Le dernier cri

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"I am ready to follow you even though I don't know where

I will wait in the night until you decide to take me there

(...)

Oh I don't want to be the only one living when all of my friends are gone

I will be waiting for you, on the other side of the frozen pines"


🎵 Frozen Pines, Lord Huron


Arianna

         Arianna avait toujours su qu'elle allait mourir jeune. C'était d'ailleurs bien pour ça qu'elle avait confié son plus lourd secret à Era. Elle avait imaginé maints scénarios : fauché par une balle dans le dos lorsqu'elle essayerait d'échapper à un garde de la Tour, assassiné par son frère ou sur ordre de ce dernier. Elle avait toujours eu une imagination florissante et les scénarios possibles se bousculaient dans son esprit.

            Ainsi, lorsque Melech Malkam entra dans sa cellule immaculée et que les deux soldats qui l'accompagnaient assassinèrent les trois gardes qui veillaient à la sécurité d'Arianna, elle sut

            Propre, silencieux. Personne n'entendrait rien.

            La jeune femme se redressa sur son siège. Pieds et poings liés, elle était impuissante.

            Elle fendit son visage d'un sourire résolument arrogant et dévisagea Melech avec dédain.

            -Le Roi de la Tour en personne. Que me vaut cette royale visite, Monseigneur ?

            Son ton était plein d'ironie et de moquerie.

            Elle vit avec satisfaction les yeux de Melech se plisser presque imperceptiblement. Elle aurait aimé le faire sortir de ses gonds, mais comme elle, il avait été élevé pour le calme et la patience. C'était bien dommage...

            -Arianna Eléazar, fille d'une des plus grandes légendes de la Tour et sœur de mon fidèle ami... nous avons grandi ensemble, tu as, un jour, été comme ma sœur.

            Ce vieux fou exagérait. Jamais il n'avait été son frère. Elle l'avait toujours détesté, et lui aussi l'avait toujours haï.

            -Tu te trompes de personne, Mel. J'aimais Séraphina, pas toi.

            Mel. Le surnom qu'Azel et elles lui donnaient étant enfant. Elle savait qu'il détesterait, bien qu'il n'en laissât rien paraitre.

            -Et tu l'as tué, ajouta Arianna d'un ton froid. Tu as étouffé tout ce qui avait de bon en Séraphina, et tu n'en as laissé qu'une coquille vide.

            -Séraphine m'a choisi, fit simplement Melech. Elle m'aimait.

            -Tu fais bien d'utiliser le passé.

            Il secoua la tête et soupira.

            -Tu aurais été une alliée précieuse, Arianna. Précieuse, estimée et talentueuse. Mais tu as préféré suivre les pas de ton idiote de mère. Elle avait le pouvoir au creux de sa paume, elle était assez intelligente pour tout prendre, mais elle a préféré sacrifier son sang et son nom pour une cause futile et inatteignable. Je te pensais plus maline qu'elle. Azel t'aime tellement qu'il t'aurait offert le monde sur un plateau.

            Devant son absence de réaction, il prit une chaise et s'installa en face d'elle. Ses yeux couleur d'orage se firent pensifs.

            -J'avais peur de vous, tu sais, commença-t-il sur le ton de la confidence, comme s'il parlait à une vieille amie. Je savais que si vous décidiez de vous allier, vous seriez invincibles. Je n'aurais rien pu faire pour vous écarter du chemin du pouvoir. J'aurais dû soit vous assassiner soit rester l'éternel second. Azel savait tout ça, lui aussi. Mais heureusement pour moi, les femmes sont trop stupides pour comprendre cela. Tu as toujours été un danger, Arianna Eléazar. Un sang trop puissant coule en toi. Vivante, tu es mortelle, même dépossédée de tous tes droits. Les Eléazar soulèvent les foules, montent des armées, les siècles passés le prouvent.

            -Tu confonds avec les Malkam, rétorqua-t-elle d'un ton calme.

            Il sourit.

            -Les Malkam charment et parlent. Les Eléazar effraient et trompent. Cela a toujours été ainsi. Les Eléazar sont des tyrans nés. Si tu n'as toujours pas compris cela, c'est que tu n'as rien compris de ce qui se jouait.

            -Alors, pourquoi garder un Eléazar si près de toi, si nous sommes si dangereux ?

            -Justement, petite ombre. Je garde Azel près de moi pour mieux le surveiller, et lorsqu'il deviendra trop menaçant, ce qui arrivera bientôt, je m'en débarrasserai.

            Elle perdit alors son calme, et ne put s'empêcher d'essayer de lui sauter dessus. La seule idée que ce porc puisse faire du mal à son frère la mettait hors d'elle.

            -Azel est trop intelligent, tellement plus intelligent que toi, cracha-t-elle. Il ne peut pas mourir.

            -Tout le monde meurt un jour, même ta mère est morte.

            Ainsi, Azel n'avait jamais confié à son précieux ami ce qu'il avait fait pour sauver Maria Eléazar. Tant mieux. Les Eléazar avaient donc encore un pouvoir sur les Malkam.

            -Et toi aussi, murmura-t-il, tout près d'elle.

            Il sortit alors une arme de son veston, et d'un mouvement lent, la pointa sur elle.          Elle resta calme, le fixant avec détermination.

            -J'ai toujours admiré ton courage, ainsi que celui de toute ta lignée. Mais tu as choisi la mauvaise voie.

            -Tu finiras par mourir, Melech, répondit-elle simplement. Tu ne vois pas que le monde a déjà changé.

            Il regarda une dernière fois les iris marron d'Arianna, gravant dans son esprit les traits de l'un de ses plus grands ennemis maintenant à sa portée, anéantie.

            Arianna pensa à sa mère, à Azel, à Anna. Les trois personnes qu'elle aimait le plus au monde. Elle ferma les yeux, sereine.

            Melech Malkam pressa la détente.

La Tour d'Ivoire - Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant