sol, et les soldats se regardèrent, perdus.
-Vous ressemblez... Prince Lysandre.... balbutia l'ambassadeur. La Princesse perdue...
Des chuchotements de plus en plus brillants lui parvinrent. J'entendis les mots Princesse, Eléazar, Alcibiade, Lysandre, Roi...
Varok se dirigea lentement vers moi, comme s'il était en plein rêve. Il me prit la main. Puis me contempla longuement, livide, les yeux brillants d'une fièvre nullement contenue.
-Vous êtes enfin revenue, Princesse... murmura-t-il.
Enfin, il me fit un sourire immense, le premier vrai sourire depuis notre arrivée. Un sourire que je n'oublierais jamais, un sourire plein de promesses, d'affection, et d'espoir.
Je lui rendis son sourire.
J'étais chez moi.
Enfin.
🕊
Bonjour à tous,
Eh bien... il semblerait que ce soit (enfin) la fin de ce tome !! 😨
Mais passons aux choses sérieuses, qu'avez-vous pensé de ce tome 3 ? Pressé de découvrir la suite ? Comment pensez-vous que va se dérouler la rencontre entre Era et sa famille ?
J'aimerais encore vous remercier pour votre soutien, vos votes et vos commentaires toujours si adorables et enthousiastes. Je l'ai déjà dit de nombreuses fois, mais c'est très précieux à mes yeux.
Il y aura évidemment un tome 4, je ne suis juste pas certaine de pouvoir vous partager le premier chapitre dès la semaine prochaine. Je l'ai déjà souvent expliqué, mais je ne peux consacrer qu'un temps relativement restreint à l'écriture dans ma vie depuis maintenant quelques années. En toute honnêteté, je « vis » sur des chapitres écrit il y a bien bien longtemps, j'ai encore un stock en réserve même si je n'ai plus eu le temps d'écrire depuis des mois. Mais mon but de l'année 2024 est de terminer la Tour d'Ivoire, donc je vais m'y remettre 😌
à bientôt mes chers Emeraudes,
Marie 🖤
PS : j'ai aussi changé les couvertures des romans 😌
🕊